Je
suis allée voir l'expo « COMPUTER GRRRL! » ou dit autrement : histoire.s,
genre.s, technologie.s, pour avoir
une idée de la place des femmes en informatique aujourd'hui. Et ben je n'ai pas
été déçue !!!! Le système patriarcal est puissant, très puissant et il
sévit aussi là alors que d'emblée les femmes avaient pris une place très
importante dans les débuts de cette discipline. Il s'est même passé un
phénomène très fort, unique en son genre, si je puis dire : les femmes,
massivement présentes dans les débuts se sont fait supplantées sur les grandes
largeurs quand la créativité a pris le dessus de la répétitivité des tâches des
premières années qui consistaient à perforer
des cartons pour qu'ils soient lus par les machines.
Il y a quelques mois,
j'exprimais dans cette tribune l'espoir que les femmes sauraient se faire une
place à part entière dans le monde des robots et dans les faits, le constat que
les femmes qualifiées diminuent régulièrement est de plus en plus inquiétant
sur la planète entiè.re. Et d'ailleurs, « le titre de l’exposition Computer
Grrrls fait référence à un article publié dans le magazine féminin
Cosmopolitan en avril 1967 vantant l’informatique comme un nouveau secteur
particulièrement favorable aux femmes. Paradoxalement, c’est précisément au
moment de sa parution que la profession commence peu à peu à se
masculiniser. » explique le livret de l'exposition.
J'ai tout d'abord appris
des choses passionnantes.
Dans le chapitre « historique »
fort bien documenté, c'est l'année 1750 qui est la première date mentionnée
pour évoquer une femme qualifiée de « savante calculatrice » par un
mathématicien de l'époque en parlant de Nicole Reine LEPAUTE. Elle a été
capable de faire des calculs fastidieux et complexes pour déterminer les
perturbations de l'orbite de la comète de Halley. Un ordinateur humain
quoi ! Car l'informatique est une science extraordinaire qui permet de
réaliser des projets très complexes, demandant des calculs et opérations qui seraient maintenant impossibles à faire
par des humains. Depuis Nicole Reine, les progrès techniques ont été possibles
grâce à des machines qui ont connu des changements impressionnants en quelques
décennies. Et j'ai halluciné quand j'ai lu que les ancêtres de ces engins
décrits dans cette expo sont la machine à écrire, le métier jacquard ou le
télégraphe. En fait, c'est logique, ce sont des machines qui sont programmées
et qui commandent les métiers à tisser par exemple. Et en 1843, Ada LOVELACE,
« l'enchanteresse des nombres » fut la pionnière de la programmation
informatique. Elle a décrit en particulier comment les machines pouvaient être
utilisées pour manipuler les nombres mais aussi des symboles et des lettres.
Visionnaire, elle a perçu l'intérêt de cette machine pour réaliser une commande
mais aussi créer. Et ainsi des domaines tels que la télécommunication se sont
développées, embauchant des femmes dont le travail a consisté à traduire des
instructions écrites en langage courant dans des codes lisibles pour des
machines.
Donc, à l'aube de cette
science, ce sont les femmes qui ont constitué la main d'oeuvre
privilégiée pour plusieurs raisons :
= salaire inférieur à celui des hommes,
jusqu'à ¾ moins bien payées !!!
= deux guerres mondiales appellent les hommes
au front et elles occupent leurs postes
= elles faisaient déjà les calculs à la main et
aux Etats-Unis, leur nom était « computer ».
= une jeune femme est censée être polie par
« nature » et c'est naturellement qu'elles ont été recrutées
par Graham BELL en 1878 pour être standardistes.
= elles ont remplacé totalement les secrétaires
masculins qui recopiaient tous les documents à la main quand la machine à
écrire REMINGTON est apparue.
Au fur et à mesure que
cette technologie a progressé, ce sont les femmes qui ont été employées pour
perforer, trier, analyser, calculer, tabuler... mais aussi être ingénieures
pour pallier à l'explosion de la discipline.
= on voit dans la
culture ou les médias l'image des femmes que se font les hommes à l'époque soit dans les annonces utilisées
pour embaucher des femmes : « la dactylographie, c'est aussi facile
que le piano ! » ou en utilisant des romans photos, les
techno-romances,
où l'héroïne est toujours une femme dactylographe, computer ou
perforatrice avec des rôles érotisés !!! Des automates « femmes »
sont créées par des hommes : Amélia en 1901 ou l' « Eve
future » en 1886 : les qualités selon ces messieurs : « belle
mais sotte ! »
J'ai trouvé intéressant de
vous lire un texte écrit par Marcel Proust en 1907 au sujet des « dames du
téléphone », quelle emphase !
« Les vierges
vigilantes dont nous entendons chaque jour la voix sans jamais connaître le
visage, et qui sont nos anges gardiens dans les ténèbres vertigineuses dont
elles surveillent jalousement les portes ; les Toutes-puissantes par qui
les absents surgissent à notre côté, sans qu'il soit permis de les
apercevoir ; les Danaïdes de l'invisible qui sans cesse vident,
remplissent, se transmettent les urnes des sons ; les ironiques Furies
qui, au moment que nous murmurions une confidence à une amie, avec l'espoir que
personne ne nous entendait, nous crie cruellement :
« j'écoute » ; les servantes toujours irritées du Mystère, les ombrageuses
prêtresses de l'invisible, les Demoiselles du téléphone ! ».
Plus tard, en 1927, le
film METROPOLIS de Fritz Lang imagine un
être humain/robot appelé MARIA qui se retournera finalement contre ses
créateurs pour les dévorer. Selon le critique Huyssen, « Maria est l'expression
de la peur des hommes vis à vis des femmes mais aussi des machines du début du
XXème siècle, les deux menaçant le système patriarcal. »
Le premier ordinateur date
de 1941.
Nous savons que Alan
Turing, père de l'ordinateur moderne, fut le mathématicien qui réussit à
décrypter les codes de la machine allemande ENIGMA pendant la 2ème guerre
mondiale. Ce qu'on ne dit pas, c'est qu'il travaillait avec près de 10 000
personnes du principal site de décryptage, Bletchley Park, les 2/3 étant des
femmes. Tout seul, il n'y serait jamais arrivé !
Autre chose :
connaissez-vous les kilogirls ? En 1944, un chercheur a commencé à
classer ses projets de calcul en « girl-years of effort ». L'unité kilogirl
correspond vraisemblablement à un millier d'heures de calculs fait par une
femme.
Une autre figure
importante s'appelle Grace HOPPER, décédée en 1992. Elle a permis
notamment le passage du langage par
symboles et chiffres à l'anglais, a posé les bases du langage COBOL et inventé
le bug !
En France, Alice
RECOQUE a travaillé dans les mini-ordinateurs dans les années 50.
D'autres personnages sont
devenues célèbres sur le tard grâce à un film sorti en 2016, LES FIGURES DE
L'OMBRE. Il s'agit de Katherine JOHNSON, Dorothy VAUGHAN et Mary JACKSON, trois
mathématiciennes afro-américaines employées par la NASA ; elles ont contribué
à la mise sur orbite du premier astronaute américain John GLENN en 1962. On y
voit notamment toute l'ambiance « apartheid » de l'époque, qui
s'ajoute aux autres difficultés qu'elles rencontrent.
C'est aussi une femme,
Margaret HAMILTON, qui en 1969, a permis avec son équipe l'alunissage de la
mission APOLLO.
Il est intéressant de
connaître l'origine du mot « ordinateur ». « Avant 1955,
IBM consulte le philologue français Jacques Perret pour traduire ce terme
anglais, ce dernier proposa le mot «
ordinateur », un « adjectif désignant
Dieu qui met de l’ordre dans le monde » explique-t-il. Puis il suggéra de
le féminiser. « Ordinatrice serait parfaitement possible et aurait même
l’avantage de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie
» préconise Perret. IBM opta pour le masculin......Ètonnant, non ?
Pourtant, l’époque où les « computers portaient des jupes », selon l’expression
de l’ancienne mathématicienne de la NASA, Katherine Johnson, n’est pas si
lointaine. Avant que le mot « computer » ne désigne la machine qui
allait la remplacer, il décrivait une personne, souvent une femme, qui faisait
les calculs à la main. » dixit le livret de l' expo.
L'informatique devient une
technologie de plus en plus pointue dans les années 60 et commence à intéresser
les hommes qui n'ont jamais voulu faire des tâches répétitives. On voit donc
apparaître un nouveau vocabulaire comme programmeur qui concerne
l'ingénierie électronique, à ne pas confondre avec l'informatique du calcul à
la main, féminisé et au faible statut. Et cette tâche est délibérément
transformée en discipline de haut niveau, scientifique et masculine. En
parallèle, des machines comme les scanners optiques sont destinées à
segmenter et automatiser le travail
informatique, mais aussi à supprimer des postes auparavant occupés par des
femmes. En 1972, on doit à la
scientifique Karen Spärk Jones la
phrase : « l'informatique est trop importante pour être laissée aux
hommes. » Mais il est déjà trop tard : à cette époque, bien que
représentant 40 % de la main d'oeuvre féminine du secteur, elles sont quasiment
absentes des niveaux hautement qualifiées, d'après le MIT - Massachusetts
Institute of Technology. En France, on passe de 35 % de femmes ingénieures
informatique en 1982 à 20 % en 2002. Aucun domaine n'a vu un tel déclin avec
une telle rapidité.
Le vocabulaire est
maintenant masculin :
• le hacker : celui qui traduit les demandes humaines
en code que les machines peuvent comprendre
et activer,
• le geek : jeune homme de génie de l'informatique qui
détient un pouvoir énorme au but des doigts, triomphe de l'adversité et
remporte la fille.
• le nerd est aussi un passionné d'informatique qui
devient asocial,
• le no-life est carrément addicte et n'a plus de vie en
dehors de l'informatique.
Et le mouvement se
renforce car tous les nouveaux engins (micro ordinateurs, consoles de jeux
comme la game-boy, la bien nommée) sont destinés aux seuls hommes et la culture
informatique n'est faite que pour eux.
Ceci dit, les femmes ne
baissent pas les bras pour autant et se font remarquer dans plusieurs
domaines :
• Apparaît la bande dessinée Yoko Tsuno, personnage éponyme créée en
1969. Cette jeune électro-technicienne est considérée comme une figure
féministe d'informaticienne avant l'heure.
• Muriel TRAMIS est la première créatrice de jeux vidéo reconnue pour son
travail, légion d'honneur en 2018,
• en 1987, la création du système SYSTERS par Anita BORG qui est en fait
une liste de diffusion destinées aux femmes qui travaillent sur des systèmes
d'exploitation et peuvent ainsi échanger sereinement sur des sujets techniques.
Elle compte 7500 membres dans 25 pays.
• En 1991, apparaît le terme de cyberféminisme qui qualifie l'appropriation féministe des
techniques de communication et de l'ordinateur, sur des plans partique et
théorique, afin de pouvoir analyser de manière critique les relations de
pouvoir genrées à la technologie.
Voilà pour l'historique
qui permet déjà de dresser un panorama intéressant de ce qu'est le monde
informatique. Par ailleurs, l'expo illustre plusieurs constats avec les œuvres
d'artistes :
• le monde informatique a tendance à augmenter les injustices sociales et
accroître les discriminations,
• il est « la chasse gardée » des hommes blancs, ce qui ne peut
que renforcer ces discriminations et autres injustices genrées.
• Et ses flux d'informations vont de l'Occident vers le reste du monde,
impliquant une uniformisation de la pensée, la disparition des savoirs des
autres continents, une nouvelle colonisation en somme.
• Les normes anthropométriques
encodées dans les technologies de modélisation 3D sont utilisées dans toutes
sortes d’applications : effets spéciaux au cinéma, investigations
médico-légales (comme les reconstitutions de scènes de crime) ou identification
biométrique. Elles déterminent dans une large mesure la manière dont le corps
humain et l’identité sont représentés et perçus dans le monde numérique. Ces
protocoles de standardisation et d’automatisation sont informés par des biais
racistes et corporels.
• La blockchain est une technologie
décentralisée censée permettre de raviver les racines démocratiques du Web, et
qui est en passe de muer en architecture du contrôle.
• Le manque de diversité parmi les chercheurs et développeurs est devenu
problématique pour l’industrie comme pour la société. La pénurie de femmes
n’est pas sans conséquence car les algorithmes reproduisent les biais de ceux
qui les programment. Les artistes rendent visibles les discriminations et les
normes sexistes inscrites dans le code et questionnent la notion de « progrès »
technologique. Elles invitent à se réapproprier ces outils pour dépasser les
binarismes.
Par exemple, la vidéo Body
Scan : l'auteure Erica Scourti a capturé des images de son corps avec son
iPhone et les a soumises à différents moteurs de recherche et applications qui
« réagissent » à ces images avec des informations sur le Web. En voix
off, l’artiste commente les résultats de la recherche et réfléchit aux
significations parfois amusantes et souvent sexistes qu’ils contiennent. Par
exemple, les images de certaines parties du corps de la femme (en particulier
les seins) s’accompagnent systématiquement de suggestions sur la manière de les
améliorer. Mais il faut être hyperattentive tant le débit des photos est rapide
et on a du mal à capter l'essence du travail qui nous est présenté. Pour
résumer, Body Scan rend visible la perception du corps humain féminin comme un
objet qui doit être conforme à des normes, masculines, bien sûr.
Voilà ce que j'ai
découvert, retenu sur ce monde que je ne connaissais pas très bien. Cette
uniformité du costard de l'homme blanc a déjà fait ses preuves en matière de
ravages. L'absence des femmes et des
autres composantes du monde est donc problématique et ce que les Weakileaks et
autres lanceurs d'alerte nous apprennent confirment la dangerosité de ce
pouvoir concentré qui contrôle et surveille de plus en plus .
N'hésitez pas à aller à
cette expo. Si ce monde vous intéresse, vous serez attiréEs par les œuvres
d'artistes féminines qui se sont appropriées ordi et autres machines
psychédéliques pour en faire parfois des
oeuvres très perturbantes. Il y a aussi des concerts, rencontres, ateliers pour
petitEs et grandEs, tout ça jusqu'au 14
juillet prochain à la Gaîté Lyrique.
Les musiciennes
ci-dessous, sont programmées pendant la durée de l'expo. J'ai écouté sur You
tube. Je ne peux faire de copié-collé, donc voici les titres de morceaux à
diffuser pendant la tribune, On a le
choix, moi je n'en aime aucun.....
- Irène DRESEL « Médusa » - Léonie PERNET
« Crave »
« Scopitone »
–
Aisha
DEVI « of matter and
spirit » -
Méryl AMPE
–
VIGNETTE
Parmi les artistes, Hyphen-Labs (US
est un groupe international de femmes de couleur, ingénieures, scientifiques,
architectes et artistes qui utilisent l’art et des technologies émergentes.
L'installation : Le
NeuroSpeculative AfroFeminism (NSAF) est un laboratoire de neurocosmétologie
qui a élaboré une série d’accessoires destinés à répondre aux problèmes des
femmes noires telles que la surveillance, la protection de la vie privée ou les
violences policières : écharpe pour déjouer la reconnaissance faciale, visière
dichroïque réfléchissante, boucles d’oreilles dotées de micro-caméras… Pour
cela, il utilise le design, la réalité virtuelle et les neurosciences. On m'installe dans son salon de coiffure futuriste conçu comme un
« safe space » pour les femmes de couleur et lieu de discussions politiques
et philosophiques. Un grand miroir me regarde et moi, je vois une belle femme
noire installée en face à face, qui est MOI !!!! Je ne suis pas seule et
d'autres femmes noires sont là qui me parlent en anglais – je ne parle pas
anglais !!! C'est une sensation bizarre....de voir un autre visage que le
mien à une place où ce devrait être le mien, et qui fait les mêmes gestes que
moi !!!! Le lieu est incroyable. J'essaie de tourner la tête dans tous les
sens pour tout voir – dessus, dessous à droite, à gauche : bientôt je
quitte mon fauteuil et je suis
maintenant en apesanteur et je parcours des contrées oniriques, je survole des
trous noirs inquiétants..... Mais ça ne dure que quatre minutes...... et
d'autres personnes attendent.... Alors je cède ma place à regret ! Je
serai bien repartie dans ce monde magique.
En fait, Hyphen-Labs imagine un futur
où les technologies de pointe sont créées par et pour les femmes de couleur.
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