Qiu Jin, 1875–1907, poétesse, enseignante, féministe et révolutionnaire chinoise

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"Ne me dites pas que les filles ne sont pas de l’étoffe des héros.

Qiu Jin vers 1900
a écrit QlU Jin née en Chine en 1875 où elle décède en 1907 - La révolutionnaire «ennemie des hommes»

Qiu Jin est une écrivaine, une poétesse, une journaliste, une militante pour les droits des femmes, et une révolutionnaire chinoise.

Surnommée la « Chevalière du lac au miroir », cette pionnière du féminisme chinois a passé́ sa courte vie à lutter pour l’émancipation des femmes en Chine. Elle a notamment milité contre la tradition des pieds bandés.

Elle va mourir en martyre révolutionnaire en luttant contre la domination mandchoue.

Sa courte vie, entre poésie et révolution, ressemble à un film de cape et d’épée chinois pleins de bretteuses émérites qui ferraillent contre l’injustice.

 Fille de notables se rêvant héroïne martiale - Fort caractère, riche imaginaire

Qiu Jin naît, en 1875 dans une famille de notables, dans la province de Shangaï, à un moment où la Chine est en plein bouillonnement prérévolutionnaire. Bien qu’étant une fille, elle reçoit une très bonne éducation et apprend très tôt à monter à cheval, manier le sabre et participe aux cours d’arts martiaux avec ses frères ce qui révèle un fort tempérament et une personnalité peu ordinaire pour l’époque. Elle se choisit un surnom la « Chevalière du Lac au miroir »

Mais elle n’échappe pas à la tradition, et a dû avoir les pieds bandés, coutume pratiquée en Chine depuis le Xe siècle, mais peu longtemps car elle mentionne dans un poème qu’elle les a débandés.

En effet elle montre des dons littéraires précoces, et la richesse de son imaginaire dans sa poésie et ses écrits autobiographiques où elle évoque la nature et fait preuve d’un vif esprit critique quant au statut réservé aux filles... elle exalte la beauté des fleurs, leur fragilité et en particulier celles  des chrysanthèmes et des pruniers auxquelles elle se compare, comme dans « Le chrysanthème mutilé »:

Les fleurs de prunus écloses souffrent du vent d’hiver….

Les chrysanthèmes mutilés défient givre et neige……


Mariage : soudain un autre monde - De Shaoxing au Hunan

Promise au fils d’une riche famille du Hunan, Qiu Jin doit se plier en 1896 à l’union décidée par son père. Elle ne fait la connaissance de son mari que le jour de ses noces, un homme qu’elle n’aime pas, dont elle aura deux enfants et qu’elle décrira comme « sans scrupules et non éduqué ».

Ses poèmes prennent alors une tonalité plus radicale, consciente que la soumission des femmes est induite par les traditions archaïques qui prévalent en Chine. Elle s’indigne du bandage des pieds, supposé conférer grâce et féminité aux femmes, alors que cette atrophie - la taille idéale est fixée à 7 cm et demi - condamne  les femmes, à ne plus marcher et à rester cloîtrées, asservies au bon vouloir de leur mari.

Mais le Hunan est l’une des provinces où les courants d’idées réformistes sont parmi les plus forts. Qiu Jin se lie alors d’amitié avec deux futures militantes féministes : l’une, Tang Qunying, qui a comme Qiu Jin appris à monter à cheval et à manier les armes en même temps que le pinceau ; l’autre, Ge Jianhao âgée de dix ans son ainée, est une femme extraordinaire qui a été surnommée « la mère révolutionnaire ».

Dans la famille de son mari, Qiu Jin est traitée comme une enfant capricieuse, mais, la naissance d’un garçon, en 1897, lui assure une position dans la famille, avec domestique attitrée. En 1901 elle donne naissance à une fille qui sera la première aviatrice chinoise.


Du Hunan à Pékin

En 1902 elle suit son mari à Pékin. Et là, l’atmosphère est totalement différente. Elle arrive dans une capitale où manœuvrent les soldats étrangers. Le chaos ambiant la galvanise. 

Très vite exposée aux idées politiques modernes, elle s’enthousiasme pour ces idées nouvelles et fréquente des intellectuels et des écrivains progressistes.

Elle fait ses premières classes de féminisme en participant à un groupe de discussion de « femmes progressistes », organisé par la prestigieuse calligraphe, Wu Zhiyin.


Et à 20 ans, elle quitte mari et enfants pour aller s'instruire au Japon

En effet en 1903, elle ne supporte plus le carcan du mariage.  

Elle écrit : 

« Tu es enfermée comme une prisonnière, tu ne peux raconter ce qui s'accumule dans ton cœur, humiliée, outragée... Personne pour prononcer un mot de compassion ou de justice. »

Or, beaucoup de patriotes partent étudier au Japon qui fait alors figure de pays en plein progrès, face à une Chine arriérée, sans perspectives.

Se rappelant ses rêves de chevaliers errants, elle décide de partir seule étudier au Japon dans une université réservée aux femmes car pour elle la conquête du pouvoir par les femmes passe par la maîtrise du savoir. Décision à l’époque aussi courageuse que scandaleuse car seuls les hommes sont autorisés à répudier leurs épouses et son mari, la dépossède de tous ses bijoux et argent. Mais Qiu Jin avait déjà̀ secrètement vendu ses beaux vêtements afin de s’acheter un billet pour le Pays du Soleil levant.

Elle y écrit un poème pour décrire sa profonde tristesse : 

Soleil et lune ont perdu leur éclat, la terre est dans l’obscurité,

Le monde des femmes enterré si profond, personne pour l’aider,

Pour payer le voyage j’ai vendu mes bijoux,

Et me coupant des miens suis partie de chez moi. 

Libérant mes pieds j’ai effacé mille années de poison,

D’un cœur brûlant j’ai éveillé cent âmes sœurs.

Hélas, ce malheureux foulard de fin brocart

Est maculé tant de sang que de pleurs. 

Etudiante et activiste à Tokyo 

Au Japon, elle troque ses vêtements traditionnels pour des habits masculins avec épée à la ceinture. Elle passe beaucoup de temps à militer pour l’émancipation féminine et le renversement de la dynastie impériale chinoise et prend un nouveau surnom traduit par « ennemie des hommes »

Son ton change, et ses poèmes traduisent son exaltation :

Je monte au ciel sur un dragon blanc, 

Et parcours la montagne sur un tigre féroce.

D’un cri de colère j’engendre vent et nuages,

Et mon esprit virevolte en dansant.

Qiu Jin, la Guerrière le film 



Elle retrouve au japon son cousin Xu Xilin qui l’introduit dans les milieux révolutionnaires des étudiants chinois. Avec lui, elle rejoint les nombreuses sociétés plus ou moins secrètes qui pullulent dans la capitale japonaise, dont la société secrète républicaine Guangfuhui en 1904, où elle milite pour le départ des Japonais et des Occidentaux de Chine et pour l’ouverture de droits sociaux, économiques et politiques aux femmes.

Qiu Jin est désormais une « révolutionnaire professionnelle », vouée à un double engagement féministe et nationaliste. Oratrice éloquente, elle n’hésite pas à défendre publiquement les causes des femmes, et comprend très tôt que l’émancipation des femmes n’est pas une priorité́ des progressistes.

Elle dénonce, dans son célèbre poème Man Jiang Hong, la pourriture du système qui fait des hommes les maîtres du pouvoir ; elle y exprime toute sa rancœur contre l’injustice dont elle est victime en tant que femme :

Aptitude ou bravoure, peu importe,   

Les hommes sont les maîtres            

À ma passion tout entière, je brûle de colère              

Qui de ces hommes vulgaires pourrait connaître mes ambitions                          

L’héroïsme sans issue devient un vrai tourment.
En ce monde pourri, où trouver âme sœur, j’en suis en pleurs !

En 1905, elle adhère à la Ligue révolutionnaire, Tongmenghui, fondée par Sun Yat-sen.

Qiu Jin est l’une des premières femmes à en devenir membre ; elle est nommée responsable de la branche du Zhejiang.

Pierres de l'oiseau Jingwei 

C’est au Japon qu’elle a commencé à écrire Pierre de l'oiseau Jingwei, publiés pour la première fois en 1962, un oiseau légendaire qui essayait de remplir la mer avec des galets, donc un symbole de ténacité et de détermination. De son œuvre littéraire, il ne reste que peu de traces aujourd'hui : seuls six des vingt chapitres ont été retrouvés.

Elle y dénonce l’exploitation coloniale et patriarcale de toutes ses compatriotes et les incite à la lutte. Elle, raconte l’histoire de jeunes filles intelligentes et cultivées, mais sans autre espoir que de finir mariées à quelque fils de marchand dépravé mais riche, Des jeunes filles recluses dans un gynécée, soumises à leurs pères, spectatrices du malheur de leurs mères, à qui l’on refuse toute instruction et que l’on marie de force à des « hommes au gros ventre », et qui décident de s’enfuir au Japon.

Le gouvernement japonais finit par réprimer les étudiants chinois, et Qiu Jin revient en Chine en février 1906.

Retour au Zhejiang 1906 

De retour en Chine, elle trouve un poste d’enseignante dans une école pour filles, où elle incite ses jeunes élèves à étudier et à travailler, afin d’acquérir leur autonomie financière. Les autorités locales, effrayées, la forcent à démissionner.

En plus d’être une révolutionnaire qui fomente un complot contre les Mandchous Qiu Jin est une intellectuelle, l’éditrice d'un journal militant pour les droits des femmes le « Journal des femmes de Chine » qui paraît en janvier et février 1907 et dans lequel elle appelle les Chinoises à se dégager de la cangue sociale et familiale. Elle milite notamment  pour que cesse la pratique des mariages arrangés dont elle a souffert. Peu au goût de la société traditionnelle d’alors et des autorités, la publication est suspendue au bout de deux numéros.

Elle repart dans sa ville natale, pour prendre la direction d’une des premières écoles destinées aux filles, l’école Datong fondée par Xu Xilin. L’établissement sert de base à une des branches du Guangfuhui et sert de couverture pour recruter et former militairement des insurgés.

Alors qu’elle doit prendre la tête d’une insurrection armée, son cousin Xu Xilin est trahi et arrêté. Sous la torture, il dévoile l’étendue du complot.

Le 13 juillet 1907, Qiu Jin est arrêtée à son tour à l’école Datong après avoir refusé d’écouter ses amis qui lui conseillaient de s’enfuir ; elle était décidée à mourir en martyre : elle disait et répétait que c’était un scandale que, parmi tous les héros qui s’étaient sacrifiés pour le pays, il n’y ait pas une seule femme, elle serait donc celle-là. 

Elle ne parle pas sous la torture et à l’issue d’un procès bâclé où les seules preuves produites contre elle sont ses poèmes, elle est condamnée à mort et décapitée publiquement trois jours plus tard. Elle n’avait pas 32 ans. Elle est la première femme à être décapitée sous les Qing.

Son biographe dit

« Le 15 juillet à l’aube, elle marcha, tête haute et fers aux pieds, vers le terrain d’exécution… Cette combattante qui avait glorieusement lutté pour la libération des femmes et celle de la nation disparaissait … en nous laissant des vers pleins de la tristesse de n’avoir pu réaliser son idéal ».

Cinq ans après sa mort, la Chine deviendra une république.

Ses amis et ses proches éditent des recueils de ses poèmes dès les lendemains de sa mort, et en 1908, prennent l’initiative de lui célébrer des funérailles officielles. La tombe est rasée et les deux principales responsables se retrouvent sur une liste rouge. C’est dire toute l’importance symbolique qu’avait prise Qiu Jin.

En 1913 Sun Yat-sen érige un monument en sa mémoire à Hangzhou. Plus tard, en 1982, le gouvernement communiste fera de son ancienne résidence à Shaoxing un musée national.  

On a fait de sa vie des pièces de théâtre et des films comme « la guerrière » en 2011, The Woman Knight of Mirror Lake, dont la traduction est « La chevalière du lac miroir », qui ont rendu hommage à son action et à sa force de caractère. Il ne  faut pas pour autant en oublier son œuvre écrite, sa poésie lyrique tout autant que ses écrits politiques.

Sous le régime maoïste, Qiu Jin est érigée en modèle pour son action en faveur des droits des femmes.

Pourtant, cette fille de bonne famille aurait pu se contenter de mener l’existence toute tracée de la femme chinoise traditionnelle, soumise à l’autorité. Mais elle a décidé de prendre son destin en main. Elle serait une héroïne ou rien.

Peu connue en France, Qiu Jin est une héroïne nationale en Chine pour avoir ouvert la voie à l’émancipation des femmes chinoises.

Pourtant dans son pays il n'existe encore aucune loi contre le harcèlement sexuel, et les chinoises ont trouvé un stratagème pour contourner la censure concernant le mouvement #MeToo. A la place elles disent «riz-lapin», en transformant le fameux hashtag par deux idéogrammes se prononçant l'un mi (riz), l'autre tu (lapin). La censure de l'expression #MeToo est une preuve de l'inquiétude que suscite le mouvement auprès des dirigeants.

Pourquoi une telle censure dans un pays où, en théorie, l'égalité entre hommes et femmes reste un des principes fondamentaux depuis l'ère communiste en 1949 ?

Peut-être faut-il revenir sur l'histoire contrariée du féminisme en Chine pour comprendre le potentiel explosif du mouvement. Revenir sur une des premières femmes chinoises à avoir lutté pour l'émancipation de son sexe, c’est-à-dire Qiu Jin dont  l'importance du combat a été dans le lien qu’elle a établi entre la lutte pour les femmes et la lutte politique.

Laissons-lui le dernier mot ceux qu’elle a  écrit dans la préface de son « Pierres de l'oiseau Jingwei » :

« Tous les jours je brûle de l’encens en priant le ciel que les femmes s’émancipent de leur situation d’esclaves et se dressent comme des héroïnes et des braves sur l’autel de la liberté, sur les traces madame Roland, Anita [Garibaldi], Sofia Perovskaïa[19], Harriet Beecher Stowe et Jeanne d’Arc. De tout mon cœur j’implore mes vingt millions de compatriotes féminines d’assumer leurs responsabilités de citoyennes. Debout ! Debout, femmes chinoises, levez-vous ! »

 


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