Le procès d’Hélène Brion en 1918
Hélène Brion, institutrice, syndicaliste au sein de
la Fédération des instituteurs et des institutrices, féministe bien affirmée,
deviendra pacifiste au vu de la misère de la population de Pantin où elle aide
à la soupe populaire. Son procès en Conseil de guerre, en 1917, en fera un
symbole de la résistance féministe à la guerre. Elle milite au syndicat des
instituteurs et des institutrices ainsi qu'à la SFIO. Elle s'engage aussi dans
de nombreuses organisations féministes : Le Suffrage des femmes, l’Union
fraternelle des Femmes, la Fédération féminine universitaire, la Ligue pour le
droit des femmes, l’Union française pour le suffrage des femmes, la Ligue
nationale du vote. En 1912, elle rentre au comité confédéral de la CGT, elle y
est secrétaire adjointe en 1914.
En 1915,
enfin, un fort courant pacifiste naît au sein de la CGT, avec notamment Marie
Mayoux (1878-1969), courant dont Hélène Brion va devenir porte-parole dès le
mois d’août. Elle adhère à la section française du Comité international des
femmes pour une paix permanente. Empêchée par la police française, elle
ne peut pas se rendre à la conférence pacifiste de 1915 à Zimmerwald, ni à
celle de Kienthal mais elle correspond par lettres sur ce sujet. Celles-ci,
interceptées par la police serviront au dossier d'accusation monté contre elle
à la fin de la guerre. Elle publie aussi des manifestes pacifistes et envoie le
23 octobre 1916 une lettre au Comité pour la reprise des relations
internationales, comité pacifiste dirigé par Alphonse Merrheim, et domicilié 33
rue de la Grange aux belles, à Paris, dans le 10e arrondissement.
En 1917, la police surveille Hélène Brion de près.
Le 26 juillet, elle perquisitionne à son domicile pour y trouver des documents
compromettants, et le lendemain, Hélène Brion est suspendue sans traitement. La
police demande un rapport à son inspectrice pour savoir si elle se sert de ses
élèves dans la diffusion de tracts pacifistes. Déjà les époux Mayoux, en
Charente, ont été poursuivis. En novembre, peu de temps après l'arrivée de
Clemenceau comme président du conseil, elle est arrêtée pour propagande
défaitiste et envoyée à la prison des femmes de Saint-Lazare, là où les anarchistes,
Louise Michel et Jeanne Humbert, ont été enfermées. Une campagne de
désinformation est orchestrée par les journaux comme le Matin, l'Écho de Paris
et l'Homme libre. Elle porte des
pantalons, elle aurait correspondu avec des soldats, des fabricants de
munitions, des prisonniers allemands, aurait caché des personnes bizarres,
aurait visité la Russie et se serait rendue à la conférence de Zimmerwald. Le Petit Parisien la soupçonne d'avoir
reçu de l'argent d'Allemagne pour organiser sa campagne pacifiste. Accusée
d’être anormale, anarchiste, de trahison et de faire du pacifisme sous couvert
de féminisme, Hélène Brion se défendra le 29 mars 1918 :
«
L'accusation prétend que sous prétexte de féminisme, je fais du pacifisme. Elle
déforme ma propagande pour les besoins de sa cause : j'affirme que c'est le
contraire (...) Je suis ennemie de la guerre parce que féministe, la guerre est
le triomphe de la force brutale, le féminisme ne peut triompher que par la
force morale et la valeur intellectuelle. Il y a antinomie entre les deux. »
Elle comparaît, avec Gaston Mouflard, son filleul
accusé des mêmes motifs, devant le premier conseil de guerre du 25 au 31 mars
1918. Elle y plaide principalement la cause du féminisme, faisant remarquer que
privée de droit politique, elle ne peut être poursuivie pour un délit
politique, et axe sa défense sur les droits qui sont niés aux femmes. Elle est
soutenue par des témoins de moralité, le député Jean Longuet, petit-fils de
Karl Marx, Jeanne Mélin, Marguerite Durand et la journaliste Séverine qui vont
faire de ce procès l'apologie du pacifisme et du féminisme. Elle est condamnée
à trois ans de prison avec sursis. Elle est révoquée de l'enseignement avec
effet au 17 novembre 1917. Elle ne sera réintégrée que sept ans plus tard sous
le gouvernement du cartel des gauches. C’est elle qui dirigera le journal La lutte féministe dont le premier
numéro sortira le 20 février 1919
Adresse féministe
au Comité pour la reprise des relations internationales
au Comité pour la reprise des relations internationales
Nous qui n’avons rien pu pour
empêcher la guerre, puisque nous ne possédons aucun droit civil ni politique,
nous sommes de cœur avec vous pour en vouloir la fin.
Nous sommes de cœur avec vous pour vouloir, après cette fin ou à l’occasion de cette fin, essayer d’instaurer en Europe un système social plus juste et plus équitable qui, d’une part, rende les guerres moins fréquentes, par une sorte de fédération des nations, et assure, d’autre part, au sein de chaque fédération, une vie plus large et moins précaire à l’immense masse des travailleurs.
Nous sommes, nous femmes, avec la masse des travailleurs, parce que partout où elle est opprimée, et que nous sommes, nous femmes, également, partout opprimées, beaucoup plus même que n’importe quelle classe de travailleurs.
Nous sommes de cœur avec vous pour vouloir, après cette fin ou à l’occasion de cette fin, essayer d’instaurer en Europe un système social plus juste et plus équitable qui, d’une part, rende les guerres moins fréquentes, par une sorte de fédération des nations, et assure, d’autre part, au sein de chaque fédération, une vie plus large et moins précaire à l’immense masse des travailleurs.
Nous sommes, nous femmes, avec la masse des travailleurs, parce que partout où elle est opprimée, et que nous sommes, nous femmes, également, partout opprimées, beaucoup plus même que n’importe quelle classe de travailleurs.
Comme vous, travailleurs, et plus
que vous, nous souffrons des guerres et c’est pourquoi nous voudrions
essayer d’en prévenir le retour.
Mais avant d’entrer à vos côtés dans
une phase plus décisive d’action, nous tenons à bien mettre en lumière les
motifs qui nous font agir et à faire sur votre attitude les réflexions que les
faits nous commandent.
Vous n’avez jamais été justes,
travailleurs, vis-à-vis des femmes qui vous ont aidé dans vos luttes.
À l’aube de 89, au moment où
une ère nouvelle semblait commencer pour le monde, elles vinrent à vous,
confiantes, parce que vous parliez de liberté et qu’elles pensaient obtenir la
leur. Vous les avez repoussées.
Fiers de vos droits fraîchement
acquis de «
citoyens », au lieu de leur tendre une main fraternelle, à
elles, qui depuis des siècles tiraient la charrue à vos côtés et mangeaient,
comme vous, l’herbe des champs dans les années de grande famine, vous avez
raillé, vous avez méprisé. Vous qui ne vouliez plus de despotes, vous vous êtes
effrayés à l’aide de l’émancipation possible de vos esclaves éternelles. Vous
avez dispersé les clubs de femmes, confisqué les journaux de femmes, retiré aux
femmes le droit de pétition, défendu aux femmes toute pensée, toute
action. Vous avez rejeté brutalement les femmes dans l’ignorance d’où elles
voulaient sortir, dans les bras de l’Eglise à qui elles voulaient échapper.
Plus de la moitié de celles qui furent, à quatorze ans, l’âme de la révolte
vendéenne, étaient venues confiantes à la Révolution en 89 :
mais, repoussées, comme le furent d’abord les noirs des colonies, elles
firent comme eux et se révoltèrent. Et Legouvé a pu écrire plus tard
que la Révolution échoua parce qu’elle ne sut pas s’attacher les femmes.
Remarquez cependant que, malgré
cette dureté de vous à notre égard, beaucoup espérant toujours, restèrent sur
la brèche à vos côtés. Vous connaissez tous Mme Roland, Charlotte Corday,
Théroigne de Méricourt, Rose Lacombe, Olympe de Gouges, Sophie Lapierre et
les femmes babouvistes, tant d’autres qui scellèrent de leur sang leur foi
révolutionnaire.
Au cours de tout le XIXème siècle, à
toutes les époques de crise, les femmes vous accompagnent ou vous précèdent.
En 1830, en 1848, en 1851, en 1871, nous trouvons Flora Tristan,
Jeanne Deroin, Pauline Roland, Eugénie Niboyet, Adèle Esquiros, Andrée Léo,
Olympe Audouard, Louise Julien, Louise Michel, Hubertine Auclert, Eliska
Vincent, Nathalie Le Mel, tant d’autres encore, dont les noms peu ou point
connus de vous, nous sont chers à nous, féministes, comme le sont aux peuples opprimés
les noms des héros nationaux.
À chacune de ces époques, les femmes
sont venues à ceux qui luttaient pour plus de liberté et de bien-être, pour une
vie plus intelligente et plus humaine. Les pionnières du féminisme se sont
données sans compter à votre cause, essayant d’y adjoindre celle des femmes et
de vous faire comprendre la connexion étroite des deux, non par égoïsme et pour
tirer un profit personnel, mais par amour de la justice, dans l’intérêt de
toutes leurs sœurs qui souffrent, dans votre intérêt à vous aussi,
travailleurs, qui ne le comprenez pas.
Vous avez toujours accepté leurs
concours, parfois avec un peu de honte et rougissant de ce que vous leur
deviez, ainsi qu’il advient lors du procès des 107 associations ouvrières de
Jeanne Deroin.
Mais, tout en acceptant leurs
efforts, vous n’avez jamais songé, le moment venu, à partager avec elles, les
trop légers avantages qu’elles vous avaient aidés à arracher au pouvoir. Vous
n’avez pas encore compris ou voulu comprendre que votre cause ne sera vraiment
juste que le jour où vous ne souffrirez plus d’esclaves parmi vous. Tant qu’il
vous paraîtra naturel de garder des privilèges vis-à-vis de plus de la moitié
de la nation, vous serez mal fondés à réclamer contre les privilèges que
d’autres ont par rapport à vous. Si vous voulez la justice à votre égard,
tâchez de la pratiquer à l’égard de vos inférieures, les femmes.
Travailleurs, une crise sociale plus
grave que toutes celles du XIXème siècle se prépare en ce moment. Les femmes,
comme toujours, viennent à vous d’instinct, prêtes à donner sans compter leur
dévouement le jour où vous agirez.
Et les féministes viennent à vous
aussi, avec le même dévouement et la même volonté. Mais elles tiennent à vous
dire : « Si,
cette fois encore, vous acceptez le concours des femmes - et vous ne pouvez pas
ne pas l’accepter ! – sans songer à leur faire place au jour des
réparations sociales, si vous les conservez serves au lieu d’en faire vos
égales d’un point de vue économique, civil et politique, votre œuvre sera
entièrement manquée ! ».
Elles viennent à vous pour vous
rappeler, ou pour vous apprendre que, dès 1843, une femme, Flora Tristan, avait
eu la première idée de l’Association Internationale des Travailleurs, et elles
vous citent ce passage trop oublié du manifeste qui précédait les statuts et en
résume l’esprit.
« Nous, prolétaires, nous
reconnaissons être dûment éclairés et convaincus que l’oubli et le mépris des
droits de la femme sont les seules causes des malheurs du monde et nous avons
résolu d’inscrire dans une déclaration solennelle ses droits sacrés et
inaliénables….
Nous voulons que les femmes soient
instruites de nos déclarations afin qu’elles ne se laissent plus opprimer et
avilir par l’injustice et la tyrannie de l’homme et que tous les hommes
respectent dans les femmes, leurs mères, la liberté et l’égalité dont ils
jouissent ! »
Travailleurs qui lisez ceci, les
féministes vous disent : Si vous vous étiez inspirés de statuts et de
l’esprit de cette toute première Internationale, que vous ne comptez même pas
dans votre histoire, la seconde n’aurait pas fait la lamentable faillite dont
le monde souffre.
Travailleurs, les féministes
d’avant-garde attendent votre réponse et vous laissent méditer ce mot de
Considérant :
« Le jour où les femmes seront
initiées aux questions sociales, les révolutions ne se feront plus à coups de
fusils ! »
Transmis au Comité par Hélène Brion.
Remis à Merrheim le 23 octobre 1916.
Remis à Merrheim le 23 octobre 1916.
Hélène
Hernandez
Groupe
Pierre Besnard de la Fédération anarchiste
Emission
Femmes libres sur radio libertaire
Extraits
des pages 88 à 94 de :
HERNANDEZ
H. (2015) Celles de 14. La situation des femmes au temps de la grande
boucherie, Les Editions libertaires.
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