Tribune libre : Colette, Femme, Vie, Liberté - Émission du 18 octobre 2023

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COLETTE : « FEMME, VIE,  LIBERTE »

Buste de Colette installé devant sa maison à St Sauveur en Puisaye à l'occasion du 150 ème anniversaire de sa naissance en janvier 1923.

Buste de Colette installé devant sa maison à St Sauveur en Puisaye à l'occasion du 150 ème anniversaire de sa naissance en janvier 1923.

Encore une fois, pendant mes balades estivales, j'ai fait des découvertes. Cette fois-ci, le hasard m'a amenée à ST SAUVEUR EN PUISAYE, dans l'Yonne. Petit village de caractère. Village de naissance de Colette, l'écrivaine. Joli musée fort bien fait qui célèbre en  2023 le cent cinquantenaire de sa naissance en 1873. A première vue, j'ai le souvenir scolaire d'une écrivaine très poétique mais très vite ennuyeuse. C'est donc plutôt affaire de circonstance qui m'a fait revisiter l'histoire et l'oeuvre d'une femme que je découvre... exceptionnelle...et féministe, ce qui m'a laissée pantoise. Jugez plutôt :

          Tout d'abord, sa vie est un roman à elle toute seule : une écrivaine prolixe avec 52 romans, une énergie et une soif de vie qui lui ont permis de faire face à sa manière aux aléas pourtant sombres de sa vie à une époque où il était plutôt bien vu pour une femme de rester à la maison et obéir à son mari. Elle a d'ailleurs commencé sa vie conjugale comme ça : mariée à vingt ans, elle a écrit à la demande de son mari éditeur. Il a tout bonnement signé ses livres qui ont eu un succès fou, les Claudine, « Claudine s'en va »,  « Claudine en ménage », « Claudine à l'école »  ............ » de Willy !!!!! Il a vendu les droits d'auteur et Colette s'est retrouvée sans argent. Dès qu'elle a pu financièrement, elle a divorcé et entamé une carrière tous azimuts au cours de sa vie : danseuse de cabaret, actrice au théâtre, cheffe d'entreprise de produits de beauté, journaliste reporter... tout en continuant à écrire. En tant que journaliste, elle a couvert l'actualité en se rendant sur les lieux, a assuré en particulier des chroniques judiciaires. Car elle a toujours dû travailler pour vivre et être indépendante. Elle a vécu mille vies sentimentales : « Je veux faire ce que je veux ! »

          J'ai découvert une femme féministe. Pourtant, elle se défie de ce terme et a même des mots très durs pour les suffragettes :  « Ah non ! Les suffragettes me dégoûtent. Et si quelques femmes en France, s'avisent à les imiter, j'espère qu'on leur fera comprendre que ces mœurs là n'ont pas cours en France. Savez-vous ce que méritent les suffragettes ? Le fouet et le harem... » (Maurice Dekobra, Paris-Théâtre, 22 janvier 1910 . II, x). De plus pour elle, les femmes ne devraient pas se mêler de politique. En cause ? Leurs règles qui induiraient une humeur changeante : « seulement elles ont (…) deux ou trois jours par mois au cours desquels elles sont irritables, colériques, imprévisibles. Or ces jours-là, les affaires publiques poursuivent leurs cours. » (Colette, L'Herne, p. 205) Elle n'est pas spécialement favorable au droit de vote pour les femmes, tout comme George Sand. Alors ?

          Elle a fait sa place dans un milieu particulièrement masculin en ne prenant partie politiquement.  Elle ne remet pas en cause le système dans lequel elle vit : elle réussit à travailler dans des domaines très divers, se met en scène dans des « réclames » de cigarettes ou de vin.  Elle disait elle-même qu'elle travaillait comme une prolétaire pour avoir de l'argent. Elle a cependant réussi à être reconnue comme une grande écrivaine, devenant la deuxième femme à obtenir le prix Goncourt, à être enterrée avec des obsèques nationales.... Alors ?

          Ses livres abordent les sujets qui ont traversé sa vie :  « les vrilles de la vigne » évoque son amour pour son amante Missy, (Mathilde de Morny). Dans « Sido », elle se penche sur sa mère.  « Claudine » est une jeune adolescente irrevérencieuse et insolente.

          Ses récits sont aussi marqués par ses valeurs que nous qualifierions aujourd'hui de féministes, même si elle ne se définissait pas comme telle. L'éducation que lui donne sa mère, Sido, est particulière, habituellement non destinée aux petites filles : sa mère est républicaine, anticléricale ; elle lui apprend à être libre, le contact avec la nature et une solide culture. J'ai choisi de lire "le blé en herbe" pour un thème que je trouve très moderne pour l'époque : il a été écrit en 1923, il y a tout juste un siècle. C'est l'histoire d'un garçon et d'une fille ados, en vacances comme tous les ans depuis leur naissance. Ils se découvrent amoureux. Dans le même temps, le garçon rencontre une femme d'une trentaine d'années avec qui il vit sa première aventure sexuelle. Dans notre XXIème siècle, traiter ce type de relation n'a encore rien d'évident. J'imagine ce que ce devait être du temps de Colette !
          Autant j'ai trouvé l'histoire de ces jeunes très forte : Vinca est très lucide sur sa place de future femme mais n'entend pas se laisser faire et prend  par exemple l'initiative de la relation sexuelle ; Phil, parfait petit macho bourgeois, a bien compris qu'il avait tous les droits vis à vis de Vinca en tant que homme et sa fatuité le rend insupportable... En fait, Colette inverse les codes attribués aux genres : Phil s'évanouit et Vinca est hardie comme un garçon. Les superbes descriptions de la nature s'imbriquent étroitement avec le récit et lui donnent un cachet  unique «art nouveau » qui participe au génie de Colette. Elle aborde un sujet qu'elle-même a vécu, dans le personnage de la « Dame Blanche ».

          Elle a aussi abordé d'autres sujets tels la bisexualité,  les relations mère-fille, maternité, homosexualité, avortement… et même la ménopause et la vieillesse en général, sujets absolument avant-gardistes pour l'époque. Elle pose des questions sur le mariage « Est-ce que je ne vaux pas plus que cet amour qui passe par le mariage et qui, finalement est un asservissement ? » écrit son héroïne principale, Renée Nérée dans « Entrave ». Elle ajoute : « Vous pouvez être pleinement être libre en l'absence d'un homme » Et quand on s'étonne de la force de son héroïne, elle répond ; « Non, elle n'est pas en acier, elle est en femme. C'est bien plus solide. »

Nous allons faire une pause musicale avec un extrait de « l'enfant et les sortilèges » opéra écrit par Maurice Ravel. Colette a écrit le livret de cette œuvre. Voici donc une autre facette du talent de Colette. Ce morceau est interprété par Tobias Westman & Marie Andrée Bouchard-Lesieur (2'57'')      

                   




          Et maintenant, il y a cette phrase : « Femme, Vie, Liberté » qu'elle a prononcée en 1932, d'après Stéphane GUEGUAN dans « la Revue des Deux Mondes » du 27 janvier 2023. Nous avons pu constater qu'elle correspond parfaitement au portrait de Colette.

          Il est extraordinaire que ces simples mots prononcés il y a 90 ans, connaissent le destin de devenir le slogan des femmes iraniennes qui depuis un an maintenant - depuis le meurtre de  (Jina en kurde) Masha Amini, cette jeune femme kurde tuée par la police des moeurs pour une mèche de cheveux qui depassait de son foulard,- depuis un an se battent pour leur vie, leur liberté. 

Ces mots forment un espèce de pont entre deux mondes, deux époques, deux réalités si différentes mais parlent exactement de la même chose.
          Et Colette, en écrivant ces mots, résume bien le combat de toute sa vie, celui d'être libre dans sa vie tout en faisant ce qu'elle veut en tant que femme. Elle  a affronté le carcan du patriarcat. Et elle disait justement que son arme était son corps : elle a osé se denuder au théâtre, osé embrasser son amante Missy sur scène, osé mettre des mots sur tout ce qu'elle voulait dénoncer la conditions des femmes de son époque. Elle a osé travailler, faire ses expériences, s'engager de tout son être dans ses choix de vie.

          Son corps, c'est aussi ses cheveux, ce casque touffu qui a rendu son visage inoubliable. Surtout à la fin de sa vie, les photos mettent en valeur ses cheveux rebelles !

          Ses cheveux courts mais denses, aussi emblématiques que ceux des femmes iraniennes que la dictature religieuse veut cacher sous un foulard, même au prix de la mort. Les cheveux, c'est la vie. Les femmes iraniennes le savent. C'est la liberté.... accepter de les cacher au nom d'une religion qui les considèrent comme inférieures, c'est accepter de rogner cette part de liberté.          
          À l' époque de Colette, porter les cheveux courts n' était pas si répandu. Il a fallu la mode "garçonne" dans les années 20 pour que les femmes coupent leurs cheveux. C'était aussi une forme de liberté, d'émancipation, de revendication pour l'égalité des sexes... Colette n'a pu rester insensible à cette mode, même si elle a toujours eu les cheveux courts. Elle avait  alors 50 ans. À cette époque donc, couper ses cheveux était un marqueur, un signe de liberté.

          La différence fondamentale est peut-être son manque d'analyse politique qui la faite « collabo ». Elle a écrit plus de 1200 articles pour des grands journaux comme le Figaro après la Libération, journal de droite démocratique, mais aussi « La Fronde » de Marguerite Durand qui est un journal centre gauche, féministe, et dreyfusard. A sa fondation, celui-ci est qualifié de « quotidien politique, littéraire, dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes ». Pendant la seconde guerre, elle écrit dans un journaliste collaborationniste et pétainiste, « le Petit Parisien », alors que son dernier mari, Maurice Goudeket est juif !

          Je pense cependant que en tant que femme et ayant un regard très pointu sur la condition féminine, elle aurait, à mon avis, soutenu ce combat pour l'avoir vécu dans sa chair. Les femmes iranniennes veulent la démocratie ; pour elles, c'est la garantie d'être libres. Et pendant ce temps, chez nous, en république démocratique, le fascisme risque de prendre le pouvoir grâce à des bulletins de vote !

           Une autre différence fondamentale à mes yeux est l'individualisme de Colette. Elle dit JE, jamais NOUS. Elle aime provoquer et assume ses contradictions. En Iran, le défi est collectif et perdure à ce jour.

          Ces mots sont aussi ceux de Narges Mohammadi qui vient de se voir attribuer le prix Nobel de la Paix. Cette journaliste de 51 ans a tout sacrifié pour lutter contre l'oppression des femmes en Iran mais aussi « pour la promotion des droits humains et la liberté de tous. » d'après le Comité Nobel. Celui-ci a longtemps été l'expression même du patriarcat de notre monde occidental : des hommes vieux, riches, blancs décernant chaque année des prix par spécialité dont celui de l'engagement pour la paix. En 2023, les cinq membres dont deux femmes ont décidé de mettre à l'honneur les femmes iranniennes par l'intermédiaire de Narges ; il s'agit d' une sacrée reconnaissance des méfaits du patriarcat en condamnant implicitement un régime profondément misogyne et saluant l'action de celles et ceux qui luttent.

          Narges est actuellement incarcérée dans son pays. Elle a écopé de 31 ans de prison et reçu 134 coups de fouet depuis le début de son engagement en 1998. Elle est le contraire de Colette : elle est entièrement dévouée à cette cause.

          FEMME, VIE, LIBERTé : Ces mots sont aussi le titre d'un roman graphique et collectif dirigé par Marjane SATRAPI, écrivaine qui a dû s'exiler en France. Elle est notamment l'autrice du livre «Persépolis ». Elle et d'autres portraitisent des femmes qui se sont soulevées depuis un an contre le régime théocratique et liberticide des mollahs iraniens. Ce livre vient d'être édité par «  l'Iconoclaste ».

          Autre bonne nouvelle qui montre que le regard d'une certaine société évolue sur les femmes : le prix de la banque de Suède, appelé aussi « le Nobel d'économie » a été attribué à Claudia Goldin pour son travail sur les inégalités femmes-hommes sur le marché du travail.

          Ces mots peuvent donc se conjuguer à l'infini quelque soit l'époque, le continent ou le choix des femmes.

          Une femme, des femmes, les mêmes mots : FEMME, VIE, LIBERTé !           

          Ces mots n'ont jamais eu autant de force aujourd'hui, en français comme en farsi, et toutes les langues du monde.

  

Féministes tant qu’il le faudra

Bonne écoute 

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