Tribune libre : Visite au Musée. … ou plutôt au Centre International de la langue française - Émission du 27 mars 2024

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Visite au Musée. … ou plutôt au Centre International de la langue française

Plafond de la cour du Jeu de Paume de la cité.

Et oui, j'étais très curieuse de découvrir ce musée un peu particulier installé dans une petite ville de 10 000 habitant.es en Picardie. J'avais un compte à régler avec Môssieur le Président qui avait inauguré ce lieu fin 2023 avec notamment la phrase suivante qui m'avait valu de lui consacrer une tribune très énervée en décembre 2023 : « dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n' a pas besoin d' y ajouter des points au milieu des mots ou des tirets." … et je voulais savoir comment ce sujet était traité, s'il était traité !!!!

          Ce thème de la langue française ne pouvait que me plaire tant j'aime écrire et jouer avec les mots. J'étais donc curieuse de toute façon en me demandant ce que j'allais trouver ! Le château a été restauré et c'est dans un lieu mêlant modernité et clacissisme que la cité a vu le jour l'année dernière.

          Tout d'abord, le français est évoqué comme une « langue monde ». Quelle belle expression ! Une langue qui est parlé sur plusieurs continents. Evidemment, les colonisations, les conquêtes de territoire, les migrations de populations, mais aussi les explorations, les arts, la philosophie, le siècle des Lumières avec ses découvertes scientifiques et ses encyclopédies ont permis cette diffusion internationale. Il est précisé que « la cohabitation du français avec d'autres langues et cultures l'a métissé ; on ne parle pas partout avec les mêmes mots, les mêmes tournures, les mêmes accents. Il tire de cette variété un important dynamisme et constitue un véritable « monde » de créations. » Jusque là, je suis complètement raccord. Je poursuis ma visite : « à l'écrit comme à l'oral, la langue française est matière à créations artistiques. Poètes et romanciers, mais aussi chanteurs, conteurs, dramaturges ou plasticiens- plus récemment cinéastes, auteurs de bandes dessinées ou rappeurs – en exaltent les capacités expressives. En l'inventant, en la réinventant, ils font sa vitalité et contribuent à son rayonnement. » Bon, et ben non ! Je ne suis plus du tout d'accord. Si j'ai bien compris, on veut bien que la langue française évolue... mais sans les femmes. Que des références masculines. C'est clair, net. On veut bien que cette langue se métisse avec toutes les langues du monde..... mais sans les femmes. Le genre féminin n'est pas concerné et surtout ne doit pas intervenir dans cette évolution ! Je trouve que après #Me Too, ça ne passe pas !!!!! En regardant de près, tout ça nous fait un demi-monde !!! On évacue directement la moitié du genre humain. Une paille !!!!

          Le poète a dit : « ce qui n'est pas nommé n'existe pas ». Alors où sont les poétesses (Louise Labbé), les romancières (George Sand), les chanteuses (Samuele), les conteuses (Layla Darwiche), les dramaturgesses (Yasmina Reza), les plasticiennes (Niki de Saint Phalle),  les cinéastes (Agnès Varda), les autrices de Bandes dessinées (Pauline Bagieux) ou les rappeuses ( Chilla) qui exaltent les capacités expressives de notre langue.....

Je continue la visite : « Ces œuvres nous rappellent que la langue nous  accompagne dans toutes les circonstances de la vie. Elle nous permet  d'exprimer les nuances des passions, des colères, des enthousiasmes. » oui  mais au masculin !!! « au fil des siècles, la langue française s'est enrichie de milliers de mots venus d'ailleurs, au grè des conquêtes militaires, des échanges culturels et commerciaux. » donc on accepte sans problème le « anorak » des canadiens, le « bungalow » des indiens, l « amiral » des arabes sans parler du jargon globish qui envahit tous les espaces écrits mais si je vous parle des directeurices, des écrivaines, on nous fait de multiples procès nous reprochant de polluer notre belle langue. Quelle mauvaise foi !!!! ce n'est pas fini : « Comme toutes les langues, le français comporte des règles d'emploi : s'accorder sur une façon de parler permet de se comprendre. Cependant, la norme n'empêche ni la diversité, ni l'évolution des usages : elle les accompagne. » Il a dû s'étrangler Môssieu le prézidan quand il a lu ça !!! « Ces variations qui concernent autant la grammaire que le vocabulaire ou la prononciation, résultent pour partie d'inventions langagières et d'emprunts à d'autres langues, régionales ou étrangères.....Qu'est-ce que d'ailleurs le français sinon une langue issue du latin, à base celtique, nourrie par les langues germaniques et puisant sans cesse des mots dans toutes les langues du monde ? C'est une langue composite, métissée, vivante, de plus en plus diverse au sein des mondes francophone. Elle doit constamment se réinventer pour répondre à des besoins nouveaux de nommer. » Voilà, c'est écrit en toutes lettres !!!! Elle doit constamment se réinventer pour répondre à des besoins nouveaux de nommer. Bien sûr ! Et quand les féministes proposent des mots nouveaux pour parler d'elles, on leur claque la porte au nez. Nous sommes bien dans l'idéologie : la langue pour mecs qui parle aux mecs.

          Nous allons faire une pause musicale avec une artiste qui a particulièrement joué avec les mots pour le plaisir des petites comme des grandes oreilles : Anne Sylvestre chante « Chaud, chaud le ventilateur ».



         Bien entendu, je suis arrivée au chapitre de la création de l'Académie Française par Louis XIII suivant les instructions de Richelieu, en 1635. Neuf lignes. Point. Pas un mot sur Vaugelas et son obsession « le masculin est plus noble que le féminin ». On est dans un musée, un lieu de savoir !!!!Ben non ! Ecoutez-moi ça : « Sa principale mission est de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » Richelieu nomme Vaugelas pour présider cette académie française. Celui-ci interprète « pureté » en hiérarchisant les genres de la grammaire !!!! Pas un mot sur son travail qui a consisté par exemple à supprimer les mots qui parlaient « femmes ». Je rappelle qu'au Moyen-Age, les femmes avaient des noms de métier par exemple : les médecines, les peintresses ! Ce travail de sape a continué au fil des siècles. On ne parle même  pas,  à la Révolution, d'une requête des femmes dans un projet de décret à l'Assemblée Nationale en 1792 qui dit : « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le plus noble attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles. »   L'Académie Française s'est faite l'outil impitoyable de ce parti pris encore aujourd'hui puisqu'elle est vent debout contre l'idée d'écriture inclusive, avec des arguments parfaitement opposés à tout ce que je viens de vous lire, imprimés sur les murs de ce château. Coucou ! #Je vous rappelle que #Me Too est passé par là et que la parité est au programme avec l'égalité !!! On se croirait dans un vieux musée qui a oublié de vivre avec son époque. On peut bien mettre des écrans partout dans les salles si on n'est pas capable de concourir à la devise « égalité » écrit sur le front des mairies. C'est vrai que Villers-Cotterêts est une ville passée au Front/Rassemblement National et que en ce qui concerne l'égalité, ce n'est pas leur objectif de civilisation. Môssieur le praisydent non plus d'ailleurs..... qui lui court après pour capter ses voix. Pathétique et contre-productif !!! On fait d'un musée un  outil idéologique !!!!! D'ailleurs, dans ce musée, peu de femmes. J'ai découvert Paulette Nardal, écrivaine martiniquaise du début du Xxème siècle qui a écrit : « Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d'étincelles. Nous n'étions que des femmes !  Nous avons balisé les pistes pour les hommes. » Mais les femmes restent des balises, invisibilisées et oubliées....

          Donc , je résume : la langue française reste digne de Monsieur de Vaugelas, diffusée par les 829 alliances françaises disséminées dans le monde, chargées à d'apprendre le français, de faire vivre la culture française.... machiste : « l'homme est plus noble que la femme ».

          Sinon, ce lieu est très intéressant et nous fait découvrir les accents, les pays où est parlé et transformé le français, les personnalités qui ont oeuvré à cette diffusion de notre langue. On peut jouer avec les mots et s'apercevoir que le français, langue difficile à apprendre, ajoute des exceptions à des exceptions, utilisent des formules pleines de fantaisie comme les virelangues (Madame la Duchesse, ses chaussettes sont-elles sèches, archisèches ? », des oxymores (la clarté sombre) ou les palindromes (mot qui se lit dans les deux sens – KAYAK, etc). J'ai découvert ou redécouvert les  antiphrases (C'est du joli !!!), les hypallages (ils allaient, obscurs, dans la nuit silencieuse), les paronomases  (qui s'excuse s'accuse), les zeugme (l'air était plein d'encens et les prés de verdure).....Nous avons entendu la voix de Jeanne d'Arc et de Colette, les accents des québecois et des gens du Poitou. Nous avons fait des tests de grammaire et découvert des poètes qui nous font rêver avec la langue (Apollinaire) ou Monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir.

          La librairie par contre, quoique petite, est intéressante et j'ai trouvé des BD sur l'histoire des femmes aux éditions Bayard et « MEUF, un guide pour nos filles » aux éditions Le Lombard...

          J'espère que les choses vont évoluer et qu'une nouvelle salle ouvrira bientôt sur ce sujet de l'écriture inclusive.

          Et pour finir, ou pour commencer, nous avons appris pourquoi ce château de Villers-Cotterêts a été choisi : c'est ici que François Premier a signé « l'Ordonnance générale sur le fait de justice » qui vise, entre autres, à imposer l'écriture française dans toute l'administration et la justice du pays. C'était en 1539. 





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