Portrait de : Marija Gimbutas - De Ève à Philomène sans Oublier les Autres



De Ève à Philomène sans oublier les autres - 5 septembre 2018  
      
 Portrait de Marija Gimbutas par Sylvie 

  La  mytho-archéologie - La vieille Europe - la société matristique pré-indo-européenne - le culte de la grande déesse - les Kourganes »





·         Voilà quelques mots pour définir l’archéologue et préhistorienne à la vision féministe Marija Gimbutas qui s’est posé la question :   
« Quelle société y avait-il avant l’ère patriarcale indo européenne ? ».
Cette question a inspiré sa vie et son travail via une approche interdisciplinaire qu’elle a appelé mytho-archéologie.  

·         En effet et si le patriarcat n’était pas une constante anthropologique, mais un phénomène historiquement situé, et qui toucherait même déjà à sa fin ?

·         C’est en lisant le livre jubilatoire de Anne Larue « Dis papa, c’était quoi le patriarcat ? » publié en 2013 aux éditions Ixel et dont l’idée principale est que le patriarcat n’est qu’un moment de l’histoire, qu’il n’a pas toujours existé et, du coup, qu’il peut disparaître ; qu’il n’est pas non plus universel, et que c’est un leurre de le croire  donc c’est en lisant ce livre que j’ai découvert l’archéologue et préhistorienne américaine d’origine lituanienne mondialement connue Marija Gimbutas (1921-1994). 

·         Elle a mis en lumière et décrit une ancienne civilisation européenne pré-indo–européenne qu’elle appelle « civilisation de la déesse », ou de manière plus neutre « la vieille Europe ». Elle l’étudie entre 7000 et 3500 ans avant zéro. 

·         Cette culture a dominé l'Europe tout au long du paléolithique et du néolithique, et même jusqu’à l'âge du bronze en Europe méditerranéenne. Elle aurait duré plus de 25000 ans. 

·         Une culture depuis des millénaires paisible, avec une structure sociale égalitaire, matri-focale et pacifique, liée aux cycles de vie de la terre, au symbolisme religieux étroitement lié à la femme. On y adorait ce que Marija Gimbutas appelle la Déesse Mère.

·         Cette culture fut anéantie et remplacée progressivement par une société différente, patriarcale et belliqueuse, imposée par un peuple d'éleveurs, les envahisseurs Kourganes, et cette société s’installera peu à peu sur tout le continent européen à partir de 3500 avant zéro. C’est cette société patriarcale qui persiste aujourd’hui comme nous le savons trop bien.

·         Elle a également promulgué en 1960 une théorie sur l'origine des indo-européens qui va susciter un premier grand débat dans la communauté scientifique. 

Elle a estimé qu'ils sont originaires des steppes du Caucase et a appelé sa théorie l'hypothèse Kourgane. Hypothèse qui fut sévèrement critiquée à l’époque mais qui a été récemment validée par la génétique.

Au fil du temps, la vieille civilisation européenne est devenue kurganisée. Ceci est généralement accepté, mais la raison pour laquelle cela s'est produit n'est pas claire. En tout cas il y a eu un passage de l'agriculture à une société plus pastorale qui aurait permis de renforcer le rôle masculin dans l'économie productive. Cela, à son tour, aurait provoqué une série de changements sociaux qui auraient influencé les systèmes de succession et promu la patrilinéarité, les associations de clans, la guerre et une diminution du statut de la femme dans la société.
Après cette brève introduction passons à la biographie de Marija Gimbutas

-            Sa jeunesse se déroule en Lituanie où elle naît à Vilnius en 1921. Elle grandit en nourrissant un profond attachement pour sa terre natale. Sa langue, ses coutumes, ses traditions et sa mythologie vont influencer de façon importante la conduite de son œuvre.
-            Après avoir obtenu sa maitrise à l’université de Vilnius en 1942, elle s’enfuit en Allemagne avec sa petite fille et son mari Jurgis où elle subit de nombreuses épreuves pendant la guerre. Elle soutiendra en 1946 à l’université de Tubingen sa thèse en archéologie.
Étudiante  brillante elle a eu la ténacité de poursuivre ses études malgré des circonstances difficiles et par la suite le courage de défier une grande partie de la pensée conventionnelle de son époque.

-             Après avoir immigré en 1950 aux états unis avec ses deux filles et alors que son mari a trouvé du travail comme ingénieur à Boston, elle est recrutée à la naissance de sa 3ème fille en tant que chercheuse à l’Université de Harvard pour sa connaissance approfondie des langues européennes et en tant que spécialiste de l'archéologie de l’Europe de l'Est, domaine alors largement méconnu.

Elle y travaille de 1950 à 1963 tout en y subissant des discriminations et des attitudes  misogynes choquantes à son égard. 
On lui attribue un bureau au sous-sol du musée Peabody où elle pouvait travailler. Elle a donné des cours, fait de la recherche, publié des articles mais elle n’avait aucun titre à l’université ni aucun salaire. Même quand son livre, Prehistory in Eastern Europe, est publié elle ne reçoit aucune reconnaissance ni aucun droit d'auteur. De plus plusieurs bibliothèques de recherche lui étaient interdites et elle ne pouvait se joindre au club universitaire réservé aux hommes. Elle fut insultée et blessée à plusieurs reprises et tenu de traduire des textes pour ses collègues masculins sans rémunération.
Quand elle raconte ses années à Harvard elle dit:

"Il n'y avait aucune perspective pour une femme à Harvard. J'aurais pu rester en tant que chercheuse ou lectrice, mais je ne serais probablement jamais devenu professeur. Dans les années 50, en tant que membre du personnel, je ne pouvais fréquenter les clubs qu’accompagnée d’hommes. Donc je ne pouvais pas rester. J'ai détesté une telle situation ».

 Quand on comprend les difficultés qu’elle a rencontrées on ne peut qu’admirer le courage qu’elle a eu de continuer ses recherches et devenir une archéologue internationalement reconnue. 

-            En 1963, elle s'est vu offrir la chaire d'archéologie à l'Université de Los Angeles, où elle a déménagé avec ses 3 filles après avoir divorcé et elle y  restera jusqu'en 1989, année de sa retraite. 

Une période heureuse commence pour Marija. Elle publie des dizaines d'articles académiques, des livres.  Les fouilles auxquelles elle participe de 1968 à 1980 dans le bassin du Danube, en Grèce et en Italie, lui permettent de trouver plus de deux mille objets, y compris des centaines de figurines en pierre, des figures d'ivoire et des femmes en terre cuite, datées entre  6300 et 2000 avant zéro. 
Plus elle fouille, plus s'accumulent des traces, des traces trop fréquentes pour être négligées, ce que font pourtant la plupart de ses collègues : elle dira :

« L'ensemble des matériaux disponibles pour l'étude des symboles de la vieille Europe est aussi vaste que la négligence dont cette étude a fait l'objet ».

Une nouvelle hypothèse en émerge :  il y avait sûrement autre chose avant les indo-européens, c’est à dire avant le patriarcat. Et si les figures féminines étaient des déesses ? Dans cette hypothèse, l'abondance des vestiges attesterait bien de la présence d'une forte présence féminine aux côtés des dieux masculins.
En 1974, Marija Gimbutas publie un premier livre intitulé « Déesses et dieux de la vieille Europe ». Dans ce livre, elle soutient qu'un culte de trois déesses féminines était présent dans le Sud-Est de l'Europe. Par la suite, elle étendra son hypothèse à toute l'Europe et fusionnera les figures féminines en une seule et même déesse. Dans les années qui suivent, et jusqu'à sa mort due à un cancer en 1994, Marija. Gimbutas ne cessera de poursuivre cette piste. Son livre « Le Langage de la déesse » est en quelque sorte l'aboutissement et la synthèse de ses recherches sur la déesse de la préhistoire.

En conclusion
Bien que ses théories soient fortement controversées chez les universitaires traditionnels, les découvertes et les méthodes de Marija Gimbutas ont été accueillies avec un intérêt profond par les spécialistes de disciplines variées du monde entier. En alliant l’archéologie, la mythologie, la linguistique et l’étude des archives historiques, elle a créé un nouveau domaine de connaissance : l’archéomythologie qui déborde du cadre et des définitions liées à l’étude de la préhistoire et s’oppose à l’idée traditionnelle proclamant les origines guerrières, hiérarchiques et patrilinéaire de l’homme.
Le mérite de Marija Gimbutas est d'avoir découvert la présence des femmes dans la vision sacrée, d’être source d’inspiration et de fasciner. Son travail a été crucial pour la croissance de la spiritualité féministe, de l'érudition religieuse féministe, de la psychologie féministe et des implications libératrices que l'existence d'une tradition de la déesse peut apporter aux femmes partout dans le monde. 
Grâce à l’accent mis sur le rôle des femmes de la vieille Europe et sur ce qu’elle a interprété comme des divinités parmi les figurines féminines elle est devenue, certainement par surprise, une des pionnières parmi les premières héroïnes du mouvement féministe en Californie et le « calice et l’épée » de Riane Riesler publié en 1987 fut l’une des œuvres phares du mouvement féministe de la seconde vague significativement influencé par Marija Gimbutas. Quelque soient les réactions à ses théories, il est important de reconnaître les implications plus larges de l'idée d'un féminin sacré qui a précédé le patriarcat.

Maintenant quelques extraits d’interview – la parole à Marija
Quand on lui pose la question : « comment était cette société matristique ? » Elle répond :
« Le système qui a existé dans la culture « matristique » avant l’invasion des Indo-Européens en Europe était totalement différent. Je l'appelle « matristique »et non matriarcal, parce que matriarcal réveille toujours des idées de domination et est comparé au patriarcat. Mais c'était une société équilibrée, les femmes n'étaient pas vraiment si puissantes qu'elles auraient usurpé tout qui ce qui était masculin.
Les hommes étaient à leur position légitime, ils effectuaient leur propre travail, ils avaient leurs fonctions et ils ont également eu leur propre puissance.
Ceci est reflété dans les symboles où vous trouvez non seulement des déesses mais également des dieux. Les déesses étaient créatives, elles créent d'elles-mêmes. Dès 35.000 avant zéro, à partir des symboles et des sculptures, nous pouvons voir que les parties du corps féminin étaient les parties créatrices: les seins, le ventre et les fesses. C'était une vue différente de la nôtre - qui n'a rien à voir avec la pornographie. »
Quand on lui  demande : « Êtes-vous optimiste sur le fait qu'une société égalitaire puisse exister de nouveau? »
Elle  répond : « Je ne sais pas si je suis optimiste. D'une certaine manière je pense que je le suis, autrement il serait difficile de vivre- vous devez avoir de l'espoir. Mais le développement vers une telle société sera lent, c'est clair. Cela dépend beaucoup de qui est au gouvernement. Notre vie spirituelle est si pleine des images de guerre. On enseigne dès le début aux enfants le tir et à tuer. Ainsi l'éducation doit changer, les émissions télévisées doivent changer. Il y a des voix qui vont dans ce sens, des frémissements. Vous devez être optimiste d'une façon ou d'une autre. »
Et pour finir ce portrait une citation:
« Nous vivons toujours sous l’emprise de cette invasion masculine agressive et commençons seulement à découvrir la longue aliénation de notre héritage européen… une culture non violente, axée vers la terre….et son langage symbolique dont les vestiges demeurent incrustés dans notre propre système de symbole » MG 1989

Bibliographie
·         Dis papa, c’était quoi le patriarcat ? de Anne Larue – Editions Ixel 2013
·         Le langage de la déesse de Marija Gimbutas édition des Femmes 2006
·         Signs out of time, the story of archeologist Marija Gimbutas documentaire 2003


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