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COLETTE : « FEMME, VIE, LIBERTE »
Buste de
Colette installé devant sa maison à St Sauveur en Puisaye à l'occasion du 150
ème anniversaire de sa naissance en janvier 1923.
Encore une fois, pendant mes balades estivales, j'ai fait des découvertes. Cette fois-ci, le hasard m'a amenée à ST SAUVEUR EN PUISAYE, dans l'Yonne. Petit village de caractère. Village de naissance de Colette, l'écrivaine. Joli musée fort bien fait qui célèbre en 2023 le cent cinquantenaire de sa naissance en 1873. A première vue, j'ai le souvenir scolaire d'une écrivaine très poétique mais très vite ennuyeuse. C'est donc plutôt affaire de circonstance qui m'a fait revisiter l'histoire et l'oeuvre d'une femme que je découvre... exceptionnelle...et féministe, ce qui m'a laissée pantoise. Jugez plutôt :
Tout d'abord, sa vie est un roman à elle toute seule : une écrivaine prolixe avec 52 romans, une énergie et une soif de vie qui lui ont permis de faire face à sa manière aux aléas pourtant sombres de sa vie à une époque où il était plutôt bien vu pour une femme de rester à la maison et obéir à son mari. Elle a d'ailleurs commencé sa vie conjugale comme ça : mariée à vingt ans, elle a écrit à la demande de son mari éditeur. Il a tout bonnement signé ses livres qui ont eu un succès fou, les Claudine, « Claudine s'en va », « Claudine en ménage », « Claudine à l'école » ............ » de Willy !!!!! Il a vendu les droits d'auteur et Colette s'est retrouvée sans argent. Dès qu'elle a pu financièrement, elle a divorcé et entamé une carrière tous azimuts au cours de sa vie : danseuse de cabaret, actrice au théâtre, cheffe d'entreprise de produits de beauté, journaliste reporter... tout en continuant à écrire. En tant que journaliste, elle a couvert l'actualité en se rendant sur les lieux, a assuré en particulier des chroniques judiciaires. Car elle a toujours dû travailler pour vivre et être indépendante. Elle a vécu mille vies sentimentales : « Je veux faire ce que je veux ! »
J'ai découvert une femme féministe. Pourtant, elle se défie
de ce terme et a même des mots très durs pour les suffragettes : « Ah non ! Les suffragettes me
dégoûtent. Et si quelques femmes en France, s'avisent à les imiter, j'espère
qu'on leur fera comprendre que ces mœurs là n'ont pas cours en France.
Savez-vous ce que méritent les suffragettes ? Le fouet et le
harem... » (Maurice Dekobra, Paris-Théâtre, 22 janvier 1910 . II, x). De
plus pour elle, les femmes ne devraient pas se mêler de politique. En
cause ? Leurs règles qui induiraient une humeur changeante :
« seulement elles ont (…) deux ou trois jours par mois au cours desquels
elles sont irritables, colériques, imprévisibles. Or ces jours-là, les affaires
publiques poursuivent leurs cours. » (Colette, L'Herne, p. 205) Elle n'est
pas spécialement favorable au droit de vote pour les femmes, tout comme George
Sand. Alors ?
Elle
a fait sa place dans un milieu particulièrement masculin en ne prenant partie
politiquement. Elle ne remet pas en
cause le système dans lequel elle vit : elle réussit à travailler dans des
domaines très divers, se met en scène dans des « réclames » de
cigarettes ou de vin. Elle disait elle-même
qu'elle travaillait comme une prolétaire pour avoir de l'argent. Elle a
cependant réussi à être reconnue comme une grande écrivaine, devenant la
deuxième femme à obtenir le prix Goncourt, à être enterrée avec des obsèques
nationales.... Alors ?
Ses récits sont aussi marqués par ses valeurs que nous
qualifierions aujourd'hui de féministes, même si elle ne se définissait pas
comme telle. L'éducation que lui donne sa mère, Sido, est particulière,
habituellement non destinée aux petites filles : sa mère est républicaine,
anticléricale ; elle lui apprend à être libre, le contact avec la nature
et une solide culture. J'ai choisi de lire
"le blé en herbe" pour un thème que je trouve très moderne pour
l'époque : il a été écrit en 1923, il y a
tout juste un siècle. C'est l'histoire d'un garçon et d'une fille ados, en
vacances comme tous les ans depuis leur naissance. Ils se découvrent amoureux.
Dans le même temps, le garçon rencontre une femme d'une trentaine d'années avec
qui il vit sa première aventure sexuelle. Dans notre XXIème siècle, traiter ce
type de relation n'a encore rien d'évident. J'imagine ce que ce devait être du
temps de Colette !
Autant
j'ai trouvé l'histoire de ces jeunes très forte : Vinca est très lucide sur
sa place de future femme mais n'entend pas se laisser faire et prend par exemple l'initiative de la relation
sexuelle ; Phil, parfait petit macho bourgeois, a bien compris qu'il avait
tous les droits vis à vis de Vinca en tant que homme et sa fatuité le rend
insupportable... En fait, Colette inverse les codes attribués aux genres :
Phil s'évanouit et Vinca est hardie comme un garçon. Les superbes descriptions
de la nature s'imbriquent étroitement avec le récit et lui donnent un cachet unique «art nouveau » qui participe au
génie de Colette. Elle aborde un sujet qu'elle-même a vécu, dans le personnage
de la « Dame Blanche ».
Nous allons
faire une pause musicale avec un extrait de « l'enfant et les
sortilèges » opéra écrit par Maurice Ravel. Colette a écrit le livret de
cette œuvre. Voici donc une autre facette du talent de Colette. Ce morceau est
interprété par Tobias Westman & Marie Andrée Bouchard-Lesieur (2'57'')
Et maintenant, il y a cette phrase : « Femme, Vie, Liberté » qu'elle a prononcée en 1932, d'après Stéphane GUEGUAN dans « la Revue des Deux Mondes » du 27 janvier 2023. Nous avons pu constater qu'elle correspond parfaitement au portrait de Colette.
Ces mots forment un espèce de pont entre
deux mondes, deux époques, deux réalités si différentes mais parlent exactement
de la même chose.
Et
Colette, en écrivant ces mots, résume bien le combat de toute sa vie, celui
d'être libre dans sa vie tout en faisant ce qu'elle veut en tant que femme.
Elle a affronté le carcan du patriarcat.
Et elle disait justement que son arme était
son corps : elle a osé se denuder au théâtre, osé embrasser son amante Missy
sur scène, osé mettre des mots sur tout ce qu'elle voulait dénoncer la
conditions des femmes de son époque. Elle a osé travailler, faire ses
expériences, s'engager de tout son être dans ses choix de vie.
Son
corps, c'est aussi ses cheveux, ce casque touffu qui a rendu son visage
inoubliable. Surtout à la fin de sa vie, les photos mettent en valeur ses
cheveux rebelles !
Ses
cheveux courts mais denses, aussi emblématiques que ceux des femmes iraniennes
que la dictature religieuse veut cacher sous un foulard, même au prix de la
mort. Les cheveux, c'est la vie. Les femmes iraniennes le savent. C'est la
liberté.... accepter de les cacher au nom d'une religion qui les considèrent
comme inférieures, c'est accepter de rogner cette part de liberté.
À l'
époque de Colette, porter les cheveux courts n' était pas si répandu. Il a
fallu la mode "garçonne" dans les années 20 pour que les femmes
coupent leurs cheveux. C'était aussi une forme de liberté, d'émancipation, de
revendication pour l'égalité des sexes... Colette n'a pu rester insensible à
cette mode, même si elle a toujours eu les cheveux courts. Elle avait alors 50 ans. À cette époque donc, couper ses
cheveux était un marqueur, un signe de liberté.
La différence fondamentale est peut-être son manque
d'analyse politique qui la faite « collabo ». Elle a écrit plus de
1200 articles pour des grands journaux comme le Figaro après la Libération,
journal de droite démocratique, mais aussi « La Fronde » de
Marguerite Durand qui est un journal centre gauche, féministe, et dreyfusard. A
sa fondation, celui-ci est qualifié de « quotidien politique, littéraire,
dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes ». Pendant la seconde
guerre, elle écrit dans un journaliste collaborationniste et pétainiste,
« le Petit Parisien », alors que son dernier mari, Maurice Goudeket
est juif !
Je
pense cependant que en tant que femme et ayant un regard très pointu sur la
condition féminine, elle aurait, à mon avis, soutenu ce combat pour l'avoir
vécu dans sa chair. Les femmes iranniennes veulent la démocratie ; pour
elles, c'est la garantie d'être libres. Et pendant ce temps, chez nous, en
république démocratique, le
fascisme risque de prendre le pouvoir grâce à des bulletins de vote !
Une autre différence fondamentale à mes yeux
est l'individualisme de Colette. Elle dit JE, jamais NOUS. Elle aime provoquer
et assume ses contradictions. En Iran, le défi est collectif et perdure à ce
jour.
Narges est actuellement incarcérée dans son pays. Elle a écopé de 31 ans de prison et reçu 134 coups de fouet depuis le début de son engagement en 1998. Elle est le contraire de Colette : elle est entièrement dévouée à cette cause.
FEMME, VIE, LIBERTé : Ces mots sont aussi le titre d'un roman graphique et collectif dirigé par Marjane SATRAPI, écrivaine qui a dû s'exiler en France. Elle est notamment l'autrice du livre «Persépolis ». Elle et d'autres portraitisent des femmes qui se sont soulevées depuis un an contre le régime théocratique et liberticide des mollahs iraniens. Ce livre vient d'être édité par « l'Iconoclaste ».
Autre bonne nouvelle qui montre que le regard d'une certaine société évolue sur les femmes : le prix de la banque de Suède, appelé aussi « le Nobel d'économie » a été attribué à Claudia Goldin pour son travail sur les inégalités femmes-hommes sur le marché du travail.
Ces mots peuvent donc se conjuguer à l'infini quelque soit l'époque, le continent ou le choix des femmes.
Une
femme, des femmes, les mêmes mots : FEMME, VIE, LIBERTé !
Ces
mots n'ont jamais eu autant de force aujourd'hui, en français comme en farsi,
et toutes les langues du monde.
Féministes tant qu’il le faudra
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