Tribune libre : Du sang et des larmes

Pour écouter l'émission cliquez ICI  


                      DU SANG ET DES LARMES        

La préhistoire a longtemps été  le domaine des hommes ; on parlait de l'homme préhistorique, jamais de la femme préhistorique. Depuis quelques années, des découvertes intéressantes -  notamment Lucy, première femme à avoir été étudiée en 1974 et qui est née il y a 3,18 millions d'années maintenant -  ont changé le regard des  spécialistes qui osent imaginer une histoire au féminin, une évolution au féminin.

Je précise donc que l'équipe qui a découvert son squelette est exclusivement composée d'hommes, que les critères retenus pour la considérer comme « femme » sont un aspect gracile, une petite stature, et un bassin en forme de bol.  Je trouve ça peu et beaucoup : peu car ce sont cinq mecs qui en examinant le sujet, ont décrété que c'était une femme avec très peu d'indices. Avant, les spécialistes n'avaient jamais pensé trouvé un squelette féminin !!! c'est beaucoup car ces quelques hommes blancs, vieux, occidentaux qui ont le savoir formaté et patriarcal donnent un avis sur un sujet qui concerne aujourd'hui neuf milliards de personnes dont une majorité de femmes.

         Ceci dit, c'est intéressant car nous avons besoin d'avoir une vue globale sur l'histoire des femmes depuis la nuit des temps pour comprendre ce qu'elle est aujourd'hui et pourquoi. D'ailleurs, le fait que Lucy soit une femme est remis en question à ce jour. Il existe des garçons graciles ! Le prisme que nous allons utilisé est la division sexuelle des tâches à la Préhistoire. Comment s'est-elle réalisée ? Sur quels critères ? En ce qui me concerne, si je pense que la femme a toujours eu un rôle différent de l'homme dans cette société primitive ne serait-ce que de par leur morphologie respective, je voudrais bien comprendre pourquoi différence rime avec inégalité, ce qui semble se confirmer au fil des études de paléontologues.

         Pour appuyer ma tribune, j'ai utilisé deux livres : « l'amazone et la cuisinière » de Alain Testard et « FAIMinisme » de Nora BOUAZZOUNI qui parle du rôle de la femme dans le processsus de la nourriture nécessaire à l'espèce humaine. Passionnants et déroutants.....

          Pendant la Préhistoire, la thèse d'une sédentarisation des femmes liée à la  grossesse et l'élevage des jeunes enfants  expliquerait leur exclusion de la chasse. 

Nora évoque « le choix des femmes d'activités compatibles avec la maternité. ». Au XXI ème siècle, la cueillette se fait dans le supermarché et la chasse est devenu le travail rémunéré ; la répartition sexuée est toujours réelle alors que la nécessité biologique du départ n'existe plus dans notre société.

          L'homme chassait et commandait le groupe. Les grottes qu'ils occupaient étaient décorées par les hommes et les peintures découvertes sur les parois évoquaient justement la chasse, les animaux poursuivis, les outils utilisés, etc.... mais aussi la trace de femmes, souvent enceintes !! Et puis dans la grotte de Pech Merle, ce sont des mains dessinées qui ont amené un professeur d'anthropologie à envisager que ces mains avaient été dessinées par  des femmes et des enfants, et que ce qui s'est révélé être souvent le cas, d'ailleurs.... Ca alors !!!!

         Cette constatation a longtemps échappé aux préhistoriens qui nous racontaient la division sexuelle du travail. Nora nous explique : « La thèse largement admise est celle de la mobilité : la sédentarité des femmes dès la préhistoire serait le fruit d'une réalité biologique, à savoir leur rôle dans la reproduction et donc la survie d'une tribu. Porter un enfant, le mettre au monde, l'allaiter durant les premières années de sa vie ont fait des femmes des gardiennes naturelles d'une progéniture sujette à une mortalité infantile très élevée et qui devait pas mal encombrer quiconque tentait de pister le sanglier. L'historienne Gefrda Lerner estime que ce compartimentage fut d'abord délibéré : les femmes « choisissaient des activités compatibles  avec la maternité et la dimension fonctionnelle de ce choix les rendant acceptable pour les hommes et les femmes. «  Elle en conclut que « les groupes qui acceptaient et institutionnalisaient une division sexuée du travail fonctionnelle avaient plus de chances de survivre. »

Nous allons faire une pause musicale qui n'a alors strictement rien à voir avec le sujet : SAMUELE : LA REVOLTE

        


         Une autre théorie est développée par Alain Testard. Dans son essai posthume L’amazone et la cuisinière — Anthropologie de la division sexuelle du travail.

L’anthropologue avance lui une thèse sociétale : les hommes primitifs n'empêchaient pas les femmes de chasser car il existe de multiples façon de chasser. Par contre, d’après lui, elles ne pouvaient chasser en faisant jaillir le sang, tout comme le sang menstruel jaillit au moment des règles. C'est la portée symbolique du sang féminin, notamment menstruel, porteur de vie, qui a poussé les hommes à élaborer de nombreux interdits basés sur des superstitions. On aurait donc interdit aux femmes d’utiliser des outils et armes tranchantes avec lesquelles elles pouvaient donner la mort en faisant couler le sang : « Tout se passe comme si la femme ne pouvait mettre en jeu le sang des animaux, alors qu’il est question en elle de son propre sang. Tout se passe comme si on ne pouvait cumuler un sang et un autre.» Le sang menstruel a toujours était l'objet de fantasmes qui perdurent aujourd'hui comme le rite du Chaupadi au Népal qui oblige les femmes qui ont leurs règles de s'exiler dans un abri en dehors du village pendant cette période car elles sont considérées comme  impures.

 Voici comment Alain Testard illustre sa théorie : « Pour que le sang ne jaillisse pas, la femme utilise des outils qui écrasent, pulvérisent, assouplissent les tissus. Pas de sang qui jaillit. Pour les hommes, ce sont des actes comme transpercer, éclater, couper. » « On peut parler de division technique entre les sexes. »  Il précise : « Une même loi régit l'ensemble des travaux selon la nature des gestes techniques qu'ils supposent. On voit aussi comment la mise à jour de cette loi générale permet de réfuter définitivement les explications les plus courantes de la division sexuelle du travail – qu'elles se donnent en terme de force physique différente selon les sexes, de mobilité, de compatibilté des soins à donner aux enfants ou de proximité du domicile. » Il donne l'exemple de la vannerie qui est un artisanat « féminin » et l'industrie de la pierre qui elle est masculine ; ces deux techniques ne nécessitent aucune force physique et sont des tâches très techniques qui peuvent toutes les deux se faire dans le cadre domestique.

         En résumé, « l'outil féminin n'attaque pas la matière par un choc qui risque de la faire éclater en son cœur. Il s'adresse plutôt à sa surface, qu'il traite par raclage, abrasion, décorticage, éventuellement écrasement ; ou s'il s'agit d'un percement, il ne perce que l'enveloppe, peau ou vêtement, d'un corps qui reste intact. » L'objectif est que : « la femme étant sujette à de graves perturbations qui l'affectent en l'intérieur de son corps, elle évitera de produire de telles perturbations dans l'intérieur des corps qu'elle travaille. » Il faut voir dans cette formulation une vision masculine qui a été banalisée, véhiculée par les mythes et les religions, le sang devenant un symbole.

Et cette lecture symbolique permet d'appliquer des interdits qui frappent les femmes et glissent lentement mais sûrement vers une infériorisation sociale. Car en soi, la nature n'interdit rien. Ce sont les humains qui l'interprètent et élaborent les contours de leur société. Déjà chez les chasseurs-cueilleurs en Australie, les femmes avaient interdiction de toucher les armes qui devenaient alors inefficaces. Dans nos sociétés occidentales rurales, c'est l'homme qui tue le cochon, les hommes qui portent les armes. Deux exceptions.... qui n'en sont pas : Artémis Chasseresse, déesse de la Grèce Antique de la chasse est vierge, entourée de femmes. Jeanne d'Arc, vierge, frappée d'aménorrrhée tel qu'il est consigné dans les minutes de son procés. : « Quand le sang ne coule pas en la femme, celle-ci peut porter les armes. »

         Et cet interdit du sang est si fort qu'il intervient dans la composition des sociétés pour éviter l'inceste, que le sang soit le même dans une famille. L'auteur a fait des comparaisons avec les religions (« le sang » du Christ interdit à toute femme d'être prêtre pour faire la messe), la guerre qui est un domaine particulièremement masculin, très hostile aux femmes, la gestion des animaux (la bouchère ne tue pas les bêtes, elle vend la viande).

         C'est l'exclusion qui est la réponse que l'on retrouve partout dans le monde, à quelque période que l'on soit. Le sang qu'elle perd rendant la femme impure, elle se voit exclue pendant ses règles, mise à l'écart de la vie sociale.... Au fur et à mesure, la symbolique prend le dessus du fait biologique. Tout un ensemble d'interdits se sont multipliés et ont fini par constituer un continuum de préjugés que nous appelons patriarcat.

         Et le livre de Nora est un biais pour se plonger dans un monde particulièrement patriarcal, celui de la cuisine ; en détaillant tout le processus de la création de la nourriture jusqu'à son rôle auprès de chaque individu, on peut mesurer l'emprise de ce système qui fait toujours autant de dégâts aujourd'hui, de part le monde. Car avec le sang, il y a les larmes, toutes ces larmes épanchées depuis tant de temps de jougs et de pouvoirs subis qui maintiennent encore et toujours les femmes en état d'infériorité vis à vis des hommes.

         Cette théorie est une explication concrète. Elle ne doit en aucun cas valider un fonctionnement sous prétexte de son universalité  et sa perennité à travers les âges. Elle démontre comment il y a eu une appropriation du pouvoir par un système masculin qui a su utiliser la tradition, les mythes, les religions pour y parvenir.

         Je dirai même que cette place du sang ne peut qu'évoluer : si la notion de non-mélange des sangs étaient fondatrices à une époque, le sang a pris beaucoup de sens différents du fait des connaissances scientifiques et humaines qui se sont accumulées : le sang, c'est la vie, la vie donnée par la femme,..... qui réduisent à néant toute notion d'infériorité entre les unes et les autres.

         Bon, cest mon analyse à travers ces deux livres permettant une approche de cette question de l'inégalité femme/homme. Il existe peut-être d'autres hypothèses.               

Commentaires