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Anne Sylvestre
(1934–2020), autrice-compositrice et chanteuse féministe, a
marqué la chanson française avec son engagement et sa poésie. Une sorcière comme les
autres, l’un de ses titres emblématiques, résume son
combat : «
J’étais celle qui attend / Mais je peux marcher devant… »
Son enfance est marquée
par l'Histoire : née en 1934 dans une famille cultivée, Anne-Marie
Beugras (son vrai nom) porte toute sa vie le poids de la collaboration de son
père, Albert Beugras, condamné à la Libération. À
10 ans, elle subit l'ostracisme: « J'avais 10 ans, la photo d'Albert Beugras
était partout, des pages entières dans les journaux. C'était mon père, un père
aimant. Je suis allée à son procès, maman y tenait, elle a eu raison…Mes
camarades, chapitrées par leurs parents, m’ont placée en quarantaine. La
directrice, qui était la sœur du colonel Rémy, elle-même déportée, m’a défendue
et sauvée. »
Elle cache longtemps son
secret, refuse de dire que Marie Chaix est sa sœur et l’évoque plus tard dans
sa chanson, Roméo et Judith, où elle refuse d’être jugée pour les actes de son
père.
Pour oublier ce
traumatisme, elle se tourne vers le scoutisme, découvre la mer, la voile, et
commence à chanter et jouer de la guitare lors des veillées.
Les débuts d’une artiste engagée et indépendante
Dans les années 1950, elle commence à se
produire dans les cabarets parisiens sous le pseudonyme d’Anne Sylvestre : « Anne-Marie ce n'était pas possible. Je
voulais un nom de chanteuse. J’aimais beaucoup le prénom Sylvestre qui me
rappelait des chansons de mon enfance. »
Au début des années 60
elle est l'une des premières chanteuses à écrire, composer et interpréter ses
chansons. Comparée à Georges Brassens, elle impose un style unique,
mêlant poésie et revendications sociales.
En 2010 elle
raconte à Hyacinthe Ravet comment elle est venue à la chanson : « Un jour, j’ai entendu à
la radio une jeune femme qui s’appelait Nicole Louvier…elle écrivait ses
chansons, paroles et musique, s’accompagnait à la guitare et on l’entendait !
Elle avait fait des disques et elle passait à la radio : donc ça existait !
Cela a provoqué chez moi un réel déclic.»
Son premier disque, Mon
mari est parti (1959), qui traite de la guerre d’Algérie aborde déjà des thèmes
féministes.
Très vite elle se heurte aux préjugés sexistes
du milieu musical, où les femmes sont reléguées à des rôles secondaires. « On m’a souvent conseillé de refaire mon
nez, comme si cela avait une importance ! Moi, je voulais chanter, c’est tout.
»
Elle choisit d’emprunter
une voie exigeante, loin du show-business facile et préfère explorer des
thématiques engagées : l’injustice sociale et l’oppression des femmes. Son
indépendance farouche lui permet de garder le contrôle de son art.
Les Fabulettes
En 1962, elle entame une série de chansons pour enfants, les Fabulettes, qu’elle compose à l’occasion de la naissance de sa fille. Si ces chansons sont ludiques et poétiques elle y aborde des thèmes comme l’égalité entre filles et garçons, la différence et le respect de l’autre. Plus de 1,5 million d’albums sont vendus et ce triomphe finit par devenir une entrave à sa carrière d’auteure-compositrice pour adultes : « Les Fabulettes devinrent un drame artistique. Non pas que je les reniais, mais elles ont occulté mon travail pour adultes. »
Une voix féministe
Dans les années 1970,
elle prend un tournant radical. Déçue par les maisons de disques, elle fonde en
1973 son propre label et produit une vingtaine d’albums, dont chacun aborde des thèmes liés à la
condition des femmes, à leurs luttes sociales qui témoignent de son engagement
précoce pour l’émancipation des femmes. Cette liberté lui permet d’aborder des
sujets tabous : l’avortement (Non, tu n’as pas de nom), les tâches domestiques
(La Vaisselle), les violences sexuelles et la culpabilisation des femmes
victimes (Douce Maison) : "Si
j'ai raconté l'histoire de la maison violentée, / C'est pas pour qu'on puisse
croire qu'il suffit de s'indigner. / Il faut que cela s'arrête, on doit pouvoir
vivre en paix, / Même en ouvrant sa fenêtre, même en n'ayant pas de
clé".
En 1975, elle publie,
Une sorcière comme les autres, qui devient un hymne féministe intemporel. « J'étais le sol sous vos
pas / Et je ne le savais pas », chante-t-elle, mettant en lumière l’effacement des
femmes dans l’Histoire. Rose dénonce l’éducation genrée, Carcasse la douleur du
corps vieillissant. Elle chante des chansons où l'humour prévaut, comme, La
Faute à Ève, ou, Les hormones Simone, chanson bourrée d'autodérision sur les
aléas d'une vie influencée par la chimie du corps. Elle chante aussi les hommes
avec leurs mauvais côtés comme dans Petit Bonhomme (1977).
« Au début, tout feu tout
braise, il était gentil […] / Mais il m’appela bobonne au bout de pas
longtemps »
Malgré son talent, Anne Sylvestre est
longtemps écartée des médias : «
J’ai été cataloguée comme féministe, et ça m’a porté tort. Mais aujourd’hui, je
suis fière que ce mot ne soit plus une insulte…La dignité des femmes fait son
chemin petit à petit… Mais tant qu’on vendra des assiettes où il est écrit :
Bats ta femme tous les jours. Si toi tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le
sait ! » Tant qu’on ne cassera pas toutes ces assiettes-là … il faudra se
battre. »
Écrire pour ne pas
mourir (1985) : «
Écrire, tendresse ou plaisir / Écrire pour tenter de dire / Dire tout ce que
j'ai compris / Dire l'amour et le mépris / Écrire, me sauver de l'oubli. » Ces mots-là jaillissent
alors qu'Anne Sylvestre suit une chimiothérapie.
Un autre temps fort de sa carrière : Gémeaux croisées, un album live enregistré avec Pauline Julien et publié en 1988 sous son
propre label."
Elle continue à se
produire en concert dans toute l’Europe, au Canada. Elle crée des spectacles
comme Lala et le Cirque du Vent avec son amie Michèle Bernard et fête ses 40
ans de chansons en 1998 à l’Olympia.
Un engagement
contemporain
Anne Sylvestre continue
d’écrire et de chanter sur des préoccupations de notre époque comme l’écologie,
la misère, les sans-abris. En 2000, elle défend, très en avance, la cause du
mariage pour tous, Gay, marions-nous !, qui raconte l'histoire d'un couple de
femmes désireuses de se marier.
Elle fête ses 50 ans de
chansons au Trianon à Paris et sort un nouvel album Bye Mélanco.
Au printemps 2012, Anne
Sylvestre et Agnès Bihl créent « Carré de dames », où elles
entremêlent leurs répertoires en compagnie de leurs pianistes respectives.
En 2013, elle publie,
Juste une femme, inspirée de l’affaire DSK. Elle dénonce les humiliations et
agressions des hommes sur les femmes au quotidien : « Il y peut rien si ça
l'excite / Et qu'est-ce qu'elle a cette hypocrite / Elle devrait se sentir
flattée / Qu'on s'intéresse à sa beauté. »
En 2018, la chanteuse
fête ses 60 ans de carrière par une tournée et un triple best of : intitulée 60
ans de chanson! Déjà ? En 2019, la Sacem lui rend hommage en présence entre autre
d’Agnès Bihl et Francesca Solleville et joue à la Cigale un spectacle intitulé
Manèges.
Anne Sylvestre s’éteint
le 30 novembre 2020 des suites d’un AVC.
Elle a reçu le grand
prix international du disque de l’Académie Charles-Cros, la médaille de vermeil
de l’Académie française et en 2002 est devenue officière de l’ordre national de
la Légion d’honneur.
Un héritage féministe et
artistique
Anne Sylvestre laisse
derrière elle une œuvre immense : 24 albums originaux, plus de 3000 concerts,
et un répertoire riche de chansons engagées et poétiques
Son influence se mesure
à l’admiration que lui portent des générations d’artistes et de militants.
D’Angèle à Jeanne Cherhal, nombreuses sont celles qui revendiquent son
héritage.
Anne Sylvestre reste une
voix essentielle, portant haut les couleurs de l’émancipation et de la poésie.
« Mais si c’est la faute à
Ève / Comme le bon Dieu l’a dit / Moi, je vais me mettre en grève / J’irai pas
au paradis / Non, mais qu’est-ce qu’Il s’imagine ? / J’irai en enfer tout droit
/ Le bon Dieu est misogyne / Mais le diable, il ne l’est pas ».
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