LES FEMMES « GILETS JAUNES » et LES FEMMES DE LA COMMUNE DE PARIS - La Tribune Libre

 LES FEMMES « GILETS JAUNES » et LES FEMMES DE LA COMMUNE DE PARIS

            Il y a deux ans maintenant, en décembre 2019, j'écrivais une tribune sur les femmes « gilets jaunes », très présentes sur les ronds points de France. Deux ans. Une éternité ! La COVID est passée par là et les gilets jaunes sont presque des dinosaures de l'Histoire ! Pas tout à fait : samedi 13 février, un petit rassemblement a eu lieu à Noyon dans l'Oise.

          Et pourtant, ces femmes, pour ne parler que d'elles, avaient tant de raisons de se soulever, de manifester, de vouloir changer les règles du jeu économique qui les condamne être perdantes à chaque fois !

          Et cette colère, d'autres femmes l'ont criée avant elles, sur les barricades de la Commune. Même colère, même combativité. Alors, pourquoi ne pas essayer de mettre en regard leurs expériences communes  pour imaginer un nouvel espoir ; confronter leur vécu et les réponses que les femmes de ces deux époques ont pu apporter. C'est vrai que les femmes de la Commune avaient des idées de révolution bien plus ancrées que ce que j'ai pu constaté chez les femmes « gilets jaunes ». Déjà à cette époque, elles avaient bien conscience qu'il fallait changer les fondements mêmes de la société pour qu'elles aient leur part. Chez les femmes « gilets jaunes », je n'ai vu rien de tel, ce qui a fait dire à certains observateurs qu'il s'agissait de jacqueries, ces révoltes de paysans, de paysannes, qui ne pouvaient plus supporter  le fardeau et qui explosaient sans penser à changer de système au temps de Richelieu.   

Alors tentons de comparer ces deux révoltes.

          Les  femmes « gilets jaunes » étaient jusque là invisibles ou invisibilisées parce que femmes. Il faut dire que leur profil n'avait rien de comparables aux premiers de cordée, chers à Monsieur MACRON !!!

          Elles sont majoritairement issues de classes populaires : 25 % sont  ouvrières et 20% sont employées. Dans l'Express, on peut lire que 53 % d'entre eux sont des hommes mais que cela reste un mouvement inhabituellement porté par des femmes. "C'est assez inédit de voir les femmes aussi présentes sur des lieux, types barrages routiers et blocages, qui jusqu'à présent, dans d'autres mouvements sociaux étaient des types d'actions masculins"  explique Magali Della Sudda, chargée de recherches au CNRS et à Sciences-Po Bordeaux dans Tv5Monde. L'étude relève un autre point particulièrement intéressant : les femmes vivant seules avec enfants sont surreprésentées chez les gilets jaunes (12%). Les gilets jaunes, en grande majorité, ont aussi des fins de mois difficiles pour 65% d'entre eux et considèrent à 87% vivre dans une société injuste. 

Wikipédia complète : « Malgré la diversité des manifestantes, le profil-type qui peut être retenu est celui de femmes travaillant dans le domaine du care  qu'on appelle aussi « cols roses » dans le monde professionnel : métiers de l'aide à la personne — femmes de ménage, assistantes maternelles, assistantes de vie — et professions paramédicales telles qu'aides-soignantes ou infirmières. Pour Jean Gadrey, cela proviendrait de « l’assignation inégalitaire des femmes au temps partiel, plus ou moins fondée sur la vieille idéologie du « salaire d’appoint », et [de] la non reconnaissance (dans les rémunérations, dans les conventions collectives, etc.) de la valeur pourtant considérable du travail dans ces métiers, notamment dans les professions du care ». La liste des dix métiers offrant les plus basses rémunérations médianes montre à la fois une forte présence de ces métiers et une écrasante proportion de femmes qui les occupent..

          Une seconde caractéristique est la présence de femmes de tous âges, à l'exception de la tranche 25-40 ans presque absente. Magali Della Sudda, chercheuse en sociologie qui mène avec 70 collègues une étude sur les gilets jaunes, attribue cette absence aux charges de famille et à la charge mentale associée qui pèsent sur elles. À l'inverse, les célibataires et les mères de familles monoparentales sont très représentées, tout comme les retraitées, qui sont plus concernées par les faibles retraites et plus visées que les hommes par les politiques menées en la matière,

          La peur viscérale de se faire récupérer par les partis politiques, le fait que beaucoup d'entre elles n'avaient jamais manifesté et de ce fait, manquaient de culture syndicale ou politique, les ont rendu rétives à tout discours et c'est plutôt un énorme cri de colère à l'injustice, brut, qui a jailli pendant tous ces actes de leurs révoltes. Ces révoltes ne menacaient pas réellement l’état car elles n'avaient pas véritablement de programme cohérent, représentaient plutôt une forte opposition au gouvernement Macron.


         Les gilets jaunes sont 75% à se méfier des partis politiques et 80% à défier le chef de l'État. Un rejet du système politique français se fait ressentir dans leurs préférences relevées par l'étude Elabe : 33% des manifestants rejettent tout parti politique, 19%  sont proches du Rassemblement National et 10% de La France Insoumise.

          La plupart des femmes du mouvement manifeste pour protester contre la pauvreté et la précarité de leurs conditions de vie,  Ce type de revendication se retrouve souvent dans l'histoire, où, selon Mathilde Larrère, « les femmes sont plutôt associées aux révoltes frumentaires, c'est-à-dire lorsque les vivres viennent à manquer ». Sur ces difficultés les femmes affirment leur singularité, même au sein des Gilets jaunes, disant qu'elles les subissent de façon beaucoup plus forte que les hommes. Mais il s'y ajoute le sentiment de mépris de la part des autorités  (sans exclusivité de genre), ainsi que le rejet des discriminations, comme le résume le slogan « Précarisées, discriminées, révoltées, Femmes en première ligne » lu sur des banderoles lors d'une manifestation du 6 janvier.

          Sur ce sujet, un rapport publié par Oxfam France (décembre 2018), qui reprend des données d'Eurostat, indique que le pourcentage de travailleuses pauvres en France (soit avec des revenus inférieurs à 60 % du revenu médian) était passé de 5,6 % de la population en 2006 à 7,3 % de la population en 2017. Cette pauvreté touche surtout les femmes retraitées et les cheffes de familles monoparentales.

          « En octobre 1789, elles s’assemblent contre la cherté du pain et marchent jusqu’à Versailles pour interpeler le monarque. Elles ramènent alors à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » qu’elles considèrent comme les garants d’une vie convenable, donc les responsables de leurs misères. Elles sont également parties prenantes des soulèvements qui émaillent le XIXe siècle.

          Avec les gilets jaunes, l’implication des femmes est pour partie liée à leur prise en charge du travail domestique, un travail gratuit réalisé pour l’essentiel par les femmes (même si les ressorts de leur mouvement ne s’y réduisent pas) : c’est toujours à elles qu’il revient de joindre les deux bouts dans le cadre du ménage et de la famille.

          Dans un contexte qui rend impossible la réalisation de cette tâche pour nombre d’entre elles, la mobilisation permet de faire apparaître dans l’espace public ce qui restait dans la sphère privée : si beaucoup n’y parviennent plus, c’est bien que les problèmes vécus généralement comme personnels ont des causes sociales, que le privé est politique.

          En outre, certaines femmes impliquées dans les gilets jaunes travaillent dans les métiers de service à la personne où les formes d’organisation et de mobilisation collective, dans et par le travail, sont difficiles à mettre en œuvre : se mobiliser avec les gilets jaunes, c’est faire apparaître en pleine lumière et politiser leurs difficiles conditions de travail et d’existence.

          Nous allons faire une pause musicale avant d'aborder « les Communardes ».

« La grève des femmes »

Les Neuchâteloises donnent de la voix. A diffuser largement ! https://frauenstreik2019.ch/ 


          Au contraire, les femmes de la Commune ont porté les projets elles-mêmes pour vivre mieux tout de suite, sans attendre le grand soir que l'économie libérale n'avait de toute façon pas l'intention de leur accorder !!!!

          Déjà, des analogies avec les révolutions de 1789, 1830 et 1848 ont été faites. Mais un véritable projet de société allait être porté par ces femmes. Soyons claires : la Commune n'a pas été une révolution féministe ; si quelques femmes se sont détachées de manière éclatante, c'est un combat d'hommes qui a laissé émerger les femmes dans certains rôles. Je me demande même si les femmes « gilets jaunes » n'étaient pas plus visibles que les « communardes » mis à part quelques faits « d'armes » tels que la défense des canons de la Garde Nationale quand le gouvernement de Thiers a voulu les reprendre et que les femmes s'y sont opposées et ont permis que ces canons restent la propriété de la Commune. Ce qui n'enlève rien à la qualité de leur place dans cette révolte.

          J'y reviendrai dans une tribune ultérieure.


          A cette époque, dixit Michèle ROY SARCEY dans un article paru dans le journal « faisons vivre la Commune » du printemps 2019, l’idée d’hier, « celle d’une démocratie attendue au XIXe siècle – réalisée pendant la Commune de Paris –, et qui fut pensée comme l’avènement logique du communisme, lequel désignait, avant que le totalitarisme ne s’en mêle, la conquête d’une liberté individuelle nécessairement compatible avec l’organisation collective d’une société gérée par chacun en étant au service de tous. »

          Les femmes « gilets jaunes » voulaient simplement vivre mieux, vivre décemment, élever leurs enfants dans des conditions dignes. Pendant la Commune, ce fut le même combat.

          Le CEPAG « Centre Education Permanente André G » l'explique de la manière suivante :

          « La Commune imagine une nouvelle forme d’État avec des mesures sociales très avancées, par exemple l’instauration de l’instruction gratuite, laïque et obligatoire ainsi que la création d’un enseignement technique pour les garçons comme pour les filles, l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, l’officialisation de l’union libre, la séparation de l’Église et de l’État et la confiscation des biens ecclésiastiques, le contrôle et la révocation des élus, des mesures pour protéger les locataires, les travailleurs comme les chômeurs et les sans-abris, l’attribution des entreprises délaissées par leur propriétaire aux ouvriers et aux ouvrières en cogestion, l’égalité entre les enfants qu’ils soient légitimes ou naturels, l’interdiction des jeux de hasard et de la prostitution. Cette parenthèse révolutionnaire de seulement 72 jours constitue la révolution prolétaire française la plus authentique et a marqué durablement par ses idées le mouvement ouvrier. Rappelons que (en Belgique) dans notre pays, c’est la commémoration du 15e anniversaire en 1886 qui a déclenché les émeutes et des grèves à Liège puis en Wallonie à l’origine d’un embryon de législation sociale. »

          Les femmes ont été présentes dans cette révolution de 72 jours, combattantes et institutrices ou ambulancières ou cantinières, sur les barricades ou dans les réunions politiques... somme toute cantonnées dans des rôles classiques attribués aux femmes sauf soldates.

          Françoise Bazire, secrétaire de l'association « les amies et les amis de la Commune » a publié dans le journal « les rendez-vous de l'Histoire », n° 21 – Blois 2018 a publié un article sur la place des femmes pendant la Commune :

            « Nous allons voir comment la Commune a pu mettre en place toutes ces mesures grâce au peuple, et ce qui nous intéresse spécialement aujourd’hui, grâce à l’implication des femmes.

 → Des milliers d’entre elles se sont engagées dans la Commune et ce, dès le 18 mars. Elles y ont apporté leur volonté de mettre fin à leur exploitation et à l’infériorité de leur condition. Elles ont donné toute leur flamme, toutes leurs capacités de lutte et d’initiative et donné jusqu’à leur vie.

→ Ces femmes sont d’origines très diverses et il est difficile d’en faire un portrait modèle. La présence en très grand nombre des femmes du peuple dans un combat politique et social est un trait fort de la Commune.

 → Elles sont de tout âge : la plus jeune a 14 ans, la plus ancienne 71 ans.

→ Elles viennent de partout, ce sont surtout des provinciales.

– Seulement 10% sont natives de Paris,

– 12 % sont étrangères essentiellement Belges

– Les Russes et les Polonaises forment également un bon contingent. Elles sont souvent très politisées.

→ Les renseignements sur la situation de famille sont souvent absents. Célibataires et mariées se retrouvent sans surprise selon l’âge ;

Avoir des enfants a sans doute été un obstacle à l’engagement de ces femmes (seulement 15% sont notées comme mère de famille).

→ Ce sont d’abord des femmes du peuple : Les communardes travaillent massivement. Seules 15% sont sans profession.

– Les ouvrières dominent avec plus de 53 % de couturières et ouvrières de l’habillement, de blanchisseuses. Tout le petit peuple féminin est représenté, parfois le plus misérable.

               La petite bourgeoisie artisanale et commerçante est représentée, surtout des très petits commerces.

               Les professions intellectuelles (institutrices, femmes de lettres, journalistes) sont nombreuses.  Les plus connues sont notamment : André Léo, Victorine Eudes, Louise Michel, Marguerite Tinayre…

               Avant de détailler, je vous propose une autre chanson de la Commune chantée par Pauline FLORY et Séverin VALERE : « les pétroleuses »

 

          L’action des femmes a été très importante durant La Commune : exemples :

« une commission pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles. Elle est composée des citoyennes André Léo, Jaclard, Périer, Reclus, Sapia »

→ elles mènent la lutte contre la prostitution qu’elles considèrent « comme une forme d’exploitation commerciale de l’être humain par d’autres êtres humains ».

les femmes sont à l’origine de l’organisation d’ateliers coopératifs.

          Sur leur demande, Léo Fränkel adopte un décret, le 16 avril pour la réquisition des ateliers abandonnés. Il charge officiellement les femmes d’organiser des ateliers coopératifs du travail.

          Ce sont les prémices de l’autogestion, il s’agit de fabriquer des produits de première nécessité destinés aux producteurs sans intermédiaire.

Les femmes partent à la conquête de la citoyenneté

→ Si elles ne sont ni électrices, ni éligibles aux élections du 26 mars, la Commune les associe à des fonctions politiques et sociales importantes.

→ La participation des femmes dans les clubs et sections de l’Internationale marque l’histoire de la Commune. Elles président les séances et n’hésitent pas à intervenir. Elles obtiennent la mixité des clubs. Elles écrivent dans les journaux.

→ Les femmes sont associées, dans quelques quartiers à la gestion municipale.

→ ce que veulent les femmes ?

 → Le droit au travail pour elles et l’égalité des salaires.

→ L’école laïque gratuite pour les filles et les garçons.

→ La pleine participation au combat de la Commune, y compris dans la Garde nationale : le club de la rue d’Arras recueillera 300 inscriptions pour « les légions des femmes ».

→ des Pensions pour les veuves de fédérés tués au combat qu’elles soient mariées ou non mais également pour les enfants légitimes ou naturels.

→Les femmes vont œuvrer auprès des différentes commissions la Commune pour obtenir ces changements profonds et participer activement à leur mise en place.

La laïcité

→ Elles sont en pointe dans la lutte pour la laïcisation des écoles et des hôpitaux.

Elles assument souvent dans les mairies la nouvelle mission d’assistance laïque. Ainsi dans le XIIe arrondissement, le 26 avril, « il est fait appel aux Citoyennes de bonne volonté » pour former :

« Un comité de républicaines du XIIe dont la mission sera de rechercher toutes les misères cachées et d’en faire immédiatement rapport aux membres de la Commune » .

          Et ce ne sont que quelques exemples.

          La différence avec le mouvement des « gilets jaunes » est donc de taille ; l'origine politique des femmes du XXème siècle était trop disparate et plutôt à droite pour qu'un projet tel que la Commune a pu l'élaborer puisse être seulement envisagé. Le rejet des gouvernants ne s'accompagnait pas de propositions concrètes pour changer le système. De plus, la défiance vis à vis des féministes (et réciproquement) était trop forte pour que les droits des femmes soient au cœur des revendications. On est resté sur des bases insurrectionnelles

          Voyez, Regardez, entendez, écoutez ce que ces femmes nous ont montré il y a cent cinquante ans. C'était hier, c'est aujourd'hui. Rien n'a changé dans l'exploitation que les femmes endurent parce qu'elles sont femmes.

          Dans le même ordre d'idée, la communauté internationaliste du Rojava, enclave kurde dans le nord de la Syrie  a adressé un communiqué aux femmes « gilets jaunes » leur faisant part de son expérience d'une société qui essaie de se débarrasser du pouvoir patriarcal, en janvier 2019.

          Femmes « gilets jaunes » et les autres bien entendu, peuvent toujours s'appoprier ces combats, les faire leurs et enfin espérer un changement réel dans leur vie. J'ai bien l'impression qu'il n'y a pas d'autres choix pour combattre ce système qui lui a su perdurer et se renouveler.

          Il faut que ça change !!!!!



 

 

 

 


 

 



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