Vera Menchik, 1906-1944, première championne du monde des échecs féminins

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"Le talent n'a pas de sexe."

Vera Menchik – Une grande championne d’échecs née en Russie en 1906 et décèdée en Angleterre en 1944.

Première championne du monde d'échecs féminin de l'histoire en 1927, elle est de loin la meilleure joueuse de son époque.

Vera Menchik est la première joueuse à oser défier les normes de la société patriarcale du début du XXe siècle en participant à des tournois d'échecs réservés uniquement aux hommes. Elle joue non seulement aussi bien que les hommes mais va battre les plus forts d'entre eux au cours des années 30.

Vera Menchik a été ferme et courageuse face aux nombreuses critiques, moqueries et discriminations, qu'elle a subies du fait d'être une femme et de vouloir jouer avec des hommes.

Mais elle a amplement démontré qu’elle avait un énorme talent et que ses capacités de stratège, son jeu de position lent et puissant, n'étaient pas des compétences réservées aux hommes.

Sa carrière a été fascinante en tant que joueuse professionnelle indépendante à une époque où cela était rare pour les femmes dans quelque domaine que ce soit.

Vera Francevna Mencikova naît à Moscou en 1906, et sa sœur Olga, également une bonne joueuse d'échecs, en 1908. Leur père un Tchèque, est intendant de plusieurs domaines appartenant à des nobles de l’Empire et leur mère à moitié anglaise, est une gouvernante qui n'a jamais enseigné l'anglais à ses filles. Elles n'ont jamais appris la langue tchèque et ne parlaient que russe.

Les détails de leur vie à Moscou sont rares, mais il semblerait qu’elles y jouissent d'une vie relativement confortable dans la Russie pré-révolutionnaire et les deux sœurs fréquentent une école privée.

Vera Menchik apprend les échecs à l'âge de neuf ans auprès de son père qui lui offre un jeu d'échecs comme cadeau d'anniversaire en 1915.

Pendant la Révolution russe elle doit aller dans une école publique qui organise un cercle d'échecs auquel elle participe et à 14 ans elle y joue son premier tournoi d'échecs.

Les années qui suivent la révolution russe sont difficiles pour la famille qui perd ses revenus et sa maison, et quitte la Russie. en 1921. Vera, sa soeur et leur mère s'installent en Angleterre pour vivre dans la ville d’Hastings, lieu emblématique des échecs où s'est déroulé le premier championnat officiel de l'histoire en 1895, tandis que leur père retourne en Tchécoslovaquie. Vera entretient des contacts épistolaires avec lui et le voit à l'occasion lorsqu'elle joue en Tchécoslovaquie.

Lorsqu’elle arrive dans ce nouveau pays, elle ne parle pas anglais, elle a 15 ans et change son nom de famille de Mencikova en Menchik.

En 1923 elle a le courage de rejoindre le club d'échecs local d’Hastings à une époque où il est inhabituel d’y voir des femmes jouer aux échecs.

Vera Menchik écrit : « On m’a souvent demandé ce qui m’a incité à jouer sérieusement aux échecs ? Dans d’autres circonstances, je n’aurais jamais passé mon temps de cette manière mais les échecs sont un jeu tranquille et, par conséquent, le meilleur hobby pour une personne qui ne parle pas l’anglais. »

Le talent de Vera Menchik est rapidement reconnu et elle commence à s'entraîner avec James Drewitt, le champion du club, et Geza Maroczy, un grand maître international des échecs. Elle remporte le championnat féminin junior d'Angleterre et commence à participer à plusieurs matchs d'échecs équipe.

Encouragée par Maróczy, elle partisipe au championnat d'échecs d'Hastings en 1924 et réussit un match nul contre la championne anglaise d'échecs, Edith Price qu’elle va battre ensuite lors de deux matchs en 1925.

Elle s’impose rapidement comme la meilleure joueuse du pays, est enregistrée comme joueuse de « première classe » de la Sussex Chess Association et participe au championnat d'échecs masculin du comté de Sussex où elle atteint la demi-finale.

Ce qui est remarquable, c’est qu’outre son énorme talent et sa jeunesse, elle dispute ses premières parties avec des hommes exceptionnels ce qui ne s'était jamais produit dans toute l'histoire officielle des échecs.

Le  British Chess News écrit : Menchik a acquis la réputation de joueuse calme et prudente, mais elle n'a jamais été considérée comme un génie tactique. En fait, elle avait beaucoup d'autres intérêts, y compris le tennis et la sculpture (une partie de son art était même exposée localement), et elle était une personnalité chaleureuse avec beaucoup d'amis.

En 1926 et jusqu’à la fin de sa vie, elle dispute de nombreux tournois, en particulier elle est est la première femme à jouer dans la section des tournois majeurs. Elle donne des conférences sur les échecs sur la BBC et remporte le premier championnat open d'échecs féminin de Londres.

En 1926-27, elle obtient sa première victoire dans un tournoi « masculin » dans la section des « réserves majeures à Hastings » et est désormais considérée comme la meilleure joueuse d’échecs du monde.

En 1927 est créé le premier championnat du monde d'échecs féminin et c’est Vera Menchik qui l'emporte. Elle est la 1ère championne du monde d'échecs. Elle a 21 ans.

Cette victoire est le début de son règne sur les échecs féminins qu’elle va dominer jusqu'à sa mort prématurée en 1944. Elle ne laisse aucune chance à ses concurrentes, remporte tous les championnats du monde féminins et même très facilement deux matchs joue contre sa grande rivale, l’excellente joueuse Sonja Graf . Elle détient le record de durée féminin du titre : 17 ans. Seul Emanuel Lasker a eu un règne plus long en tant que champion du monde.

Comme l'a noté Chess.com : « Menchik était déjà considérée comme l'une des joueuses les plus fortes du monde en 1927 - et elle l'a prouvé en remportant le tout premier championnat féminin. Puis elle a prouvé que ce n'était pas une sorte de coup de chance en détenant ce titre pendant les 17 années suivantes - jusqu'à sa mort à Londres en 1944. Au cours de ces années, Menchik a fait face à plusieurs défis solides pour son statut de meilleure joueuse du monde, mais a triomphé sur tous. Le seul mot suffisant pour décrire sa carrière de championne des femmes est "domination".

Et Erwin Voellmy : « Dans le tournoi des Dames pour le championnat du Monde, Mlle Vera Menchik a prouvé pour la 3ème fois sa supériorité : elle surpasse toutes ses concurrentes grâce à ses compétences et possède une force de Maître. Miss Menchik aborde les échecs de manière pleinement scientifique et peut servir de modèle pour 99% des joueurs masculins. »

Un an plus tard, en 1928, elle devient la première femme à concourir sur le circuit international d’échecs disputés par les maîtres des échecs. Elle parcourt l’Europe, les Amériques et concourt successivement  pour les couleurs de la Russie, de la Tchécoslovaquie puis de l'Angleterre.

Elle se distingue en participant à des tournois où souvent elle est la seule femme et lors d’un tournoi à Hastings elle obtient sa première victoire contre un grand champion, Abraham Baratz.

Chess.com écrit : Après avoir remporté le Championnat du monde féminin en 1927, Menchik s'est concentrée sur l'entrée dans les tournois d'échecs grand public - ce qui signifiait des tournois dominés par les hommes. Elle a rapidement établi qu'elle était plus que capable, et en 1929, elle a été invitée à jouer dans un tournoi à Ramsgate et y a joué brillamment. Elle a fini deuxième exaequo avec le légendaire Akiba Rubinstein et a terminé à seulement un demi-point derrière Jose Raul Capablanca, qui est considéré comme l'un des plus grands joueurs d'échecs de tous les temps.

A la fin du tournoi de Ramsgate Capablanca s'adresse à la presse pour dire quelques mots élogieux sur Vera mais teintés de machisme en disant :

« Elle est la seule femme qui joue comme un homme. »

Absurde, non ?

Pourtant les chroniqueurs de l’époque sont loin de reconnaître sa vraie valeur par exemple on peut lire :

« Sir Thomas a joué indifféremment défensif contre Miss Menchik, et s’est vraiment vaincu lui-même. »

 Main Title -  Carlos Rafael Rivera - The Queen's Gambit 


Après son premier grand succès à Ramsgate en 1929, Vera Menchik est régulièrement invitée à d’autres grands tournois au cours de la décennie suivante où sa simple présence est une véritable attraction.

Cette même année et pour se faire une idée de l’impact social que signifiait l’émergence d’une femme dans un domaine dominé par les hommes, voici une anecdote qui lui est arrivée lorsqu'elle qu'elle gagne un match contre Yaks Mos, un maître célèbre. Cette victoire n'est publiée dans aucun média pour ne pas blesser les sentiments de ce joueur d'échecs

Revenons à 1929. Elle est la seule femme invitée à participer au championnat international à Karlsbad, et là, elle constate l'indifférence et le mécontentement que sa présence provoque chez la majorité des joueurs masculins. Un des grands joueurs d'échecs du moment, Albert Becker qui veut ridiculiser tout maître qui perdrait face à cette elle dit :

Je trouve ridicule qu’une femme, et plus encore une jeune fille de 25 ans, ose se mesurer à des maîtres consacrés comme moi ….Je propose également que, dans le cas « improbable » où un joueur serait battu par la « Petite Anglaise », il rejoindrait le club masculin appelé « Club Vera Menchik ».

D'un ton moqueur, les personnes présentes ajoutent : « Ce sera le club qui comptera le moins de membres au monde ».

Ironie de l'histoire, puni pour son excès de misogynie, c'est lui le premier membre du Club qui en comptera 41 parmi les plus grands joueurs de l’époque dont Max euwe le champion du monde d'échecs.

Elle  finit 3e au tournoi de Maribor d’un niveau très relevé au point qu’Alexander alekin lui-même, champion du monde dit :

C'est quand même un petit peu misérable de l'obliger quelquefois à lui faire perdre du temps à jouer contre des femmes, défendre son titre de championne du monde parce qu'elle n’a rien à faire dans des compétitions où il y a des joueuses de second rang et qu’il vaudrait mieux qu'elle joue avec les hommes parce qu’elle est suffisamment forte pour ça…J’ai différé mon jugement final à propos de Miss Vera Menchik de Russie, parce que la plus grande prudence et l’objectivité sont nécessaires concernant quelqu’un d’aussi extraordinaire. Pourtant après 15 rondes, il est certain que c’est une exception absolue pour son sexe. Elle est très talentueuse et, avec plus de travail et d’expérience dans les tournois, elle réussira sûrement à passer de son stade actuel de joueuse émérite à celle de champion international de haut niveau. Elle a indiscutablement obtenu 3 points contre de très bons joueurs, mais le public ignore qu’elle a a vaincu Euwe, Treybal, Colle et le Dr. Vidmar. Certes elle a perdu contre le Dr. Vidmar mais après une partie de 9 heures. Il est du devoir du monde des échecs de lui accorder la possibilité de progresser. »

Quant à ses qualités de jeu : « Trois caractéristiques remarquables de cette partie sont : puissante stratégie de l’ouverture jusqu’à l’échange des Dames ; suivi d’une impeccable technique ; et pour couronner le tout la touche artistique qui imprègne l’ensemble de la partie. »

Son meilleur résultat elle l’obtient au tournoi d’Hastings Premier en 1931/32 lorsqu'elle bat le futur champion du monde Max Euwe et Mir Sultan Khan.

British Chess Magazine : « Le grand évènement de cette 2ème ronde du tournoi de Hastings fut la victoire de Miss Menchik face au Dr. Euwe. La championne du monde a dû contrer une puissante attaque de minorité sur l’aile dame, mais elle se défendit magnifiquement. A l’ajournement, la position, Fou et 5 pions chacun, semblait égale, mais le champion hollandais essaya de forcer le gain et paya sa faute en abandonnant au 61ème coup. »

On raconte que, Mir Sultan Khan, après avoir été battu par Vera Menchik, n'a pas voulu retourner dans son pays pendant 22 ans par peur des moqueries de ses compatriotes.

Dans les années 1930, Vera Menchik continue d’être la championne incontestée des échecs, et elle gagne en popularité. Tout au long de sa carrière elle démontre que les échecs ne sont pas un jeu réservé aux hommes ce qui encourage de nombreuses jeunes femmes à briser les stéréotypes de genre, Par exemple après son voyage en Union soviétique en 1935 quelques 5 000 joueuses participent aux qualifications du championnat d'échecs soviétique.

Elle devient la première joueuse d’échec professionnelle, donne des cours et commence à écrire des articles pour des magazines  sur les échecs. En 1934, elle  publie une méthode d'enseignement de cet art,

 Le grand joueur d'échecs Miguel Najdorf  dit lors du tournoi du Loft en Pologne en 1938 :

C’est la première fois de ma vie, que je joue avec une femme. Je savais qu'elle jouait bien et qu'elle participait exclusivement à des tournois masculins, mais les préjugés que j’avais sur les capacités féminines étaient quelque part dans mon esprit. C'était jusqu'à ce que je voie la force du talent de Vera Menchik. «

En 1939, elle est nommée « directrice » du National Chess Centre en Angleterre.

En 1937, elle épouse Rufus Stevenson de 28 ans son aîné, éditeur du British Chess Magazine. Elle est Mme Stevenson à la maison, mais Vera Menchik aux échecs. Son mari décéde six ans plus. Un fort lien les unit et elle refuse plusieurs tournois pour le soigner.

Désormais citoyenne britannique, elle peut représenter l'Angleterre dans des compétitions internationales et elle est la première femme à participer en 1938 au championnat britannique d'échecs.

L'une de ses dernières grandes victoires est le match qu’elle gagne en 1942 contre Jacques Mieses.

Pendant la guerre, Vera est active au sein du Service volontaire féminin (WVS).

Sa carrière s’interromp tragiquement lorsqu'elle est tuée au cours d'un bombardement en 1944. Elle a seulement 38 ans et détient toujours le titre de championne du monde féminin des échecs. 

Voici ce qu’on peut lire dans la revue « Chess » : « Toutes les autres nouvelles de ce mois sont éclipsées par la mort de Vera Menchik, notre éditrice et championne du Monde, en compagnie de sa mère et de sa sœur, des suites d’une explosion d’une bombe volante « V1 » dans la nuit du mardi 27 juin. La maison, où elles s’étaient réfugiées dans le sous-sol, a été rasée. Par une triste ironie, leur abri de jardin, tout comme l’abri de l’autre côté de la rue sont restés intacts. Elle occupait le trône des échecs au niveau des championnats du monde. Vera était une joueuse calme, équilibrée, discrète, ne désirant guère attirer l’attention. C’était une adversaire redoutable, imbattable et très respectée. Seule des bombardements des Nazis l’ont forcée à lâcher la couronne et à quitter prématurément la vie et sa passion.

La coupe Vera-Menchik récompense l'équipe gagnante des Olympiades d'échecs féminines depuis 1957. Un timbre représentant Vera Menchik est émis en 1996 par la République tchèque et en 2011 Vera Menchik est la première femme intronisée au Temple de la renommée mondiale des échecs.

CONCLUSION

L’histoire millénaire des jeux des échecs conserve des noms de femmes célèbres qui ont joué aux échecs avec fougue et passion : commencant par Semiramide, la reine mythologique de Babylone, Caterina de Medicis, Reine Elisabeth I d’Angleterre, Maria Teresa, Catherine La Grande de Russie, George Sand ou encore l’anglaise Marie Rodge qui a été la première en 1872 à franchir, les portes d'un club d'échec alors que c'était un univers uniquement masculin dans l'Angleterre victorienne. Mary Rodge qui s'était d'ailleurs rasé les cheveux comme les suffragettes pour montrer qu'elle pouvait avoir les cheveux courts comme les hommes.

Vera Menchik n'est la première femme à jouer aux échecs même à un très haut niveau. Mais c’est une légende, une pionnière pour les femmes, et son héritage perdure à travers les générations inspirant de nombreuses passionnées par ce jeu. Elle a ouvert la voix à tout un tas de joueuses qui après la Seconde Guerre mondiale ont pu franchir les portes des clubs d'échec et puis aussi participer aux tournois, battre les hommes et puis s'imposer petit à petit.

Il y a  de plus en plus de joueuses dans le top 100 mondial et de grands « maitres » internationaux féminins. Il y a encore du chemin pour atteindre la parité, on compte moins de 30 % de joueuses parmi les licenciés.

Laissons le mot de la fin à Vera : «  Nous, les femmes qui jouons aux échecs, n'avons pas de passé mais nous avons un présent et un avenir. »

 Zaho - Echec et mat 



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