Bilan 2015-2016. Le mot de la lectrice de « Femmes libres »

  Bilan 2015-2016. Le mot de la lectrice de « Femmes libres »
Bilan 2015-2016. Le mot de la lectrice de « Femmes libres »

 Pourquoi lire de la fiction à Femmes libres, vous demandez-vous peut-être ? Au départ mon souhait a été de mettre modestement un peu d’imaginaire dans une émission déjà fort riche en analyses historiques, philosophiques, sociologiques, indispensables, évidemment... mais, à mes yeux, il manquait tout de même un petit quelque chose, c’est la littérature, au sens large, la « fiction », souvent méprisée ou négligée pour sa prétendue légèreté : le roman sous toutes ses formes, avec la beauté ou la cruauté des mots, porteurs de situations tragiques, drôles, émouvantes, car je suis convaincue que tout écrit de fiction n’est pas seulement une « distraction » un peu futile et superficielle, mais aussi un miroir de la réalité dans lequel chacun et chacune d’entre nous peut retrouver un morceau de ses sentiments intimes, un peu de sa vie propre. Les lectures que vous entendez depuis près de deux ans (elles ont démarré en septembre 2014), en fait, n’empruntent pas une direction précise – vous avez dû le percevoir –  et, pour la plupart, ne reflètent pas le thème de l’émission même si parfois des connexions se font jour ; ce n’est pas au départ l’objectif recherché.

Parce que, pour tout avouer, il n’y a pas vraiment d’objectif mais une certaine errance. Je zappe, je butine, à gauche, à droite, au hasard ; je cherche et je prends un peu partout, dans mes souvenirs, dans les bibliothèques, dans les librairies, dans les échanges amicaux, et réponds surtout à des coups de cœur (impossible de lire à voix haute ce que je n’aime pas...), à l’envie de vous faire partager des textes, des situations, de faire connaître quelqu’un, ou le plus souvent quelqu’une, dont on ne parle pas : ainsi, cette année, pour L’Ecorchure d’Ana Maria Sandu, cette écrivaine roumaine dont la prose poétique m’a particulièrement touchée ; ainsi aussi pour les nouvelles de Galatée Kazantzaki, Femmes de Grèce, écrites dans la première moitié du XXe siècle, mais portées à la connaissance des lecteurs et lectrices seulement en 2013 grâce au travail acharné de leur traductrice, Simone Taillefer. Ou, a contrario, je cède à l’envie de vous faire relire des textes plus anciens et connus mais dont le contenu, avec les années, peut s’effacer de la mémoire : il en a été ainsi de l’extrait de La Nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun, qui date d’une trentaine d’années ; et d’un texte classique, beaucoup plus ancien lui, qui, parce que revisité, retraduit et réécrit, a aiguisé ma curiosité : l’essai de Virginia Woolf, Un lieu à soi, refaçonné récemment par Marie Darrieussecq  et dont j’ai extrait le récit imaginé par l’auteure de la vie de la sœur de Shakespeare ; et de cette histoire portée par un souffle poétique étonnant, texte unique de Violette Ailhaud, à la fois plongée des femmes dans la guerre et la violence et superbe hymne à la vie : L’Homme semence.

Toute cette littérature met la femme en son cœur, ou plutôt les femmes, car elles sont toutes différentes même si elles sont soumises aux mêmes assujettissements : la femme, éternelle victime de la guerre (Violette Ailhaud), la femme, victime de la tutelle patriarcale dans ses actes quotidiens, opprimée, empêchée, sans liberté d’agir (Galatée Kazantzaki, Virginia Woolf), la jeune fille fragile en devenir de femme (Ana Maria Sandu), la jeune fille niée dans son appartenance sexuelle, écrasée par une tradition culturelle étouffante puis libérée (Tahar Ben Jelloun), car, au-delà du malheur, il y a souvent de l’espoir et, au bout même d’un douloureux chemin, la volonté farouche de s’en sortir...

Et puis, parfois, l’émotion est plus forte, guidée par des événements extérieurs que l’on aimerait n’avoir jamais à vivre : ainsi, en janvier dernier, vous avez pu entendre quelques extraits de Coquelicot et autres mots que j’aime, d’Anne Sylvestre, une des compagnes de route de l’émission. Combien souvent nous laissons-nous bercer dans ce studio par sa musique et ses mots ! En cet hiver 2015, Anne Sylvestre a été profondément meurtrie, personnellement, par la tuerie du Bataclan puisque son petit-fils y a perdu la vie. Nous avons toutes, à Femmes libres, une grande affection pour elle, pour les mélodies et les paroles avec lesquelles elle nous enchante depuis si longtemps ; j’avais voulu alors lui rendre un hommage particulier, lui envoyer une petite pensée, en bifurquant vers la tendresse de ses Coquelicot et autres mots que j’aime, d’où émergent à la fois une légère pointe de nostalgie, et toujours ce même humour que l’on retrouve dans ses chansons...

Et il y en aura d’autres, bien sûr, des textes, au hasard de mes parties de pêche littéraires, de mes emballements, mais aussi des vôtres, j’espère, car mon souhait maintenant serait que vous me fassiez part, vous, auditrices, auditeurs, de vos coups de cœur et que vous participiez ainsi à une bibliothèque de Femmes libres : qu’aimeriez-vous entendre, faire connaître, partager ? Quel auteur, quelle autrice ? Quel écrit ? Il y en a tellement que l’on ne peut tout connaître... et tous les goûts sont dans la nature ; on n’est pas forcé.e.s de tout aimer. Cela dit, pour vous transmettre ces mots le mieux possible, il faut que je les aime aussi, qu’ils me touchent... Donc je vous invite, si vous le souhaitez, à pallier mes manques et à me dire vos envies ; et c’est avec grand plaisir que j’essaierai d’en extraire quelques lignes, quelques feuillets et de les faire passer à l’antenne le mieux possible, sans trop bégayer, pour la découverte ou la re-découverte, pour le partage, pour notre bonheur commun, pour montrer, au-delà de l’oppression, de l’abattement et du malheur souvent présent, la richesse, l’humour, la joie, la vitalité et le combat de toutes ces femmes-héroïnes, imaginaires peut-être, mais aussi ô combien réelles, qui sont une part de nous-mêmes.

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