Tribune libre : LA GUERRE N A PAS UN VISAGE DE FEMME - 1ère Partie - Émission du 31 janvier 2024

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             La guerre ! Nous voulions croire le spectre d'une nouvelle guerre mondiale définitivement écarté. Depuis février 2022, la peur au ventre, nous assistons à un nouveau conflit international qui a attaqué l'Europe en Ukraine. Et nous sommes confronté.es à un exercice masculiniste dans laquelle tous les rôles sont tenus par des hommes. Le théâtre est sinistre : la violence, le pouvoir, le plus fort contre le plus faible, la force aveugle tiennent toute la place, ILS se battent, ILS se vengent, ILS montrent leurs muscles, ILS soumettent les plus faibles, notamment les femmes, ILS massacrent et tuent sans limite.

          Et puis le 7 octobre, un nouveau front  international s'est ouvert et un autre terrorisme s'ajoute à ce tableau déjà sombre : le Moyen Orient  explose sous les assauts de politiques tout aussi masculines et extrémistes qui sèment sur toute la planète le racisme et la religion tels des nuages de mauvaise augure. Notre Europe, symbole de paix dans sa raison d'être, me paraît pathétique et fragile...

          Et les femmes ? Comme d'habitude, victimes. Mais aussi combattantes ! 

Quand on parle de combattantes, on pense aux métiers habituellement recensés dans les armées tels que infirmières ou ambulancières - noms féminins. Et il y a aussi  des soldates tireurs d'élite,  mitrailleurs, conducteurs-mécaniciens de chars lourds, pilotes d'avion....- noms masculins. 

          La présence de femmes dans les armées a été relevée dès le IVème siècle avant notre ère, à Athènes ou Sparte. Durant la 2ème guerre mondiale,  le phénomène s'est amplifié dans de nombreux pays. Dans l'armée soviétique,  près de un million de femmes ont servi dans différentes armes. Actuellement, 12 % des femmes soldates ukrainiennes occupent des postes de combat.

          Pourtant, LA GUERRE N' A PAS UN VISAGE DE FEMME ! C'est le titre d'un livre que j'ai découvert par hasard. Il apporte un témoignage sur cette image des femmes à laquelle on ne pense jamais, tellement la guerre est associée au monde masculin. Ce livre a été écrit et publié en 1983 par Svetlana ALEXIEVITCH, écrivaine biélorusse, prix Nobel de littérature 2015. Il est édité chez « J'ai Lu ».  Elle nous raconte des femmes qui font la guerre. Son récit donne un écho étrange à ce qui se passe en Ukraine, même si le conflit dont elle parle est la deuxième guerre mondiale. Ces femmes sont russes et se battent contre les nazis. L'auteure a rencontré de nombreuses femmes et a fait un impressionnant travail de journaliste. Elle raconte une guerre que je ne connaissais pas. L'exploration de ce livre a été si dense que, exceptionnellement, je partagerai mon compte rendu avec vous en deux tribunes ; la première partie aujourd'hui sur le recrutement et le quotidien des femmes soldates et la deuxième, le regard des hommes à leur égard et vice versa puis le retour à la vie civile après quatre ans de guerre.

          Le contexte ? Le pacte germano-soviétique a fait long feu et le régime de Hitler attaque la Russie. Cette Russie-là englobe la Biélorussie, l'Ukraine sur sa côte Est. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, l'Ukraine se bat contre son seigneur d'hier. Staline commande et la propagande est une arme de diffusion massive impressionnante.  On peut lire sur les affiches placardées dans tout le pays : « La mère Patrie t'appelle », «Qu'as-tu fait pour le front ? »  Les jeunes femmes qui veulent partir à la guerre sont profondément convaincues de leur mission et nombreuses sont celles qui se sont volontairement  engagées corps et âme pour la Patrie, dès 15, 16 ou 18 ans : « la Patrie, c'est nous ». 

          Par exemple, Véra Sergueïevna ROMANOSVKAÏA, infirmière, témoigne :

          « Qui étaient nos filles, me demandez-vous ? Nous avions une jeune, Tchernova, elle était enceinte et elle portait des mines sur son ventre, là où battait le cœur de son futur enfant. Allez chercher à comprendre, vous, quelle genre de femmes c'étaient. À nous, ça nous importait peu, nous étions comme nous étions. On nous avait élevées dans l'idée que nous et la Patrie, c'est la même chose. Ou une autre de mes copines, qui traversait la ville avec sa fille : celle-ci sous sa robe, avait le torse enveloppé de tracts. La fillette levait les bras et se plaignait : « Maman, j'ai trop chaud... » Or dans les rues, il y avait des allemands partout, des policiers. »

          Elena Antonovna KOUDINA, simple soldate, chauffeur, explique :

          « Avant la guerre, des rumeurs circulaient, selon lesquelles Hitler se préparait à attaquer l'Union soviétique mais de tels propos étaient dangereux. Ils étaient sévèrement réprimés. On tenait les gens qui les propageaient pour des semeurs de panique. Les services compétents s'intéressaient à eux. Vous comprenez de quels services je parle ? Le NKVD... Les tchékistes... Si les gens murmuraient, c'était chez eux, à la cuisine et dans les appartements communautaires, uniquement dans leur chambre, la porte close. Mais quand Staline a parlé...Il s'est adressé à nous ; « Frères et sœurs.... » Aussitôt, tout le monde a oublié ses ressentiments... Nous avions un oncle prisonnier dans un camp à la Kolyma, un frère de maman. Il était cheminot. Un vieux communiste.  Il avait était arrêté sur son lieu de travail... Vous comprenez qui l'a arrêté ? Le NKVD... Notre cher oncle... Il avait des décorations qui lui venaient de la guerre civile. Maman a dit : « Défendons d'abord la Patrie, nous verrons le reste après. » Tout le monde aimait la Patrie. »

          Elles viennent de quitter l'école et n'ont jamais vécu en dehors de leur famille. Elles se retrouvent au front avec une formation limitée pour certaines et envoyées dans l'enfer, souvent à leur demande.        Elles racontent leur engagement :

          « On est arrivées au bureau de recrutement : on nous faisait aussitôt entrer par une porte pour ressortir par une autre. J'avais une tresse magnifique... Quand je suis ressortie, je ne l'avais plus ! On m'a fait aussi quitter ma robe. Je n'ai eu le temps de donner ni la tresse ni la robe à ma mère. Elle qui m'avait supplié de lui laisser quelque chose de moi. On nous a distribué sur le champ vareuses, calots et sacs de soldat et on nous a embarquées dans un train de marchandises... des wagons jonchés de paille... On a embarqué gaiement... Crânement... En échangeant des blagues... Où allions-nous ? »  Maria Ivanovna MOROZOVA

          Le livre consacre une partie importante à cet engagement massif des filles dans cette guerre et à leur foi totale dans le régime.

          Elles sont tireurs d'élite, conducteurs de char ou mécaniciens ou brancardiers. Pas de mot féminin. Dans ce livre, tous les métiers sont au masculin et je garderai cet orthographe qui pour moi signifie vraiment que les femmes deviennent des hommes quand elles sont à l'armée. Le féminin n'est pas autorisé, voir invisibilisé !!!!

          La guerre vécue au féminin est un mélange de sentiments et d'actes auxquels elles ne sont pas habituées. Ils sont même contre nature pour elles qui étaient destinées à à se marier et à s'occuper du foyer, à occuper des emplois dits féminins. De plus, le monde militaire ne s'est pas préparé pour les accueillir, pire ! Il essaie de les assimiler, les digérer en niant leur spécificités, système patriarcal hors norme....

          Elles racontent leurs vêtements taillés pour des corps masculins ou « On nous avait distribué des sacs, nous nous sommes taillé dedans des jupes. », les émotions qu'il faut gérer...Elles étaient  souvent très jeunes (17/18 ans) et ont grandi avec la guerre ! Sur un plan matériel, rien n'était prévu pour elles dans les dortoirs, les lieux pour se laver... Toutes les normes étaient masculines comme le poids et la composition du paquetage qu'il fallait porter des heures entières, dormir à la dure n'importe où...

          « On nous a donné des wagons... Des wagons à marchandises... Nous étions douze filles, et le reste que des hommes. On roule dix à quinze kilomètres, puis le train s'arrête. Encore dix à quinze kilomètres et l'on nous met de nouveau sur une voie de garage. Pas d'eau, pas de toilettes... Vous voyez le tableau ?

          À l'arrêt, les hommes allument un feu de camp. Ils secouent leurs vêtements au-dessus pour les débarrasser des poux, ils se sèchent. Mais nous, comment faire ? On court derrière un abri pour se déshabiller. J'avais un pull tricoté ; pas une maille, pas un millimètre de laine qui ne fût infesté de bestioles. J'ai eu envie de vomir en découvrant ça. Mais je ne serais pas allée faire griller mes poux avec les hommes ! J'avais trop honte ! J'ai balancé le pull et je suis restée en petite robe. » Nadejda Vassilievna ALEXEÏEVA, simple soldat, télégraphiste. 

Nous allons faire une pause musicale. J'ai choisi le « chant des partisans » écrit par Anna Marly. Cette femme, émigrée russe, a été une grande figure de la Résistance française. Elle s'appelait Anna Iourievna Smirnova et a composé cette chanson, en russe, pour donner du  courage à celles et ceux qui se battaient pendant la seconde guerre mondiale. À sa manière, elle a été une consoeur de ces femmes interrogées par Svetlana.

         

                      Elles abordent aussi des sujets tels que les menstruations, mais aussi toutes leurs difficultés dans ce monde hostile. Tellement hostile que certaines ont vu leurs règles disparaître : « Six mois se sont écoulés... à force de porter des charges trop lourdes pour nous, nous avions cessé d'être femmes. Nous n'avions plus de... Notre cycle biologique s'était détraqué...vous pigez ? C'était très effrayant ! C'est terrifiant de penser qu'on ne serait plus jamais femme... » explique Maria Nesterovna KOUZMENKO, sergent-chef, armurier.

Si ce sujet est régulièrement évoqué, il n'est jamais question des douleurs menstruelles.

          Le patriarcat se révélait aussi sous la forme du censeur qui a rencontré Svetlana plusieurs fois et a expurgé des passages qu'elle rajoutera plus tard :

          « On avait parcouru quarante kilomètres à pied... Tout un bataillon composé en majorité de filles. On crevait de chaud. Il faisait bien trente degrés. Beaucoup de filles avaient... comment dire... ce qu'on toutes les femmes... ça dégoulinait le long des jambes. On ne nous fournissait rien, n'est-ce pas ? Aucun moyen pour y remédier. Nous sommes arrivées à un point d'eau. Nous avons vu une rivière... et ces filles dont je parle s'y sont toutes précipitées. Mais les boches de l'autre côté ont aussitôt ouvert le feu. Ils visaient bien.... Nous, nous avions besoin de nous laver car nous avions trop honte devant les hommes.... Nous ne voulions pas sortir de l'eau et une fille a été tuée... »

          L'une d'elle résume : « J'ai l'impression d'avoir eu deux vies, une vie d'homme et une vie de femme... »

          Svetlana lui demande : « Vous avez eu du mal à vous habituer ?

Stanislava Petrovna VOLKOVA, sous-lieutenant, chef d'une section de sapeurs lui répond : « Je crois que je ne me suis jamais habituée. À peine avait-on fermé l’œil qu'on entendait hurler : « Debout ! » Et c'était comme si un coup de vent nous chassait du lit. On commence à s'habiller, seulement les femmes ont plus de linge que les hommes et voilà qu'un truc t'échappe des mains, puis un autre. Enfin on court au vestiaire, le ceinturon à la main. On attrape son manteau au passage et on file à l'armurerie, on enfile une housse sur sa pelle, on se la passe à la ceinture, on accroche la cartouchière par dessus, et on se boutonne à la va-vite. Puis on empoigne son fusil, on referme la culasse tout en courant et on dégringole littéralement du cinquième étage jusqu'en bas. Une fois en rang, on rectifie comme on peut sa tenue. Et pour tout ça, on ne vous donne que quelques minutes. » « Après la période de quarantaine, avant que nous prêtions serment, l'adjudant-chef nous a apporté nos uniformes et notre équipement de soldat : capotes, calots, vareuses, jupes. En guise de lingerie, nous avons reçu deux chemises de toile de coton coupées pour hommes, des bas et de lourdes bottines américaines, ferrées au talon et au bout. Dans ma compagnie, j'étais la plus petite : je mesurais 1,53 m et chaussais du 35. Naturellement, l'industrie militaire ne confectionnait pas d'uniformes de taille aussi ridicule, et l'Amérique ne nous en livrait pas davantage. J'ai eu droit à la pointure 43 ; j'enfilais et enlevais ces brodequins sans en délacer la tige, ils étaient affreusement pesants et quand je les portais, je n'avançais qu'en traînant les pieds. (…) Le commandant avait remarqué ma drôle de dégaine. Il m'interpelle : « Smirnova, c'est comme ça que tu marches au pas ? Est-ce qu'on ne t'a pas appris ? Pourquoi ne lèves-tu pas les pieds ? Je te colle trois corvées supplémentaires... »  Je réponds : « À vos ordres, camarades lieutenant-chef, trois corvées supplémentaires ! » J'ai fait demi-tour pour regagner les rangs, j'ai trébuché et je me suis affalée par terre... J'ai perdu mes grolle en tombant... J'avais les jambes en sang à cause des frottements ? C'est ainsi qu'il est apparu que je ne pouvais marcher autrement. On a alors donné ordre au cordonnier de la compagnie, un nommé Parchine, de confectionner des bottes avec de la vieille toile de tente, pointure 35...» Nonna Alexandrovna SMIRNOVA, soldat, servant d'une pièce de DCA.

      

          Lioubov Ivanovna LIOUBTCHIK, chef de section de mitrailleurs, raconte : « on nous a envoyées à l'école d'infanterie de Riazan. À la fin des classes, on est devenues chefs de sections de mitrailleurs. La mitrailleuse est lourde, il faut la traîner soi-même. Comme un cheval. La nuit. On est en faction et l'on guette chaque bruit. Comme un lynx. Le moindre bruissement. À la guerre, je vous dirai, on est à moitié des humains et à moitié des bêtes. Quelque chose de très ancien vous revient.  Sinon, on ne pourrait pas survivre... »

          Elles affrontent un univers inhospitalier comme elles n'en ont jamais vu, fait de  ruines et d'arbres calcinés, les champs pillés, les routes défoncées, le ciel de feu et de fumée envahi par le bruit des moteurs d'avions qui les pourchassent... Et les soldats, blessés, déchirés, ensanglantés, abandonnés sur place ou enterrés comme des chiens. Elles apprennent la vie dans la boue des terrains de guerre à ramper des journées entières, à ne plus savoir qu'elles sont des femmes, les heures à attendre dans le froid ou la chaleur, le bruit des armes, les odeurs de chair brûlée, de pourriture, la peur qui vous décompose et les traumatismes à vie mais aussi les courts moments où elles pouvaient se regarder dans un miroir ou broder. Mettre des mots sur ces événements enfouis les a souvent aidées, l'indicible devenant presque familier à force de répétition tout au long de ces mois, ces années de guerre. Elles ont raconté avec leurs mots à elles. Autant dire un monde à part pour elles, les femmes que les hommes ne peuvent soupçonner tant leur perception des faits est différente, tant le formatage est intense du côté des femmes comme celui des hommes. 

« Eux, ils avaient droit d'être en colère, de jurer, mais nous jamais. Un seul mot grossier  et l'on était punies, ça pouvait aller jusqu'aux arrêts de rigueur. » Véra Vladimirovna CHEVALYCHEVA – lieutenant-chef, chirurgien

          Une autre en se remémorant les odeurs, affirme que la guerre sent l'homme : les bottes, les portianki (bottes en simili cuir).

          Svetlana résume à sa manière : « Mais quelque soit le sujet qu'abordent les femmes, elles ont constamment une idée en tête la guerre, c'est avant tout le meurtre, ensuite c'est un labeur harassant. Puis en dernier lieu, c'est tout simplement la vie ordinaire ; on chantait, on tombait amoureuse, on se mettait des bigoudis... »

          Comment tuer un être humain... et leur "radicalisation" leur sont enseignés par le personnel politique. 

          Maria Ivanovna MOROZOVA, caporal, tireur d'élite se souvient : « Lorsqu'il (l'officier allemand) est apparu pour la troisième fois – juste un bref instant – car il surgissait et disparaissait presque aussitôt – j'ai décidé de tirer. J'ai pris cette décision et subitement une idée m'a traversée : c'est tout de même un être humain, un ennemi d'accord, mais un être humain. Mes mains se sont mises à trembler, un frisson m'a parcourue tout le corps. Une sorte de terreur m'a envahie... C'était difficile de tirer sur un homme après les cibles en contreplaqué. Presque impossible. Je le voyais très bien dans ma lunette de visée. Il paraissait tout proche. Et quelque chose en moi résistait... M'empêchait... Mais je me suis ressaisie et j'ai appuyée sur la détente... Il a agité les bras et s'est effondré. J'ignore si je l'ai tué ou seulement blessé. Mais après cela, j'ai été prise d'une crise de tremblement encore plus violente. J'étais comme terrorisée : moi, je venais de tuer un homme ?...

          À notre retour à la section, nous avons raconté ce qui m'était arrivé. On a organisé une réunion. Klava Ivanova, la responsable de notre cellule du Komsomol, a bien cherché  à me convaincre : « Il ne faut pas avoir pitié d'eux il faut les haïr... » Les nazis avaient tué mon père. (…) Mais ça n'a pas marché tout de suite... Tant s'en faut... Il a fallu d'abord se convaincre, se persuader. »

          Pour tuer, il faut avoir la haine, celle que l'on construit pour pouvoir tirer. Mais c'est certainement valable pour les hommes aussi.

 « Sans haine, on ne pourrait pas tirer. On est à la guerre, pas à la chasse. La guerre commence par la haine. Je me rappelle les cours d'instruction politique et l'instructeur qui nous lisait l'article de Ilya Erhenbourg intitulé «  Tue-le ! » Partout où tu croises l'ennemi, tue-le... » Un texte célèbre, tout le monde le lisait à l'époque. On l'apprenait par cœur. Il avait produit sur moi une forte impression. Sur moi et sur toutes les autres. » Valentina Pavlovna TCHOUDAÏEVA

          «J'étais servant d'une mitrailleuse. J'en ai tant tué... J'étais habitée par une telle haine... J'en suffoquais... Après la guerre, j'ai longtemps eu peur d'avoir des enfants. J'en ai eu quand je me suis sentie un peu apaisée. Au bout de sept ans... Epargnez-moi... Ne citez pas mon nom. Je ne veux pas que quelqu'un sache... Que mes enfants sachent... Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai rien pardonné. Je ne pardonnerai jamais... »   

          Svetlana pense que chaque femme raconte sa guerre en fonction de son métier pendant la guerre et donc son rapport à la mort : « Notre camp avait été installé en forêt. Je suis rentrée après un vol et j'ai décidé d'aller faire un tour dans les bois car c'était au milieu de l'été, à l'époque où mûrissent les fraises des bois. J'ai suivi un sentier et soudain, j'ai vu un Allemand... mort... déjà tout noir.. Vous savez, j'ai été prise de peur. Car auparavant, je n'avais jamais vu de mort, même si je faisais la guerre depuis plus d'un an. Là-haut, c'était différent... Lorsqu'on vole, on n'a qu'un seul objectif : trouver la cible, lâche r ses bombes et revenir. Nous n'avions jamais été confrontées à des cadavres. Nous ne connaissions pas cette peur-là. » A. BONDAREVA, lieutenant de la garde, chef pilote.

I.               ZININA, simple soldat, cuisinière raconte : « Après le combat, il arrivait qu'il ne reste plus personne... On faisait cuire une marmite de kacha (bouillie de céréales), une autre de soupe et puis on avait personne à qui les donner... »

          Voici donc ces quelques témoignages parmi des centaines qui relatent la vie quotidienne des femmes soldates russes pendant la deuxième guerre mondiale. Ils sont très datés du fait du contexte politique de l'époque soviétique mais suffisamment  explicites sur la vie de femme dans ce monde « impitoyable » pour aborder ce sujet des femmes militaires dans le système patriarcal. Je vous conseille ce livre malgré cela et malgré aussi la vision de l'autrice sur les femmes qu'on qualifierait aujourd'hui, d' « essentialiste ». Dans le même temps, j'ai été très touchée par sa capacité à nous transmettre la diversité de ces vies marquées à jamais, l'intensité de ce que ces milliers de femmes ont vécue, comment elles le racontent.  Donc grâce à tout ça, je vous propose de continuer à explorer leurs histoires en insistant cette fois sur les rapports femme/homme et sur les difficultés qu'elles ont rencontrées lors de leur retour à la vie  civile. Nous nous retrouverons lors de la prochaine tribune le 28 février. 


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