CINÉMA & REGARD FÉMINISTE
Vous
souvenez vous du film LES ENFANTS DU MARAIS, film avec Jacques Villeret, André
Dussollier, Michel Serrault, Jacques Gamblin..... et une vedette féminine,
Isabelle Carré. Ce film de 1999 a eu
beaucoup de succès. Et moi, je n'ai pas aimé. Vous vous souvenez ? Une
bande de copains qui mènent une vie simple dans le marais. Ce qui m'avait
surpris c'est la manière dont étaient traitées les figures féminines :
Emilie, la femme de Riton, hurle après
son mari. Les copains ne parlent de leurs femmes et filles qu'en terme de
problèmes et emmerdements. Par contre, quelle indulgence envers les bouteilles
vides de Riton.... Le metteur en scène, Jacques Becker, a utilisé sa vision
masculinISTE ? pour construire son film ; il nous dit que les femmes sont des emmerdeuses
qui empêchent les hommes d'être libres et heureux !!! Ce film est un exemple parmi d'autres de la
manière la plus courante de mettre en scène les rapports femme/homme depuis longtemps,
sans qu'on y prenne garde.
C'est la première fois
que je regardais un film comme çà : je constatais alors qu'un homme me racontait une histoire avec sa
personnalité, sa manière de dire les choses, de voire la vie, et notamment son
regard sur les femmes et ce regard-là était patriarcal. Et les metteurs en
scène étant en nombre extrêmement supérieur à celui des metteurEs en scène au
féminin, le cinéma reflétait donc ce monde de mecs, leur univers de mecs qui ont le pouvoir et ce
depuis la naissance du cinéma ! C'est dire si les spectateurEs avaient une
démonstration univoque du monde vue par les hommes tels qu'ils voulaient qu'il
existe.
Depuis, je ne regarde
plus les films avec les mêmes yeux et je vous dirai que c'est très désagréable
car je ne me laisse plus emmener là où le réalisateur a envie mais je garde mon
esprit critique et je vois toujours des choses qui me gênent ; la magie n'agit
plus, l'oeil critique reste en éveil.....
Tiens dernier
exemple : LA PASSANTE DU SANS-SOUCI avec Romy SCHNEIDER et Michel PICCOLI,
film de Jacques ROUFFIO, réalisé en 1982. Ce film est complètement tourné vers
les hommes même si l'héroïne est une femme ; c'est l'histoire de Elsa, qui
se bat pour faire libérer son mari arrêté par la Gestapo en 1933. Une femme ne
peut que se battre pour son mari aimé, se battre jusqu'à la descente aux
enfers. C'est normal !!! Au début du film, on voit un couple
amoureux : il prend un bain, elle le sèche, l'habille, lui donne sa
cigarette ; sa servante, quoi !!! Lui, brusque avec elle, viril
quoi !!! Et quand il doit soudainement s'occuper d'une affaire extrêmement
urgente, il la plante là, sans explication, irrespectueusement ! Il n'a
plus besoin d'elle ! Elle ne sert plus à rien. On saura plus tard qu'il
dit aimer cette femme qui ressemble trait pour trait à Elsa, donc pas pour elle-même !!!!! les
deux femmes sont d'ailleurs jouées par Romy Schneider. Ces deux personnages
féminins sont uniquement consacrés aux hommes de cette histoire ! Et que
Romy est belle !!!!
Dès
lors, on ne peut plus s''étonner que les héroïnes féminines soient aussi douées sur un plan de
leur jeu de scène que celui de leur plastique et on comprend que les Maryline
Monroe, Brigitte Bardot et autre Lauren Bacall aient dû leur carrière à leur
talent mais aussi à leur beauté dite fatale définie par ces
messieurs !!!! Voilà pour
l'histoire. Les prises de vue qui s'attardent sur le corps, la
mise en scène, les femmes nues et les hommes habillés, tout ça illustrent et véhiculent les préjugés sexistes les plus
rétrogrades !
Les westerns sont
évidemment la caricature absolue, les femmes étant cantonnées dans les rôles de
femmes au foyer qui tremblent pour leur mari ou amant viril et fort. On peut
constater d'ailleurs que, de manière générale,
les femmes sont présentées dans trois registres : victimes, mise en
valeur de monsieur qou égérie. Et pour ces rôles, elles doivent tout
supporter ! Tout le monde a à l'esprit la scène de viol dans le film LE
DERNIER TANGO A PARIS entre Marlon
Brando et Maria Schneider. On sait maintenant que l'actrice n'était pas
informée de ce qui l'attendait pendant le tournage. On devine quelle ambiance
misogyne devait régner sur le plateau, tous les techniciens étant de fait
complices de cette mise en scène macabre !!!!! Et à quel point le pouvoir des hommes peut être sans limite!!!! Maria restera brisée par
cette histoire, brisée par le pouvoir de
ces mâles qui ont commis un crime ce jour-là, même si la scène
était simulée. On mesure aussi ce qu'ils
leur ont fait subir pour mettre en scène leurs fantasmes de mâles tout
puissants !!!
D'ailleurs, les
réactions ont commencé à s'organiser et un test de Bechdel-Wallace a été créé en 1985 par deux
femmes, Alison BECHDEL et Liz WALLACE, autrices de BD, pour mettre en évidence la présence des personnages féminins dans un
film : au moins deux femmes nommées, qui parlent ensemble et qui parlent
de quelque chose qui ne concerne pas un homme. A défaut, on parle du «syndrôme
de la schtroumfette » qui met en
valeur la sur-représentation des protagonistes masculins dans un film ou une
série, c'est valable notamment dans les œuvres de science fiction. Star Wars
est un exemple. Mais les aventures de Tintin aussi !
Maintenant, les femmes prennent de plus en
plus leur place comme réalisatrices et on peut voir des films vraiment
intéressants dans la manière dont est traité le sujet du film, dont sont
filmées les héroïnes, la manière dont elles parlent aussi ! On peut
comparer et être vraiment surpris de la différence de traitement dans les sujets
quand les femmes donnent leur vision du monde à elles ! La première
réalisatrice et productrice fut une femme française née en 1896, Alice GUY.
Elle joua un rôle actif dans la diversification des fictions, tourna des scènes
en extérieur, bâtit une histoire avec une personnage principale qu'elle filma
en gros-plan comme dans le court-métrage MADAME A DES ENVIES en 1906. On ne se
souvient pas d'elle, balayée qu'elle fut par Hollywood, monde masculin s'il en
est.
Et la dernière série que j'ai vue
sur Arte cet été,
ZEROSTERONE, a été conçue et
réalisée uniquement par des femmes. La productrice, Nadja AMANE, dit dans une
interview que ce film est féministe mais pas revendicatif. Elle explique :
« En tant qu'auteure, je pense que nous avons toutes du mal à écrire des
personnages féminins. Dans les films et les livres qui nous ont nourries, les
hommes étaient construits comme de vrais personnages avec plusieurs facettes
alors que les femmes étaient faites comme des personnages secondaires avec une
seule caractéristique forte : la mère, l'infirmière, etc. »
Je ne trouve pas ce film
« féministe ». Il raconte une histoire et place les femmes à leur
place, ni plus ni moins. Mais j'ai vraiment aimé la personnalité des
héroïnes qui laissent leur féminité s'épanouir
sans complexe et ça donne une chouette couleur à cette fiction. Elles ne sont
pas obligées de tenir un rôle par rapport à un homme, elles sont elles-mêmes.
Et j'ai adoré ça !
Sinon, le constat est que
les femmes ne font pas mieux ou pas pire que les hommes sur le plan
politique. Le scénario raconte la vie
sur terre depuis cent ans durant lesquels la planète est habitée par les seules
femmes à la suite d'une guerre chimique
qui a supprimé tous les hommes. Une dictature existe et les rapports de pouvoirs
sont aussi insupportables avec des femmes. Le monde qu'elles perpétuent
fonctionne aussi bien, aussi mal que du temps des hommes. Mais ce qui me
chagrine, c'est que l'auteure n'ait pas imaginé qu'une mémoire puisse avoir pu
être conservée et que, sans vouloir déflorer l'histoire, elles veuillent à tout prix que l'homme reprenne sa place
dans leur monde sans réfléchir au passé et en tirer les conséquences.
Un concept est
actuellement beaucoup utilisé sur les
réseaux sociaux et dans les milieux féministes pour décrire les enjeux de
pouvoir entre les sexes dans les séries télé, les jeux vidéo ou la pub. Il a
été créé il y a plus de 50 ans pour le cinéma par la critique Laura
Mulvey. Le male gaze ou autrement dit, le regard
masculin fait des femmes un objet de
désir et de plaisir. La nuance avec le constat que je fais est que le male gaze
considère la femme comme un objet sexuel ou sexualisé à qui on
intime « sois belle et tais-toi ! » Elle est soumise au regard
de l'homme, acteur ou spectateur, réalisateur et ce pour leur seul plaisir.
Monsieur étant actif, Madame passive, il a le pouvoir, elle est son objet.
Laura Malvey va plus loin en expliquant que les prises de vue qui morcellent le
corps stylisé de la femme font que la caméra entretient ce plaisir voyeuriste
et que la femme est possédée par le regard des voyeurs masculins (scopophilie). Et je trouve que le film LA
PASSANTE DU SANS-SOUCI est complètement dans ce format.
On
peut ajouter que le phénomène #mee too a aussi probablement participé à ce
mouvement féministe dans le cinéma qui donne à voir autre chose que des
représentations patriarcales.
Du coup, des films
« contre-male gaze » apparaissent, promouvant des femmes refusant la
domination, jouant égal à égale avec les hommes. Et le nombre plus important de
femmes dans le monde du cinéma les favorise. On peut voir leurs œuvres
notamment dans les nombreux festivals qui reflètent la vitalité du
secteur. Voici quelques évènements ayant
eu lieu cette année ou programmés pour l'année prochaine, de par le
monde :
* Festival de films féministes de Montréal : 18-22/09/2019
- Festival Filministe Montréal : 8-11/03/2020
- Festival de Venise : 2019 avec la projection de The Perfect
Candidate, film saoudien de Haïfa Al Mansour (réalisatrice du film Wajda)
et en France :
- Festival de films de Douarnenez : Thématique
Algériennes-Algériens 17-24/08/2019 (femmes algériennes dans la lutte pour
l’indépendance, mais aussi aujourd’hui)
- Cinéffable : 31/10-3/11/2019
- Festival de Cannes : manifestation féministe autour du film
Que sea ley / droit à l’avortement en Argentine
- Fraiches Women Festival, festival afro, Montreuil :
11/05/2019
- La Girandole, festival écoféministe, au Théâtre de verdure à
Montreuil : 25-26/05/2019
- Les Résistantes, La Bellevilloise à Paris : 27/04/2019
- Féministival, Marseille : 13-14/07/20119
- Après la pluie, festival éco-féministe, Pantin : 29/06/2019
- Loudaud proud à la Gaité lyrique, Paris : 4-7/07/2019
- Festival international du film lesbien et féministe, Paris, Espace
Reuilly : nov 2019
- Festival Femmes en résistance : 28-29/09/2019
- Festival international de films de femmes de Créteil : mars
2019
En ce qui concerne
ce dernier, nous avons la chance que Hélène y ait participé en tant que membre
du jury pour l'édition 2017.
Hélène, peux-tu
nous dire comment les féministes qui
organisent cette manifestation envisagent cette notion de male gaze et leurs
réponses à ce concept ?
Image de présentation de la série ZEROSTERONE/
Dans les films de
femmes que je vois depuis près de 40 ans, il me semble que le regard porté par
une femme cinéaste féministe (c’est le choix du Festival parmi les centaines de
films de femmes qui sortent, c’est qu’il ait une visée féministe) soit évacue
l’homme et met l’accent sur une ou des femmes sujets de leur histoire ou
agissant pour le devenir soit nous montre des réactions de femmes parfois très
drôles ou poétiques à des comportements sexistes d’hommes. Mais de toute façon
le regard cinématographique se porte sur les femmes.
J'espère
que maintenant, vous ne regarderez plus jamais un film comme avant.......
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