APPRENTISSAGE SCOLAIRE et GENRE - La Tribune Libre

APPRENTISSAGE SCOLAIRE et GENRE


COVID ou pas, la rentrée rythme les mois de septembre et octobre.

Cette année, la pandémie est toujours là, synonyme d'incertitudes dans de nombreux domaines et notamment celui du scolaire. Des nouveautés 2020/2021 vont faire leur place comme le grand oral qui a été la vedette du nouveau bac 2020 et il va mobiliser les lycéennes et les lycéens durant toute l'année qui vient.

Ce nouvel apprentissage ne sera pas une méthode limitant les inégalités entre les élèves sans une préparation sérieuse qui concerne des savoirs faire comme des savoirs être (tenue vestimentaire, la manière de se tenir, de parler...) On sait que de multiples facteurs l'influencent au sein de cette institution qu'est l'Éducation Nationale, comme ailleurs : le milieu social des élèves, leur situation géographique mais aussi le genre.

C'est ce sexe social que le patriarcat utilise comme un outil de dévalorisation des femmes et des filles et de formatage des garçons. Et pour en revenir au grand oral, les filles sont à priori défavorisées au profit des garçons. Un garçon est amené à diriger la maison quand il sera un homme : il devra la gérer "en bon père de famille", à assurer « les relations extérieures ». Celles-ci se font beaucoup « entre hommes » : le café, les stades de football, de nombreux métiers très masculins... " Tout dans la tchatche !" C'est une confrontation verbale qui a ses codes, ses expressions...
Les filles ? À la maison. Elles se taisent. La priorité est laissée aux garçons et
souvent spontanément elles les laisseront parler, se laisseront couper la parole,
remettre en place, par les hommes de la maison, assignées à des tâches mineures voir
dévalorisées (faire le café dans les réunions...), ne pas conduire la voiture quand
Monsieur est là, marcher derrière lui dans la rue. Alors à l'école.... À l'école, le même
scénario recommence. Les garçons occupent l'espace même si ils n'ont rien de
particulier à dire. Les filles réfléchissent davantage avant de parler quite à se faire
doubler par un garçon qui "va amuser la galerie". Finalement tout le monde y perd.
Les filles ne prennent pas confiance en elles. Et les garçons apprennent moins bien.
C'est statistiquement démontré que les filles réussissent mieux à l'école mais seront
confrontées au plafond de verre professionnel qui favorisera les garçons au dépend
des filles (salaires inégaux, beaucoup moins de femmes dans les sphères dirigeantes
qui doivent emprunter les codes masculins, métiers difficiles d'accès voir encore
interdits...)
Ce qui est plus compliqué pour les jeunes originaires de classe populaire c'est
de devoir jongler d'un monde à l'autre, d'un jargon de banlieue à la langue française,
de codes en codes...
"La classe sociale est loin d’être le seul facteur en jeu dans la maîtrise de l’oral : le genre peut également jouer. Isabelle Collet, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève, a mené une étude en 2015 dans laquelle elle a observé les interactions verbales des élèves lors de quinze séances de cours dans le secondaire en Suisse. Elle affirme que «la prise de parole en classe prend la forme d’une compétition», où «les filles ont un moindre accès à la parole et n’apprennent pas à mettre en valeur leurs compétences». «Le fait de ne pas se lancer dans la compétition leur permet de prendre le temps d’apprendre», écrit-elle. Alors que, souvent, pour certains garçons, «le but est d’être celui qui a la parole et non de
répondre juste»." 
Ce constat est tiré d'un article lu dans Libération du 8 mars 2018
Et cela fonctionne avec le personnel enseignant qui reproduit ce schéma légitimant le
comportement des garçons vis à vis des filles. Par exemple, les cours de récréation sont organisées de telle façon que le centre est réservé aux jeux de ballons destinés aux garçons et autour, les filles regardent, du moins sont plus passives.
Et cette division artificielle entre matheux et scientifiques pour les garçons et sociales et littéraires pour les filles a été favorisée dès le plus jeune âge, en maternelle où les stéréotypes fonctionnent de concert avec les injonctions faites aux parents d'appliquer ces codes sous d'autres formes qui se complètent : la vaisselle pour les filles, le bleu pour les garçons, la mitraillette robocop pour les garçons et les jeux calmes et les poupées pour les filles....


Vu sous cet angle, les adultes enseignants ont un impact sur les élèves : plus grande tolérance de leur part pour les comportements agressifs des garçons, mauvaise appréciation de l'impact de ces attitudes sur les filles qui du coup sont considérées comme "des chochottes"....quand elles expriment leur malaise vis-à-vis de garçons qui les chahutent ou les dévalorisent, reproduction des codes sociaux dans les jeux ou activités proposés aux élèves. Le personnel enseignant est aussi dans le bain patriarcal comme femme ou homme, conjointe ou conjoint, fille ou fils de...et reproduit les comportements attendus pour chaque genre....

Nous allons faire une pause musicale avec une jeune femme que j'ai découvert
récemment 
 Violette PLANETE « Eh Mad'moiselle »



Les « gender studies » devraient faire partie intégrante de la formation de tous les personnels approchant des enfants. Et des parents.... De la société entière quoi !

En attendant, il existe des outils qui peuvent fonctionner dès maintenant. Je repense à l'écriture inclusive. J'ai profondément regretté la polémique absurde sur le point médian qui a abouti à une interdiction de ce type d'écriture à l'Éducation nationale. La question a été abordée d'une manière stupide, sans réflexion globale sur le genre à l'école. Si on ne donne pas de sens à ce sujet, il n'a aucune chance d'intéresser ni les profs ni les élèves. Le débat, nécessaire, aurait été intéressant si il ne s'était pas borné à une question de graphie. L'enjeu était bien plus important en posant la question de la représentation du genre féminin dans la société à travers l'écriture. Il s'agissait alors de réfléchir à ce que cela signifie pour la nouvelle génération de vivre avec la globalité de la société et non la moitié masculine qui
colonise tous les aspects de la société entière en servant de vecteur déformant pour la totalité de la pensée. Et le genre féminin est alors enfin représenté.

Si cet outil est important, il fait partie d'une politique globale de représentation du féminin.

Personnellement, je n'utilise pas le point médian qui effectivement rend la lecture plus laborieuse mais il y a plein d'autres possibilités telles que les mots épicènes qui s'utilisent aussi bien au féminin qu'au masculin (élève, enfant, etc.), l'utilisation systématique des deux genres dans une phrase. La plus connue et vous ne pouvez suspecter le général de Gaulle d'être féministe : française, français....


Après, vous avez le classement alphabétique qui évite la primauté du masculin ou encore l'accord rapproché soit accorder les adjectifs au nom le plus proche. Ça donne : ces mots et ces écritures sont plus porteuses de sens que l'écriture actuelle.

Toute la gymnastique intellectuelle que cette technique impose oblige à penser constamment les deux genres et du coup le regard féminin qui va avec. On ne peut pas oublier la place des femmes et on leur redonne leur place légitime dans la pensée de tous et toutes. Elle concoure donc à l'éducation pour que le genre soit toujours présent et qu'il puisse apporter sa propre couleur dans la pensée. On ne peut plus passer à côté du prisme « genre » quelque soit le sujet traité et écrit avec cette technique.
Et avouez que ce n'est pas plus compliqué à apprendre à des élèves qu'une seconde langue par exemple. J'avais posé la question à une institutrice avant l'interdiction formelle venue d'un ministère réac. Elle m'avait répondu que c'était trop difficile pour les enfants. « Ils ont tant de mal à apprendre à lire. Alors l'écriture inclusive.... » J'ai été vraiment scandalisée !!! Une professionnelle digne de ce nom ne peut avoir ce type de réponse ; pour moi, elle n'a rien compris à ce que veut dire « éducation ». Je me demande si elles ou ils sont nombreu(ses)x à avoir cette réaction. Si oui, l'Education Nationale devrait être inquiète : cela veut dire que les méthodes utilisées sont inadaptées, que le manque de moyens est criant et que le personnel recruté n'est pas correctement formé.


À travers la décision du Ministre de l'éducation na-tio-nale, l'institution nous répond qu'elle assume complètement ce rôle de courroie de transmission du patriarcat sans vouloir gérer les effets secondaires que sont les violences masculines à tous les étages, la dévalorisation des femmes dans la famille, au travail...et que tous les emplâtres avancés comme des recherches de solutions aux maux de l'école ne serviront qu'à être des écrans de fumée qui ne résoudront jamais les problèmes de fond.
Quel triste constat.
Le moment est pourtant historique : 
Me Too a permis d'aborder un aspect des violences faites aux femmes à un niveau international jamais égalé. La parole se libère et les femmes mettent des mots sur tout les maux qu'elles subissent. On mesure mieux la responsabilité écrasante du patriarcat. Du coup des solutions sont proposées, encore timides, bien insuffisantes. L'Éducation nationale doit porter toute sa part...et voilà qu'un petit ministre coupe une petite branche pourtant si prometteuse.

INQUALIFIABLE.

Et ce n'est qu'un exemple !





Pour le blog, j'ai choisi une illustration qui peut vous sembler hors sujet ; il s'agit de la photo de l'ensemble du personnel qui travaille à la Manufacture Royale St Jean au début des années 1900. Si vous regardez bien le titre, il est écrit en troisième ligne : « AUBUSSON – les ouvrières et les ouvriers de la Fabrique ». écriture inclusive avant l'heure avec l'ordre alphabétique respécté. !! Ce titre m'a paru très intéressant car il met en avant la part des femmes qui était très nombreuses dans l'usine et ce n'est pas fréquent. Pour ma part, c'est la première fois que je le constate !
Et j'espère que le mouvement d'utilisation de cette technique ailleurs que dans
l'Éducation Nationale va se développer, quoiqu'en pense Monsieur BLANQUER.

 





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