LE MAITRON RACONTE LES FEMMES DE LA COMMUNE DE PARIS
Jean MAITRON (1910-1987) est
un historien à part. Il a mené le projet fou de retracer l'histoire du monde
ouvrier, lui donnant ainsi ses lettres de noblesse et lui permettant d'être enfin
enseigné à l'université. Pendant une soixantaine d'années, il a su mobiliser
une petite équipe d'historiens et plus de 1500
collaborateur·e·s. C'est sous le
nom de « dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français »,
communément appelé désormais le Maitron, que nous pouvons consulter encore
aujourd'hui cette somme de quelques 75 livres qui constituent le dictionnaire
« papier » ! Car plus qu'un dictionnaire, Michelle PERROT parle
« d'une vision du monde » dans « lieux de mémoire ».
Jean Maitron était un militant de gauche ; il connaissait bien le mouvement anarchiste pour
avoir fait sa thèse sur l'histoire de ce mouvement. Sa ligne éditoriale était
d'aborder l'univers ouvrier sans sectarisme ou reconstruction idéologique.
Ces ouvrages contribuent à l'éducation
permanente et populaire en étant facile à lire et à consulter gratuitement sur
internet https:// maitron,fr. L'équipe de Claude Pennetier, son successeur,
a entrepris de les actualiser, les rénover, les mettre en ligne.
Il vient de
s'enrichir d'un nouveau volume « papier » qui lui est tout entier
consacré : « Commune de Paris 1871 : les acteurs,
l'évènement, les lieux » paru aux éditions de l'Atelier, comme tous
les Maitron. Il s'agit d'un travail collectif d'une trentaine d'historien·ne·s,
tous et toutes spécialistes de cette période, coordonné par Michel Cordillot.
Celui-ci explique qu'il a été conçu dans
« le registre de la vulgarisation érudite » : il peut
être conseillé aussi bien au grand public qu'aux connaisseur·e·s.
Un article paru dans
Libération du 21 janvier en parle ainsi : «Depuis cent cinquante ans,
beaucoup a été écrit. De nombreuses études, biographies, monographies
locales permettent de se plonger dans
tous les pans de cette période. Mais peut-être manquait-il ce livre référence,
une synthèse qu'il « faut » avoir dans sa bibliothèque afin de
choisir quels chemins emprunter pour approfondir les multiples réflexions
suscitées par l'épisode. »
Le rôles des femmes, le féminismes sont bien représentés.
Un autre livre, « Le dictionnaire du féminisme, France du XVIII ème siècle-XXI ème siècle », vient de paraître sous la direction de Christine Bard ; il a été conçu dans cet esprit. Il vient compléter les 10 000 biographies de femmes recensées dans le Maitron, dans une démarche très féministe.
Sur France Culture, le 15 janvier 2019, Chloé Leprince a consacré une émission à l'élaboration de cette œuvre. Elle explique :
« Parmi ces auteurs fédérés par Jean Maitron pour écrire son Dictionnaire, on retrouve un nombre de femmes inédit pour l’époque, à qui Maitron avait déjà proposé de publier dans des revues qu’il chapeautait. Parmi ces femmes universitaires qui contribueront elles aussi à renouveler la discipline, on peut citer Madeleine Rebérioux, Michelle Perrot ou Annie Kriegel, et bien d’autres encore. Aujourd’hui, le Maitron compte par ailleurs quelque 10 000 notices biographiques de femmes engagées. Sur 187 266, on est loin de la parité, évidemment, mais compte tenu de la très grande invisibilisation des femmes dans les recherches historiographiques en général, et dans les sources archivistiques elles-mêmes, le chiffre n’est pas dérisoire. Saviez-vous par exemple que les archives de l'Outre-mer, qui conservent les fonds relatifs aux bagnes de Nouvelle-Calédonie (où furent par exemple déportés les Communards) ne conservent que les dossiers individuels des bagnards, mais pas ceux des bagnardes.
Voici donc quelques tranches de vie que notre intérêt va
faire resurgir du passé ;
Anna JACLARDJAnnaACLARD Anna [Korvin-Krukovskaja
Anna V2ssilievna]
Née à Saint-Petersbourg (Russie) le
18 octobre 1844, morte à Paris le 12 octobre 1887 ;
blanquiste ; membre de la section russe de l’AIT en Suisse ;
combattante de la Commune de Paris.
Korvin-Krukovskaja
Anna Vassilievna naquit à Saint-Petersbourg (Russie) le 18 octobre
1844 ; fille du lieutenant général d’artillerie Krukovskoj descendant
d’une vieille famille de l’aristocratie russo-lithuanienne, Anna eut pour sœur
cadette Sonia qui devint une éminente mathématicienne. Elle-même voulut écrire
et, en 1864, Dostoevskij publia une de ses nouvelles, Le Rêve. L’année
suivante, il la demanda également en mariage. Mais Anna refusa avec beaucoup de
gentillesse, et une amitié sincère perdura entre eux.
Sa sœur et elle décidèrent alors de
partir à Paris. Très réticent, leur père se laissa finalement convaincre parce
que Sonia avait contracté un mariage blanc avec V. O. Kowalevsky. À Paris,
Anna fréquenta les milieux blanquistes où elle rencontra Jaclard qui allait devenir son mari. Elle
le suivit à Genève où il dut s’exiler. Là, elle fit partie du groupe russe
adhérent de l’Internationale qui se constitua au printemps de 1870. En
septembre, elle revint à Paris où elle habita, avec Jaclard, 16, rue Biot,
XVIIe arr.
Elle ne s’y fixa pas
définitivement et y revint le 13 février 1871, venant de Strasbourg, en
même temps que Jaclard.
Durant la Commune, elle appartint au Comité de Vigilance des citoyennes du XVIIIe arr. et fut déléguée aux hôpitaux et ambulances où elle soigna les blessés. Elle fut membre également de la commission « instituée pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles », qui comprenait les « citoyennes » Jaclard, André Léo, Périer, Noémie Reclus, Sapia (J.O. Commune, 22 mai 1871).
Du 22 juillet au 5 octobre,
sa mère habita, 18, boulevard Saint-Michel, et fit des démarches pour aider sa
fille et son gendre.
Par contumace, le 5e
conseil de guerre la condamna, le 29 décembre 1871, aux travaux forcés à
perpétuité pour « complicité de soustraction frauduleuse de divers effets
au préjudice de M. de Polignac ». Elle n’avait subi auparavant aucune
condamnation.
Jaclard et sa femme
gagnèrent la Suisse puis, en 1874, la Russie. Ils vinrent en Suisse avant
d’être, l’un et l’autre, graciés en 1879 le 5 juin. Ils revinrent habiter
Paris l’année suivante.
Anna Jaclard mourut
à Paris le 12 octobre 1887 et fut enterrée le 13 au cimetière de Neuilly.
Noémie RECLUS
Née le 23 mars 1828 à Bordeaux
(Gironde) ; morte le 14 juillet 1905 ; institutrice ;
communarde.
Noémie (ou Noémi) Reclus se maria le 30 mai
1855 à Bordeaux avec son cousin Élie Reclus.
En 1868, elle participa avec André
Léo à
la création de la Société de revendication des droits de la femme.
Pendant
la Commune de Paris, elle fut membre de la commission « instituée pour
organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles », qui
comprenait les « citoyennes » Anna
Jaclard, André
Léo, Périer, Reclus, Sapia.
Après la Commune, elle vécut en exil en Suisse avec son mari. Elle était la sœur de Pauline Reclus-Kergomard, et la mère de Paul Reclus.
DESNOYERS Célestine, Marie, veuve CHABRE
Crémière, Marie Desnoyers demeurait 1
rue de Tourtille, Paris (XXe arr.).
Arrêtée le 28 juin 1871 pour « Vol et Concours
aux agissements de la Commune. », elle aurait avoué « avoir travaillé
à la construction de la barricade et avoir mis le feu à l’Hôtel de Ville, au
Louvre et aux Tuileries rue de Rivoli, embauchée par des chefs. » Elle est
envoyée au dépôt de la préfecture de Paris.
PETIT Adelène, veuve PIQUOT
Lingère ;
participante à la Commune de Paris.
Inculpée pour participation à l’insurrection, elle fut condamnée à six mois de prison pour usurpation de fonction pendant la Commune. Elle avait alors 38 ans.
POULAIN Malvina
Communarde
Ambulancière de la Commune de Paris, elle défendit, le 23 mai 1871, la barricade de la place Blanche, IXe arr. Elle fut détenue à Versailles après la défaite de la Commune.
Herminie CADOLLE née
Eugénie SARDON
Née e 17 août 1842 à Beaugency (Loiret) ; morte le 8 janvier 1924 à Saint-Cloud ; communarde ; socialiste et féministe ; lingère puis, après son exil en Argentine, créatrice de mode.
Herminie Cadolle, née Sardon, épouse du
communard Ernest Cadolle, était giletière à La Belle Jardinière.
Communarde, elle fut à ce titre détenue six mois à la prison des Chantiers de
Versailles.
Puis,
elle s’exila à Buenos Aires (Argentine), fit fortune dans le commerce de la
lingerie et, de retour en France, se rendit célèbre par l’invention du
« maintien-gorge », futur « soutien-gorge ».
Militante
socialiste et féministe parisienne en 1880-1881, elle assista avec son mari à
la manifestation organisée le 18 novembre 1880 sur la tombe de Théophile
Ferré au cimetière de Levallois-Perret, en compagnie d’Eudes, Gambon, Cournet,
Louise Michel et Nathalie
Lemel. Arrêtée, elle fut jugée
par la 8e chambre correctionnelle, mais acquittée.
Le
1er décembre 1880, elle fut l’une des organisatrices de la réunion privée
tenue rue de Rivoli par l’Union des femmes socialistes au profit de leur caisse
de propagande ; dans une salle "ornée de dix drapeaux rouges et d’une
grande draperie de même couleur sur laquelle on lisait Liberté, Égalité,
Charité, Justice ! Pas de devoirs sans droits !", présidée par
les dames Adèle Lebleu, Nathalie
Lemel,
Legal et Marceline Leloup, et devant une assistance d’environ 2.000
personnes, dont un tiers de femmes, Paule
Mink,
puis Louise Michel avaient pris tour à tour la parole pour
appeler à l’émancipation de la femme.
En
février 1881, membre du Comité central d’aide aux amnistiés et non amnistiés de
la Commune, elle fut chargée à titre officieux de s’occuper d’éclaircir un
conflit sur le profit d’une souscription.
Le
13 avril 1882, elle était présente aux obsèques de Trinquet.
Selon
Jean-Marie Vernhes, son entreprise prospéra dans la société parisienne. Elle en
diversifia la production en créant des parfums.
Quelques
années plus tard, elle se manifesta encore en signant une pétition en faveur
d’Alfred Dreyfus.
Si les ateliers et le magasin existent toujours, la marque participe actuellement au marché du luxe. »
Ces quelques biographies en
disent parfois plus longs que certains discours, n'est-ce pas ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire