ELLE L'A BIEN CHERCHé ?
Aujourd'hui, je devais vous parler des femmes au Moyen
Âge mais des imprévus ne m'ont pas permis d'être prête pour ce jour et c'est
partie remise. Je vous remercie de bien vouloir m'excuser.
Je vais vous parler du sujet grave qu'est le viol. Vous
avez peut-être vu cet été une émission diffusée à plusieurs reprises sur ARTE
et intitulée Elle l'a bien cherché ! Et j'ai eu envie de vous faire
part de ce que j'y ai trouvé, qui illustre parfaitement à mon avis les débats
sur ce crime et ce qu'est la prise en charge des victimes.
L'intérêt particulier de ce documentaire est qu'il
considère la question sous l'angle
précis du devenir de la plainte
déposée, des arcanes administratives et judiciaires vécues par ces femmes qui
ont la force de se lancer dans une telle procédure après avoir vécu cette mort
intérieure qu'est le viol et devoir apprendre à vivre avec.
L'intérêt de ce documentaire est qu'il met en exergue
l'ambivalence de la société à l'égard des femmes violées : on sous-entend
à certains moments, que ce n'est pas par hasard si le viol a eu lieu car si
elle avait gardé la place qui lui était assignée, à la maison, cela ne serait
pas arrivé !!!! Elle l'a bien cherché !
..... il y a donc aussi
responsabilité de la victime dans le crime qu'elle a subi !!!!
« D'ailleurs, c'est sans doute la seule infraction
criminelle dans laquelle la victime se
sent systématiquement coupable » dira l'avocate d'une des victimes.
Vous savez que ce n'est pas si simpliste mais ces préjugés sont vivaces et
desservent les femmes qui
veulent porter plainte en leur ajoutant de la honte à ce qui est un crime qui
leur a été fait. Cette culture du viol est très prégnante, insidieuse et
transpire dans ce document. Et on peut
dire que malgré ME TOO, le regard de la société ne s'est pas vraiment amélioré.
Ce film de 2018 est l'oeuvre de Laetitia Ohona,
réalisatrice. Elle s'intéresse depuis
longtemps à cette question ; elle a déjà procédé à une enquête sur les
viols en milieu médical et a fait un travail sur les foeticides en Inde.
Son approche me paraît donc légitime et j'ai été scotchée
devant mon ordinateur pendant toute la diffusion.
On suit quelques étapes de la procédure : le dépôt de
plainte au commissariat de Nantes, un
examen médical à l'unité médico judiciaire, une confrontation de la victime
avec l'accusé... Ces épreuves demandent
une grande disponibilité de la femme qui multiplie les rendez-vous.
Le premier témoignage fait état de 5 fois en 48 heures
durant lesquelles elle a dû raconter son histoire !!! Ensuite, elle prendra un traitement anti sida et la pilule
du lendemain si elle n'avait pas de contraception. Elle subira un examen
gynécologique pour constater les lésions liées au viol et recueillir le sperme
éventuel et étudier l'ADN du criminel. Entre temps, elle aura accepté la confrontation avec l'auteur
présumé et subira les propos de cet homme qui l'insulte à nouveau en rejetant
la responsabilité sur son dos : menteuse, folle... Celui-ci peut rester 48
heures maximum en garde à vue et la police a donc peu de temps pour rassembler
les preuves le concernant.
Et pendant ce temps, elle développe le syndrôme post traumatique lié à l'agression sexuelle
qu'elle doit gérer et pour lequel elle est accompagnée par des psychologues et
des assistantes sociales.
Je n'étais pas très à l'aise devant tous ces murs, ces
décors de bâtiments administratifs que
la caméra scrute pendant que la plaignante s'exprime ; car elle n'est
jamais filmée de face, sa voix a été déformée. La réalisatrice intervient peu,
suivant différentEs professionnelLEs
faisant leur travail ; iels sont d'horizons aussi différents que policiers, psychologues,
avocats, assistantes sociales, médecins.... Le malaise ressenti par la
spectatrice que je suis est aussi celui, toute proportion gardée, de la
plaignante : elle doit se familiariser avec leur jargon professionnel,
leur tact plus ou moins professionnel, la lourdeur des questions sans cesse
répétées sur un moment d'une grande
violence, avec la trouille au ventre de ne pas être crue, avec la honte qui lui
colle à la peau.
Laetitia O questionne avec sobriété la prise en charge de
cette parole fragile. Le journal Le Monde, dans sa critique, en parle
ainsi : « Sans incriminer, elle saisit les réminiscences de la
culture du viol, tantôt dans les discours des personnes mises en cause, tantôt
dans les conseils des proches des victimes, ici dans les délibérations des
jurés, là dans la tête des femmes qui portent plainte. « ce que je
voulais, c'est prouver mon innocence » déclare contre toute attente une
victime au policier, lorsqu'il lui demande ce qu'elle attend de la
procédure. »
Cette présentation restitue bien le côté
« technique » de la prise en charge : ces murs, ces portes, ces bâtiments froids
illustrent la technicité, le souci désincarné de connaître la vérité quand on
écoute les entretiens... Les
professionnelLEs sont très
« professionnelLEs » et ils demandent beaucoup à la plaignante qui
entament avec eux un véritable parcours de la combattante !!!!
De ces femmes, on voit cependant des instants qui nous
disent leur détresse et leur mal être comme ces mains qui s'agitent dans des mouvements
involontaires, saccadés et sans cesse répétés.
J'écoute les propos techniques, je suis dérangée par
l'indifférence polie de certains, je ne comprends pas certaines questions que
je trouve insidieuses, comme si le policier cherchait plus que nécessaire le
moindre indice de consentement, de manipulation de la part de la jeune femme, je m'interroge sur l'utilité de demander à la
plaignante de raconter tant de fois son histoire, si ce n'est pour vérifier
qu'elle n'a pas menti ?... Car le doute est fort ; les mentalités en
général, celles du jury en particulier
qui prononcera le jugement, ont des préjugés tenaces et manquent
d'informations : elle l'a bien cherché.
Car la réalisatrice a choisi par exemple une femme qui est
simplement sortie le soir et a bu beaucoup d'alcool ; l'agresseur a
profité de sa faiblesse pour la violer. La tenue, le fait de sortir le soir,
boire de l'alcool.... tous ces comportements sont fustigés par la société quand
il s'agit des femmes et pèsent sur l'avenir de la plainte qui, alors, risque
d'être classée sans suite par le procureur de la république, et ce, alors
qu'elle a subi des violences qui sont pourtant d'emblée condamnées par la loi.
Ce sentiment de culpabilité peut être si intense
qu'elle brouille la perception de la femme elle-même qui se comporte comme une
accusée.
Et dans ce film, il y a un moment que je trouve très
fort : celui où, à nouveau, la victime raconte ce moment mortifère et dit
simplement que cela ne serait pas arriver si elle n'avait pas bu d'alcool, si
elle n'était pas sortie le soir, et très justement, la psychologue la reprend gentiment
et dit ça ne serait pas arrivé si vous étiez tombée sur une personne
bienveillante qui vous aurait accompagnée. Elle lui répète simplement,
plusieurs fois : vous êtes tombée sur la mauvaise personne ; vous êtes
tombée sur la mauvaise personne ! Heureusement que vous pouvez sortir,
boire de l'alcool si vous vous sentez en sécurité avec des gens qui peuvent
vous ramener. Là, vous êtes tombée sur une personne malveillante ! Il faut
que la psy lui rappelle à plusieurs reprises que ce n'est pas elle l'accusée.
A ce propos, l'intervention de l'avocate est à mes yeux
remarquable : consciente de cet écueil, elle remercie le jury d'avoir pris
la peine d'écouter la victime et, ce faisant, lui avoir redonné sa dignité. Et
elle raconte à son tour le viol en reprenant les termes de l'accusé et les
recontextualisant : l'homme dit qu'elle lui aurait fait des caresses prouvant son
consentement. Ah oui ? Elle était
malade « comme un chien »,
elle venait de vomir !!!!
Est-ce là le désir féminin ? Elle
remet l'agression au cœur de sa plaidoirie pour que le jury ait bien conscience
qu'il est question d'un crime et que le fait que la femme soit sortie le soir,
ait bu de l'alcool ne doit pas être un
élément central dans le jugement qui va être rendu.
Donc, il s'agit du parcours imposé à une personne qui veut
porter plainte pour viol. Il faut savoir
que sur les 200 000 victimes ou de tentatives de viol dénombrés chaque année en
France, seules 16 000 osent aller jusqu'à porter plainte. ¾ n'auront pas de
suite données par le juge d'instruction, 1/10 seront effectivement jugées aux
assises.
Autre chiffre, la moitié de toutes les
« affaires » judiciaires sont des viols. Si toutes étaient jugés, le
système judiciaire français imploserait !!!!
Dans 9/10 des cas, l'auteur des violences fait partie du
voisinage proche de la personne. Et l'alcool a souvent un rôle dans
l'agression. Comme la police recherche
des traces objectives des violences qui
en fait sont rares pour constituer un « dossier solide », cet absence
d'indices explique aussi pourquoi nombre de plaintes n'aboutissent pas dans le
contexte d'un système judiciaire débordé
par le manque de moyens. Ces témoignages sont fragiles et la justice cherche à
« bétonner » mais du coup, elle passe à côté de beaucoup de délits
qui restent impunis. L'idée du film
n'est pas d'incriminer l'institution judiciaire mais de pointer l'inadéquation
de la prise en charge et la difficulté pour les femmes de se faire entendre.
Alors, cela vaut-il la peine d'endurer tout ça pour un
résultat plus que aléatoire ?
Voilà, dans ce film sobre, ce que j'ai retenu. En retraçant
ces tranches de vie qui peuvent durer plusieurs années jusqu'aux assises, il
rend lui aussi leur dignité à ces femmes qui vivent l'indicible en arpentant
les arcanes de la justice
française. Sans pathos, au plus
près de l'humain, il publie les mots des femmes victimes quand elles sont
prêtes à porter plainte. Par contre, est peu évoqué ce qu'elles en retirent qui
leur permettent de continuer à vivre en attendant l'issue tant attendue qu'est
le procès, et après le procès. Comme tout passe par le filtre du protocole
judiciaire, les femmes ne s'expriment jamais en dehors d'un contexte
d'entretien avec un policier ou autre infirmière.
C'est aussi en analysant ce film qu'on perçoit bien le côté
patriarcal de notre société qui introduit ses préjugés jusque dans la
procédure. Quand celle-ci aboutit et débouche sur la condamnation du violeur,
on attend une condamnation exemplaire ; dans le film, elle est dérisoire : 5 ans de prison dont un an ferme !!!!!!
après quatre ans de procédure !! !
Ce sont des faits aussi qui laissent entrevoir que même
après le procès, les choses à vivre
peuvent continuer à être source d'épreuves et on nous conte l'histoire de cette femme qui a
réussi à faire condamner son violeur. Mais la peine de prison ferme est devenue
une peine avec port d'un bracelet électronique et.... il habite à trois
rues de chez elle !
Alors quid de la peur de la victime de tomber nez à nez sur
son agresseur ? La société
n'apporte pas la protection que la
victime est en droit d'attendre.
Alors,
ELLE L'A BIEN CHERCHé ?
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