Femmes en jaune
Habituellement, le jaune n’est pas la couleur des femmes
lorsqu’elles manifestent. Le violet des féministes leur convient mieux pour
affirmer leurs revendications. Il y en a tellement qui s’égrènent au fil des
manifestations ! Les mécanismes d’oppression, de domination et
d’exploitation sont à l’œuvre depuis des millénaires partout dans le monde. Salaires
de moins 25% par rapport aux hommes, retraites moins 40%, violences et
discriminations, appropriation du corps des femmes dans l’espace public comme
dans l’espace privé par le système patriarcal, capitaliste et clérical qui
orchestre la guerre contre le groupe des femmes, parce que femmes, il n’est qu’à
voir le nombre de féminicides[1]
chaque année dans chacun des pays, et le nombre des violences et des viols[2].
Le rapport OXFAM du 17 décembre 2018, Travailler et être pauvre : les femmes
en première ligne, met en lumière les caractéristiques des femmes
pauvres en France. En effet, les inégalités entre les femmes et les
hommes au travail restent une réalité dans l’hexagone comme dans les
départements ultra-marins. Notamment de manière dramatique pour celles que l’on
appelle « les femmes travailleuses pauvres ». Qui sont-elles ?
Souvent des mères de famille monoparentale. Le quart de celles qui
travaillent est pauvre. Les causes sont connues : écarts de salaires,
instabilité des temps de travail, emplois précaires dans lesquels les femmes en
occupent 70%, ségrégation professionnelle par concentration dans des métiers et
secteurs où la rémunération est basse, temps partiel imposé soi-disant pour
concilier temps professionnel et temps familial surtout entre 6 et 9 h du matin
et 17 et 22 h le soir pour les « techniciennes de surface » ou les
caissières – les femmes occupent 78% des emplois à temps partiel – et pourtant
les femmes jouissent d’un niveau d’éducation relativement plus élevé :
62.2% des femmes ont un diplôme au moins équivalent au baccalauréat contre
51.7% des hommes. Le nombre de femmes diplômées dans le supérieur dépasse celui
des hommes, 56% en
France, 58% aux Etats-Unis, 66% en Pologne selon l’UNESCO. Pourtant ces
diplômées rejoindront des emplois certes qualifiés mais peu rémunérateurs dans
le marché économique des services. Quant aux maladies professionnelles
reconnues, elles ont progressé de 155% chez les femmes entre 2000 et 2015.
Les sous-prolétaires de demain, ce seront les femmes célibataires avec
enfants
Andrée Michel, sociologue féministe, anticolonialiste et
antimilitariste, faisait des prédictions prophétiques dans les années 90 sur
Radio libertaire, dans l’émission Femmes
libres : « les sous-prolétaires de
demain, ce seront les femmes célibataires avec enfants. » Le demain c’est
aujourd’hui avec ce nombre impressionnant de familles monoparentales dont le
parent est une femme. La proportion de familles monoparentales dans l’ensemble
des familles est passée de 9.4 à 23.3 % entre 1975 et 2014, selon les données
du recensement de l’Insee. Ainsi, on compte deux millions de familles de ce
type qui dans 82 % des cas sont constituées d’une mère avec ses enfants. Les
familles monoparentales rassemblent 3,4 millions d’enfants. Le fait d’être en
famille monoparentale constitue l’une des premières causes de pauvreté pour les
femmes. Le niveau de vie moyen par personne au sein des familles monoparentales
est inférieur d’un tiers à la moyenne des autres familles. Pas moins de 20 %
des familles monoparentales vivent dans un logement où il manque une pièce,
selon les normes de peuplement de l’Insee, contre 8 % pour les couples avec
enfants. Les allocations familiales et les allocations logement évitent à une
partie des familles monoparentales de vivre dans l’extrême dénuement. La
situation est particulièrement difficile pour les mères seules qui ne sont ni
en emploi, ni au chômage : la moitié d’entre elles vivent avec moins que le
seuil de pauvreté. Pas moins de 560 000 femmes sont concernées. Pour elles,
l’insécurité sociale est maximale.
Quand les bas salaires, la ségrégation professionnelle, le
temps partiel se cumulent avec une rupture dans un foyer avec enfants, la
situation de pauvreté s’annonce. D’autant plus que la permanence des préjugés
nourrit inégalités et discriminations qui se renforcent
mutuellement. « Les femmes sont
victimes de normes sociales, de comportements et de croyances qui dévaluent
leur statut et leurs compétences »[3],
influençant fortement les emplois qui leur sont proposés.
Aux femmes, les emplois promus et « réservés »
sont ceux des services à la personne – personnes âgées, personnes handicapées –
des services éducatifs et d’enseignement, des services d’entretien. Les femmes
sont ainsi chargées de l’entretien et de la reproduction de la force de
travail. De 1968 à 2017, « les
salariées des activités médico-sociales et éducatives ont quadruplé leur
effectif : de 500 000 à 2 millions, … - sans compter les enseignantes
du secondaire et du supérieur. [4]»,
développement de l’emploi salarié féminin mais dans des conditions plus
précaires et avec de bas salaires au regard des compétences techniques et
relationnelles mobilisées. Depuis deux ans, les femmes de ménage dans les
hôtels et les gares, les employées des EHPAD (établissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes), les personnels hospitaliers se sont lancés dans
des grèves longues et difficiles, le plus souvent victorieuses comme en
décembre 2018 au palace-hôtel Park-Hyatt Vendôme après 87 jours de
mobilisation.
Pour les retraitées, la situation n’est guère mieux :
45% des femmes ont un niveau de pension tellement dégradé qu’elles bénéficient
du minimum vieillesse contre seulement 14% des hommes[5].
Selon la DREES, direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques du ministère des Solidarités et de la Santé, la pension en 2016
était de 1 389 € bruts, soit 1 065 € pour les femmes et 1 739 €
pour les hommes.
Alors pourquoi être étonné de remarquer une forte proportion
de femmes des classes populaires arborer le gilet jaune sur les ronds-points ?
Le voile de l’invisibilité se déchire par la présence, l’action et la
parole !
Non à Kinder, Küche, Kirche
En effet, les femmes ne se satisfont plus des 3
K : Kinder, Küche, Kirche (enfants, cuisine, église). Et elles sortent
de leurs gonds quand Emmanuel Macron, le 10 décembre dernier, évoque la colère
de « la mère de famille célibataire,
veuve ou divorcée, qui ne vit même plus, qui n’a pas les moyens de faire garder
ses enfants et d’améliorer ses fins de mois et n’a plus d’espoir… je les ai
vues, ces femmes de courage pour la première fois disant cette détresse sur
tant de ronds-points ». Le premier de cordée s’aperçoit que les femmes
pauvres ou démunies peuvent se mettre en colère. Où vit-il ? N’est-il pas
servi tous les jours par du « petit » personnel pour assurer son
bien-être général ? N’oublions pas que les services à la personne permettent
à la population de travailler : qui garde les enfants ou soignent les
seniors, qui lave les chaussettes et entretient les bureaux ?
Les femmes sont présentes : même Macron les a
vues ! Elles sont de tous âges, avec les hommes, et comme les hommes,
elles bravent l’hiver : pluie, froid, vent, neige. Sur les ronds-points et
dans les manifestations.
Les femmes sont actives : elles filtrent la
circulation, se rassemblent et créent des chaînes de solidarité, organisent des
collectes et des distributions de vivres, de couvertures, de produits
d’hygiène… Au-delà de quelques quolibets sexistes, elles organisent ici ou là
les conditions de vie au quotidien égalitaires.
Les femmes prennent la parole : elles prennent le
micro, elles chantent, elles dénoncent ce qu’on attend d’elles, de travailler
comme si elles n’avaient pas d’enfants, et qu’elles élèvent leurs enfants comme
si elles n’avaient pas de travail. Elles disent haut et fort que les 13
milliards d’économie exigés des collectivités territoriales par le monarque
réduiront non seulement les dépenses publiques mais détériorent les services
publics comme la fermeture de centres
médico-sociaux, les conditions de scolarité avec trop d’enfants par
classe et les activités extrascolaires payantes, les transports toujours trop
chers, la privatisation des maisons de retraite, les territoires de
désertification médicale, l’insécurité dans des zones d’habitation sous dotées.
Les femmes revendiquent la création d’un grand service
public de la petite enfance, gratuit, avec diverses modalités sur l’ensemble
des régions : crèches, haltes-garderies, écoles maternelles ; le
développement des services publics dans tous les domaines utiles :
éducation, santé, action sociale, prise en compte des personnes dépendantes,
transports… ; une augmentation conséquente du SMIC horaire ;
l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ; la revalorisation des
emplois féminisés ; la requalification des contrats précaires en
CDI ; une formation professionnelle continue, rémunérée, qualifiante sur
le temps de travail ; des aides à la mobilité et des transports gratuits…
Les gilets et gilettes jaunes sont sorti·es à la lumière.
Les moutons deviennent des citoyens et citoyennes enragé·es. Il va falloir les
écouter et les entendre ! Face au mépris, à la casse sociale et à la répression
féroce des mobilisations sociales, bien des revendications sont légitimes, et
tout particulièrement celle du droit fondamental de toutes et de tous à vivre
dignement. Laissons Tin Hinane, une Amajaune lorraine, conclure :
« Les femmes sont les premières
victimes du libéralisme, du sexisme.
Qu’à cela ne tienne, les Amajaunes ont posé
les serpillères pour exprimer leur colère ! Les femmes GJ ont lâché leurs
casseroles pour prendre la parole.
Et ce ne sont ni leurs coups, ni leurs
insultes, ni leurs violences qui nous feront taire. La rue est à nous !
L’avenir de nos enfants, et de notre planète, nous appartient.
Le capitalisme et le patriarcat ne
s’effondreront pas tous seuls, aidons-les.
Femmes, hommes. Rassemblons-nous.
Multiplions-nous ! Et demandons l’impossible ! Un monde meilleur est
possible. Tout de suite, maintenant ! »
Hélène Hernandez
Groupe Pierre Besnard
Emission Femmes libres sur Radio libertaire
Article à paraître en mars 2019
dans « Les Gilets jaunes : Points de vue
anarchistes" dans la collection Les Dossiers de la Fédération Anarchiste
[1]Le
féminicide est considéré comme une circonstance aggravante et mentionné dans le
Code pénal des pays suivants : Bolivie, Argentine, Chili, Costa Rica, Colombie,
Salvador, Guatemala, Mexique et Pérou. Cela ne veut pas dire qu’il diminue pour
autant.
[2] En
France, en 2017, 130 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-,
219 000 femmes majeures ont été victimes de violences physiques et/ou
sexuelles par leur conjoint ou ex-, 94 000 déclarent avoir été victimes de
viols et/ou de tentatives de viols. 90% des victimes sont des femmes.
Source : MIPROF, https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/
[3] Rapport
OXFAM : www.oxfamfrance.org.
[4] Pierre
Rimbert, « La puissance insoupçonnée des travailleuses », Le
Monde diplomatique, janvier 2019, pp.18-19.
[5]
Christiane Marty, « Femmes et retraites : saison 2013 »,
http://www.fondation -copernic.org/index.php/2013/10/10/femmes-et-retraites-un
besoin-de-rupture/
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