Les Népalaises au sommet - La Tribune Libre

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         LES NEPALAISES AU SOMMET                



 Il y a quelques mois, dans cette tribune, je vous ai emmenées en montagne avec des femmes extraordinaires qui ont osé défier les hommes sur leur terrain : l'alpinisme. Cette fois encore, nous repartons dans l'Himalaya, rejoindre les femmes népalaises qui ont été sur le toit du monde, l'Everest, situé dans leur pays, le Népal. Mais avec un autre regard : le Népal est un des pays les plus pauvres du monde et l'exploitation des femmes y est totale. Alors leur exploit est d'autant plus extraordinaire et le livre qui m'a ouvert sur ce monde est celui de Anne Benoit-Janin, LES NEPALAISES DE L'EVEREST, paru en 2020 aux éditions Glénat. Il est sous-titré QUAND ASCENSION RIME AVEC EMANCIPATION. C'est exactement ça qui m'a intéressé.

Les femmes népalaises ont des conditions de vie très dures. Géographiquement, les deux tiers du pays sont occupés par les montagnes les plus hautes du monde. Il est complètement enclavé entre Chine et Inde, avec qui les liens culturels, économiques, religieux sont très fort. Pas de train, peu de routes, et quelles routes labourées par la mousson la moitié de l'année !! des chemins,  et des chemins qui ont parfois dénivelés impressionnants, qui serpentent en escaliers sur des parois vertigineuses. De très nombreux bourgs ne sont accessibles qu'à pied. Tous les déplacements se font à pied avec un doko sur le dos, cette grande panière conique en osier qui fait partie intégrante de la vie rurale, à tous les âges pourvu que le corps puissent porter jusqu'à 35 kg. Car les habitantes et les habitants vivent dans des petits villages isolés dans la montagne, parfois à plus de 4000 mètres. Pas d'eau courante, pas ou peu d'électricité, pas de tout à l'égoût...les villageoises et les villageois pratiquent l'agriculture de subsistance. On ne meurt pas de faim au Népal mais la mortalité infantile liées aux diarrhées est très élevée.
          Ces conditions expliquent aussi un fort taux l'analphabétisme dont une majorité de femmes. Celles-ci sont destinées au mariage : 20 % d'entre elles sont mariées avant leurs 16 ans, 40 % ont un enfant avant 19 ans, les 3/4 accouchent seules, dans l'étable si c'est en campagne. Leur vie sera désormais cantonnée au foyer à s'occuper du mari, des enfants et des beaux-parents...
          Les religions bouddhiste et hindouiste (selon les ethnies) et les traditions ont une place très importante et c'est au détriment des femmes : la femme est inférieure à l'homme ; des traditions barbares subsistent telles que le chaupadi, malgré son interdiction récente en 2005 :  quand une femme a ses règles, elle est considérée comme impure et  doit vivre dans une cabane, le chaupadi, en dehors du village ou de la communauté. La hutte est précaire et n'est pas un endroit sûr pour elle. Pendant cette période, elle ne doit pas toucher la nourriture destinée à la famille, ni boire l'eau du village. Elle souffre de graves carences nutritionnelles. De plus, elle reçoit la visite des hommes du village et les viols sont nombreux. Elle peut être mariée très jeune et ce sont les familles qui choisissent les époux. Lors  de la cérémonie du mariage,  raconte Anne, la future mariée est obligée de boire l'eau qui a lavé les pieds de son futur mari. Le garçon n'est pas toujours beaucoup plus vieux et ce sont des enfants qui mettent au monde des enfants. Cette situation est source de violences intra familiales, alcoolisme et il n'est pas rare que le mari abandonne sa première épouse pour se remarier. 

           Du coup, elles sont nombreuses à vouloir partir pour échapper à ce destin. Mais si elles n'ont pas leurs papiers, elles n'existeront pas sur un plan légal. Les papiers sont essentiels pour aller à l'école, se faire soigner. Les parents le font pour les garçons mais n'en voient pas l'utilité pour leurs filles. Car la fille appartient à son père puis à son mari ; elle n'est pas considérée comme une personne à part entière, elle n'a pas de  « personnalité juridique » qui confère des droits et des devoirs en France par exemple. Idem pour le « certificat de mariage » qui est le seul document administratif qui donne des droits aux femmes (héritage, propriété).

          Alors, ce sont d'autres enfers qui les attendent si elles veulent partir à tout prix : d'abord, victimes de la traite des humains ; il existe deux formes de traites, celle des jeunes filles qui sont vendues en Inde pour être prostituées ou ouvrières exploitées dans les fabriques de tapis. Elles seraient plus de  40 000 à partir chaque année, la deuxième concerne les filles réduites à la domesticité au Népal (d'après l'ONG Planète Enfants et Développement, elles seraient 17 000 par an). Elles viennent de régions reculées ou des bidonvilles de Katmandou, issues de communautés déjà discriminées ou de castes dites inférieures ; Les kamalari n'ont pas de contrat de travail, s'occupent de la maison, des enfants, des animaux et le travail dans les fermes. Elles ne sont pas toujours rémunérées  et leur famille reçoit parfois un peu d'argent tous les ans.  Parfois, ce sont elles qui ont vendu leur fille ; elles sont descolarisées, sans espoir de papier d'identité. Elles n'ont donc pas accès à leurs droits, à l'éducation, à la santé et souvent victimes de violences. Elles ont nul part où aller et restent dépendantes de la famille dans laquelle elles travaillent. Et leur âge a baissé depuis le tremblement de terre de 2015.

          Et puis il y a la prostitution des femmes employées dans les bars, les dogori, les restaurants traditionnels. Elles gagnent de l'argent mais sont exploitées et souffrent de traumatismes psychologiques et d'addictions car on les force à boire de l'alcool, de la drogue avec les clients. Cette réalité est  tabou au Népal . Elle ne concerne pas que les touristes mais sévit surtout dans les quartiers népalais.

          L'autrice ajoute que depuis 2015, année du grand tremblement, le suicide est devenu la première cause de décès chez les femmes âgées de 15 à 49 ans. Cette catastrophe gigantesque a tué 8800 personnes et affecté 8 millions de personnes : plus de logement, de nourriture, soins....

          Voilà quelques exemples qui situent le contexte de vie des femmes en général et de ces héroïnes alpinistes en particulier. Nous pouvons ainsi mesurer ce qu'il faut de courage et de détermination pour vaincre ce carcan social qui laisse si peu de place à la liberté pour les femmes et l'exploit que représente pour chacune de ces femmes d'avoir déjà réussi à vaincre ces montagnes sociales.

          Les points communs à toutes ces femmes dont je vais vous parler est d'être issues de milieu pauvre, voire très pauvre et d'avoir reçu peu ou pas d'éducation. La plupart sont d'origine sherpa, l'ethnie qui vit sur les pentes des grandes montagnes et constitue le peuple des porteurs et autres guides qui vivent du tourisme et accompagnent les équipes d'alpinistes. L'appartenance à une ethnie est très importante pour les népalaises et les népalais et ses règles figent toujours la société ; plusieurs femmes arboraient la tenue sherpani au sommet de l'Everest ! Ainsi une femme newar aura encore plus de difficultés pour réaliser son rêve car n'appartenant pas à l'ethnie sherpa. Les parents veillent à ce que les deux membres du futur couple dans les mariages précoces et arrangés soient d'ethnies et de castes compatibles. Le régime des castes a pourtant été aboli en 1963. Pour ces femmes, il s'agit aussi de trouver l'argent qui va leur permettre de monter des expéditions ;  le carcan social et le manque de réseau ou de contact sont des freins puissants. Certaines diront qu'il est plus difficile de trouver l'argent que de gravir la montagne !

Avant de faire connaissance avec quelques figures que j'ai considérées comme emblématiques, bien que le choix ait été difficile tant leurs portrait m'a touché, nous allons faire une pause et écouter

CHILLA Si j'étais un  homme





La plus célèbre alpiniste népalaise est Pasan Lhamu Sherpa qui est la première à avoir  atteint le sommet du Sagarmantha en 1993 (ou Everest pour les occidentaux). Elle est née  en 1963.  Bien qu'ayant baigné dans ce milieu des porteurs et autre sirdar, elle aura toutes les peines du monde à réussir, ayant dû faire trois tentatives infructueuses avant de réussir. Le gouvernement népalais, à l'image de la société, a obligé Pasan Lhamu à payer le permis d'ascension au prix demandé aux étrangers, c'est-à-dire un montant très élevé pour les népalais. Elle a donc été discriminée et cataloguée comme étrangère dans son propre pays jusqu'à ce que son exploit soit reconnue et que l'état la considère comme une héroïne. Ce qui m'a beaucoup impressionné de sa part, ce sont ses propos : «  Je veux travailler pour les femmes, pour leur autonomie. » Son projet était de développer l'éducation des femmes et leur accès aux soins. Ce ne sera malheureusement pas elle qui réalisera une fondation mais son mari Sonam : elle ne reviendra pas vivante de son ascension et mourra pendant la descente du retour, vaincue par le froid de la montagne. Son mari construira l'école et le collège Pasangthamu, un hôpital à Lukla.

          « Je ne suis pas née alpiniste. Je suis une femme au foyer mais j'essaie et j'espère que je vais réussir l'Everest. Je fais cela dans le but d'inspirer les autres femmes. » Elle y réussira puisque depuis son succès en  1993, une trentaine de népalaises ont gravi la montagne et sont devenues guides. Elles se sont aussi investies dans d'autres domaines tels que la politique.

          Et je vais vous parler de Lakpa Sherpa. En vous donnant quelques faits de son parcours, vous aurez un portrait saisissant de cette femme forte :

    elle est née en 1988 et n'a jamais été à l'école

    elle est issue d'une famille pauvre de 11 enfants qui vivait dans la montagne ; elle gardait les yacks et les moutons,

    elle a été motivée par l'action de Pasang Lhamu en voulant relever son défi et revenir vivante de l'ascension.

    Pour atteindre le toit de monde, elle s'est battue pour pouvoir trouver les financements et une expédition qui l'accepte : « J'étais vraiment très pauvre et quand j'ai sollicité toutes sortes d'aides  en expliquant mon projet, personne ne m'a crue. On me répondait toujours : « Vous êtes une femme et personne ne voudra vous soutenir. » Elle a fini par rencontrer une femme qui lui a permis d'intégrer une expédition féminine qui recherchait une aide. C'était en 2000.

    elle a gravi l'Everest neuf fois

    elle a été mère célibataire, ce qui est très rare au Népal,

    Elle s'est remariée avec un alpiniste roumain et divorcera pour fuir les violences conjugales

    elle partira ensuit aux Etats-Unis où elle élève seule ses trois enfants dans le Connecticut ; elle y est maintenant caissière dans un supermarché ; cette autonomie financière lui a aussi permit de réaliser ses dernières ascensions.

Elle a le même discours que Pasang : « Elle nous a donné du pouvoir. Si elle ne m'avait pas fait ce cadeau, je serais peut-être restée à la maison toute ma vie, sans rien réaliser. De la même manière, d'autres femmes népalaises suivront mes pas. Pour moi, c'est extraordinaire : je veux que plus de femmes sortent de chez elles, qu'elles ne soient     pas que des femmes d'intérieur ; les hommes peuvent être aussi au foyer, on peut être égaux. Ça je ne l'ai pas appris à l'école. J'ai senti que je devais me mettre dans les pas de Pasang Lhamu et suivre ma voie, que je pouvais faire ce que je voulais. »

          Et puis je vais vous raconter l'épopée d'une équipe de sept népalaises qui s'est donné pour objectif l'ascension des plus hauts sommets des sept continents. Maya Gurung et Shailee Basnet font partie de cette association « Seven Summits Women ». Dans un autre projet auquel elles ont participé précédemment (monter une expédition de 10 femmes népalaises pour l'Everest), elles portaient des valeurs précises : composition de l'équipe aussi variée que possible – origine sociale et ethnique, âges, niveau scolaire varié – deux avec une expérience d'alpiniste, deux parlaient anglais. Leur objectif était de jouer un rôle dans la promotion de l'éducation des femmes, l'autonomisation des femmes et la sensibilisation aux effets du changement climatique au Népal. Concrètement, il n'y a pas eu de rivalité entre elles : le plus important était que l'une d'elles arrivent au sommet. En Himalaya, il suffit qu'un membre de l'expédition atteigne le sommet pour qu'on la considère comme un succès. Là, elles ont toutes réussi. Cette victoire les a vraiment galvanisées et de là est né le projet des Seven Summits Women qu'elle réaliseront en 2014 avec d'autres femmes. Ce projet s'est accompagné de la visite de deux cents écoles népalaises pour les encourager les enfants « à croire dans leurs rêves ».

          Ces quelques histoires de vie donnent un éclairage particulier sur ce sport qu'est l'alpinisme et qui pour moi était avant tout un sport individuel, masculin et très souvent au service de nationalisme : le premier français qui a vaincu la montagne X. Là, j'ai découvert des femmes qui donnent du sens à leur passion et qui en font une école de vie. Quel talent ! Car la plupart parle de l'ascension comme une expérience AVEC la montagne et non pour la vaincre, le moyen de devenir libre et celui de montrer aux autres femmes qu'elles peuvent aussi conquérir cette liberté. Pour cela, elles ont osé braver les freins sociaux les plus forts. Quel talent ! Elles ont fait de la montagne leur alliée, Quel talent ! Vraiment ! 

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