Victoria Claflin Woodhull, première femme à se présenter à l'élection présidentielle américaine en 1872

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« Un jour, j’occuperai la Maison-Blanche. » 

La légende veut que cette phrase ait été prononcée enfant par

Victoria Claflin Woodhull, née en 1838 aux USA et morte en 1927 en Angleterre,

C’est une femme politique féministe américaine, mais aussi une voyante, une directrice de publication qui fit scandale en militant pour l'amour libre libre à une époque où les femmes étaient soumises à leurs maris.

Sa large audience médiatique en fait une des leaders du mouvement pour le droit de vote des femmes aux États-Unis.

Elle est surtout la première femme à se présenter à l'élection présidentielle américaine en tant que candidate du Parti pour l'égalité des droits en 1872 À une époque où les femmes n’ont pas le droit de vote. À cause de son âge - et d’une arrestation le jour du vote - elle n’a pas pu mener sa campagne à terme, ce qui n’en fait pas moins une pionnière.

Avec sa sœur Tennessee Claflin, dont la vie est inséparable, elles sont les premières femmes agente de change à New York. Elles sont  parmi les premières femmes à fonder un journal aux États-Unis. Woodhull et Claflin Hebdo en 1870

 

1838

La vie étrange et fascinante de Victoria née Claflin débute en 1838 dans l'Ohio, dans une famille pauvre  et quelque peu déstructurée de 10 enfants. Son père un homme violent est aussi un petit escroc et sa mère une servante voyante à ses heures.

Victoria Claflin mène une enfance instable. Elle grandit entre la violence de son père et les délires mystiques de sa mère, et ne commence l'école primaire qu'à l'âge de 8 ans où elle va très peu jusqu’à onze ans.

Elle voyage avec sa famille à travers le pays pour vendre des « remèdes miracles » contre des problèmes de santé courants et elle gagne de l’argent en disant la bonne aventure et en vendant des élixirs «miraculeux».

Elle se découvre un talent pour la voyance et est particulièrement proche de sa plus jeune sœur Tennessee, avec qui elle va mener à bien des projets passionnants et qui, elle, travaille comme medium et guérisseuse magnétique.

 

1853 et Reprise des activités paranormales

Alors qu’elle n’a que 15 ans, elle rencontr un homme de 28 ans, Canning Woodhull, un peu escroc, qui travaille comme médecin mais sans diplôme et elle décide de l’épouser... le couple a deux enfants dont dont un retardé mentalement et une fille qui l’accompagne pendant longtemps. Malheureusement, sa nouvelle vie de femme mariée n’est guère meilleure que son enfance.

Comme le dit l’un de ses biographes :

« De la cruauté de ses parents, Victoria s’est enfuie vers la cruauté insupportable de son premier mari ».

Son mari est un charlatan doublé d'un alcoolique, il multiplie les infidélités et néglige sa famille. Pour subvenir à ses besoins, Victoria Woodhull travaille comme couturière, commis de magasin et actrice de théâtre avant de rejoindre en 1857 sa sœur à la suite d'une vision où elle aurait entendu celle-ci lui demander de rentrer

« Victoria vient me rejoindre ! »,

Les deux jeunes femmes pratiquent ensemble, comme leur mère, la voyance le spiritisme mais de façon rentable. 

Victoria Woodhull réceptive aux idées des premières féministes et abolitionnistes américaines comme Ernestine Louise Rose et Lucretia Mot, donne alors des conférences où, tout en se présentant comme médium, elle défend les revendications féministes et elle rencontre très vite du succès. Elle y parle de sexe, affirmant, entre autres choses, que les femmes doivent avoir le droit d'échapper aux mauvais mariages et de contrôler leur propre corps et qu’elles doivent pouvoir choisir leur mari, chose impossible dans cette Amérique du XIXe siècle où les femmes sont assujetties aux hommes.

Elle est contre l’hypocrisie sociale qui punit les femmes et permet aux hommes de commettre l’adultère, et oblige une femme, même maltraitée, a rester soumise à son époux.

C’est à cette époque que Victoria commence à s'impliquer dans le mouvement Free Love, ou l'amour libre:

Elle considère en effet que les choix conjugaux doivent être libres, et que ni l'adultère, ni l'avortement, ni le mariage, ni le divorce ne devraient nécessiter l'approbation d'une quelconque autorité morale ou légale.

« Oui, je crois en l’amour libre. J’ai un droit inaliénable, constitutionnel et naturel d’aimer qui je veux, aussi longtemps que je le peux ; de changer cet amour chaque jour si ça me plait, et aucune personne ni aucune loi n’est autorisée à interférer avec ce droit.»

Plus particulièrement, Woodhull affirme :

"Laissons les femmes déclarer leur indépendance sexuelle et refuser catégoriquement de cohabiter avec les hommes tant qu'elles ne seront pas reconnues comme égales en tout, et la victoire sera remportée en une seule semaine".

Vous pouvez imaginer tout ce qui a été dit à son sujet... Entre autres choses, elle a été qualifiée de prostituée, de madame Satan, de sorcière impudente....

En 1869 après avoir assister à une convention sur le suffrage féminin à Washington et découvert les leaders du mouvement pour le droit de vote des femmes elle décide de se battre pour le droit de vote des femmes.

 

Mais revenons à son histoire....

En 1864, Victoria réussit à divorcer de son mari violent, garde son nom de famille et doit s’occuper de ses deux enfants.

Pendant quelques années, Victoria et sa soeur parcourent différents États du pays dans leur caravane gagnant leur vie en offrant leurs services comme voyantes, magnétiseuses et conseillères spirituelles.

Elle épouse le colonel James Harvey Blood en 1866, un héros de la guerre civile et un ardent spiritualiste.

Vers la fin des années 1860, l’un des clients de Victoria, Cornelius Vanderblit, un financier qui admire les compétences de Victoria en tant que médium, commence à lui parler du marché boursier et des courtiers à Wall Street.

En 1870, les sœurs Claflin s’installent à New York, deviennent les premières femmes agentes de change à Wall Street et, grâce à l’aide financière de M. Vanderblit, ouvrent leur propre société de courtage avec laquelle elles font fortune. La Woodhull, Claflin, & Company est la première entreprise américaine appartenant à des femmes dans le domaine et exclusivement réservée aux clientes féminines. Une pancarte sur leur fenêtre indique :

« Les messieurs exposeront leurs affaires et se retireront immédiatement. »

A cette époque de nombreuses femmes veulent investir leur argent, mais les courtiers masculins ne les prennent pas au sérieux.

Du haut de ses 31 ans, Victoria devient millionnaire alors que la plupart des Américaines ne possèdent rien en leur nom propre et pense que la réussite financière est la clé de l'indépendance d'une femme, plus encore que le droit de vote.

 «La capacité d'une femme à gagner de l'argent est une meilleure protection contre la brutalité et la tyrannie masculines que son droit de vote»,

 

AUDIO 4 Where Is the Vision-Onward Victoria 2'40

En 1980, Onward Victoria, une comédie musicale inspirée de la vie de Victoria Woodhull, a été présentée à Broadway.

 

1870 - De Wall Street à la présidence.

Sa réussite sociale et pécuniaire, ouvre à Victoria les colonnes du New York Tribune, et du New York Herald où elle publie des articles où elle expose des prises de position inspirées de Stephen Pearl Andrews, un réformateur radical dont elle épouse les idées prônant l'instauration d'une société gérée selon les principes de l'anarchisme individualiste.

C’est, deux mois seulement après avoir ouvert sa société de courtage, qu’elle annonce, dans le New York Herald, son intention de se présenter à l'élection présidentielle de 1872.

Les obstacles sont pourtant grands, voire infranchissables : à cette époque, les femmes n’ont pas le droit de vote, et il faut être âgé d’au moins 35 ans pour pouvoir se présenter - elle n’en n’a que 34 au moment de l’élection. Rien de tout ça ne l’empêche de faire campagne, et de tenir des meetings à succès, qui réunissent des milliers de personnes, où elle réclame l’égalité dans tous les domaines entre les hommes et les femmes, entre les noirs et les blancs. Elle fait campagne pour le droit de vote des femmes, la réglementation des monopoles, la nationalisation des chemins de fer, la journée de travail de huit heures, la fiscalité directe, l'abolition de la peine de mort et l'aide sociale aux pauvres, entre autres.

Elle ose aussi revendiquer le droit à l’amour libre

Elle écrit :

« Tandis que d'autres défendaient l'égalité de la femme avec l'homme, je l'ai prouvé en m'engageant avec succès dans les affaires ; tandis que d’autres cherchaient à montrer qu’il n’y avait aucune raison valable pour que la femme soit traitée socialement et politiquement comme un être inférieur à l’homme, je suis entré avec audace dans l’arène de la politique et des affaires et j’ai exercé les droits que je possédais déjà.".

L'éditrice et la directrice de publication

Avec leur nouvelle fortune Victoria et sa soeur fondent au printemps 1870 leur propre journal qu’elles appellent : Woodhull and Clafin's. Il est imprimé pendant six ans, et l’un de ses objectifs est de soutenir sa candidature à la présidence des États-Unis.

Dans ce journal avant-gardiste, on peut lire le slogan :

 « Progrès ! Libre pensée ! Des vies sans obstacles !

Dans ses pages, des questions controversées telles que entre autre l’éducation sexuelle, le droit de vote des femmes, l'abolition de la peine de mort, la journée de travail de huit heures, le spiritisme, le végétarisme  sont défendues.

Victoria Woodhull mène de nombreux combats. Elle essaye, par exemple, de promouvoir des vêtements confortables pour les femmes. A l’époque, cela fait scandale. Elle est une des premières femmes à plaider ouvertement pour des jupes plus courtes, pour que cela ne traîne pas dans la boue.

Elle est aussi la première femme à s’exprimer devant le parlement américain en 1871 au sujet du suffrage féminin. Elle y exprime l’idée que tous les citoyens peuvent voter, alors pourquoi pas les femmes ? Son argument est que les quatorzième et quinzième amendements garantissaient déjà le droit de vote des femmes. Il suffisait, selon elle, que le Congrès adopte une loi garantissant ces droits.

«  Les femmes sont des citoyennes et le citoyen qui est imposé devrait également avoir son mot à dire en matière de fiscalité ».

Elle se fait  rabrouer par un citoyen qui lui répond lors de cette réunion,

"Vous n’êtes pas un citoyen américain parce que vous êtes une femme",

Ce à quoi elle rétorque

"les pères fondateurs qui ont fait la constitution n’ont jamais parlé d’hommes ou de femmes, chaque personne est un citoyen américain". « Les femmes sont égales aux hommes devant la loi, et elles sont égales dans tous leurs droits. »

Bien que le comité ait rejeté sa demande d’adoption d’une « loi habilitante », son apparition historique l’a immédiatement propulsée à une position de leader parmi les suffragettes et Susan B. Anthony est tellement impressionnée par l'argument de Woodhull qu'elle lui demande de le répéter lors de la convention de la National Woman Suffrage Association plus tard dans l'après-midi.

Elle y déclare lors d’une diatribe enflammée :

« Nous dénonçons la félonie, nous voulons l'indépendance... nous préparons la révolution »

Le 10 mai 1872 au Apollo Hall, à New York, Victoria Woodhull présente sa candidature à la présidence des États-Unis pour le parti Equal Rights le parti pour l'égalité des droits. Le célèbre abolitionniste Frederick Douglass est choisi comme colistier.

Une première dans l'histoire du pays, 136 ans avant que Hilary Clinton ne se présente en 2008 et 50 ans avant que les américaines n’obtiennent le droit de vote. Le jour du scrutin, le 5 novembre 1872, Victoria Woodhull ne peut même pas voter pour elle-même.

Sa réputation est par contre entachée par des détails embarrassants sur sa vie privée, révélés lors d'un procès intenté par sa mère contre son deuxième mari.

De nombreuses suffragettes prennent leurs distances vis à vis de Victoria Woodhull après ses déclarations sur l'amour libre. Susan B. Anthony la trouve trop radicale, seule Elizabeth Cady Stanton continue à la soutenir.

La presse aussi l’attaque pour ses opinions radicales

Cette étonnante histoire prend fin le jour même de l’élection, puisque Victoria Woodhull se fait arrêter pour “propos obscènes” en raison d’un article qu’elle a écrit dans son journal sur un adultère commis par un pasteur.

Elle croupit plusieurs semaines en cellule tandis que le vétéran Ulysses S. Grant fête sa réélection.

Combien de votes obtient-elle le jour de scrutin ? L'histoire ne l'a pas retenu.

Ses problèmes juridiques vont durer plusieurs années, l’obligeant à fermer son journal.

Bien qu’acquittés de tout crime, les poursuites l’ont ruinée et cette affaire va considérablement changer sa vie. Mais loin de se laisser intimider, elle se présente à nouveau aux élections de 1884 et 1892, mais sans succès...

 

Nouvelle vie en Angleterre

Dans les dernières années de sa vie, Victoria donne des conférences, s’installe en Angleterre, épouse  en 1883, un des banquiers les plus riches d'Angleterre, change son nom en Victoria Woodhull Martin, devient la châtelaine de Manor House et se consacre à des causes philanthropiques.

Avec sa fille l’une de ses dernières action est la publication du magazine The Humanic.

Quand son mari meurt en 1897, il lui légue la totalité de ses biens.

Victoria prend sa retraite en 1901, déménage dans la campagne anglaise et vit jusqu'à sa mort en 1927 la vie d'une riche veuve dans son manoir.

Devenue passionnée d'automobile, Victoria est l'une des premières femmes d'Angleterre à posséder une voiture qu'elle conduit à vive allure à travers le comté.

Elle décéde en 1927, à l’âge de 88 ans, en Angleterre.

Plusieurs générations après sa mort, bon nombre des réformes qu’elle préconisait ont été mises en œuvre et certaines de ses idées sont toujours en débat.

 

En conclusion

Rien ne prédestinait cette gamine des rues, diseuse de bonne aventure, aux parents vagabonds, aux trois maris à cette vie incroyable.

Il lui a fallu énormément de courage, sinon un brin de folie, pour se lancer à son époque et être la toute première femme à se présenter pour occuper la plus haute fonction du pays, alors même que seuls les hommes pouvaient voter.

Même si peu de gens ont entendu parler d'elle aujourd'hui, lorsqu'elle s'est présentée à la présidence des États-Unis en 1872, elle était l'une des femmes les plus célèbres du pays et avait, d’après ses contemporains 100 ans d'avance sur son temps.

Elle a osé divorcer à une époque où le divorce était difficile pour les femmes de toutes classes sociales et a révolutionné les mœurs de son époque..

Victoria a été un féministe dans l’âme, tout au long de sa vie, elle s'est opposée aux limites que la société américaine imposait aux femmes.

Bien que sa candidature présidentielle de Woodhull ait finalement échoué, elle a mis en avant les droits des femmes comme une question à prendre au sérieux par les autres partis politiques nationaux et a pavé la route aux activistes pour l’obtention du droit de vote, et plus largement pour les droits des femmes.

Laissons-lui le mot de la fin :

" Ce n’est pas la grande richesse de quelques individus qui prouve qu’un pays est prospère, dit-elle, mais bien la richesse équitablement distribuée entre les gens" 

« La nation américaine, dans sa marche en avant et vers le haut, ne peut pas étouffer publiquement l’activité intellectuelle et politique de la moitié de ses citoyens par des lois étroites. »

" J’ai demandé l’égalité rien d’autre… "

 

En 2012, Victoria Bond a composé l’opéra Mrs. President, qui est basé sur l’histoire de Woodhull et de sa tentative de se présenter à la présidence aux États-Unis.

 

AUDIO 5 I'm Told I'm a Citizen from Mrs. President3’35

by Victoria Bond Laura Kay, soprano Gregory Stout, piano

 

 

 

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