DEUX FEMMES à l'HONNEUR AU MUSÉE DU PRADO DE MADRID - La Tribune Libre

DEUX FEMMES à l'HONNEUR AU MUSÉE DU PRADO DE MADRID

Permettez-moi de vous présenter Sofonisba et Lavinia. 




Qui ? 

Et oui, la plupart d'entre nous ne les connaissons pas. Pourtant, à leur époque, deuxième moitié du 16ème siècle, dans leur pays,  l'Italie, elles étaient célèbres et unanimement reconnues dans leur art, la peinture. Malgré cela, elles ont toujours été considérées comme des curiosités, des artistes différentes quelle que soit la qualité de leur œuvre. Du coup, le voile lourd du patriarcat s'est abattu sur elles et leur renommée n'a jamais traversé les siècles. Et ce n'est que justice que le musée du Prado à Madrid leur ait consacré une exposition.  Celle-ci a été organisée dans le cadre de la célébration de son bicentenaire 1819-2019. Elle s'est terminée début février 2020. 

Donc je vous présente Sofonisba ANGUISSOLA et Lavinia FONTANA, deux peintresses célèbres de la Renaissance, dont le talent égale celui des peintres de cette époque, le Tintoret, Michelange.             
La commissaire de l'exposition, Leticia Ruiz, a revendiqué le choix de ces deux artistes non parce qu'elles étaient des femmes mais parce qu'elles étaient des artistes de grand talent. Je me permets d'avoir un doute quand on constate la rareté des manifestations de peintres féminines et quand on sait que c'est la seconde expo seulement, la première ayant été organisée en 2016 dans cet illustre musée.         
Et Madrid a pavoisé ses rues de multiples portraits de ces deux artistes injustement oubliées. Et j'ai noté que l'affiche de l'exposition annonçait deux "pintoras", traduction  espagnole  de "peintresses" comme devaient encore s'appeler ces deux femmes qui avaient fait de la peinture leur métier, quand chez nous on jongle avec "femmes peintres "....
("peintresses", utilisé au Moyen-âge, a disparu du vocabulaire, comme ces femmes effacées de l'histoire.....).           

L'oubli est davantage incompréhensible quand on sait qu'elles ont dépassé des interdits de l'époque, la Renaissance, liés à leur genre. Lavinia, par exemple, a été la première femme à ouvrir son propre atelier quand le sort habituel des peintresses était de seconder mari ou frère et de rester dans l'ombre. 

S'aventurer en dehors de l'environnement domestique pour suivre une carrière professionnelle venait en contradiction des rôles de décorum et de respectabilité qui étaient alors dévolus aux femmes occupant un certain rang. La femme noble de la Renaissance devait pouvoir briller en société et afficher l" image de  "femme virtuose ". Elles ont défié ce modèle en allant au-delà. De cette virtuosité, elles ont fait une identité propre . Et c'est l'image que toutes deux ont voulu donner a travers leurs autoportraits : des femmes de plus en plus affirmées au fil de leurs œuvres, des femmes cultivées qui se mettaient en scène : Sofonisba qui joue du virginal, instrument de musique de l'époque qui ressemble à   un clavecin  ou qui écrit des poèmes. 

Lavinia a aussi fait de nombreuses toiles représentant des nuEs, ce qui était par contre fort inconvenant pour une femme de cette époque. L'accès à l'école des Beaux-arts était interdit aux femmes pendant les cours d'études d'anatomie où il fallait dessiner des corps nus d'après des modèles vivants....Son statut de professionnelle lui a permis de passer outre. Elle a pu aussi faire des tableaux religieux en grand format destinés à des églises ou autre couvent quand les femmes devaient se cantonner à des miniatures ou des petits tableaux de dévotion destinés à l'usage privé.

Il leur était même interdit de signer les portraits. C'est ce qui rend l'expo d'autant plus intéressante car il a fallu que les organisateurEs rassemblent et authentifient les tableaux des deux femmes, parfois attribués à d'autres peintres.... Le musée a d'ailleurs indiqué qu'il allait poursuivre ce travail de ré-authentification des œuvres actuellement signées par d'autres.         

J'ai vu l'expo et je dois dire que j'ai été vraiment touchée par ce qui se dégage de ces œuvres. La critique dit qu'elles sont presque vivantes et que les émotions se lisent sur les visages des personnages, souvent de la famille pour Sofonisba, réunis dans des scènes classiques dans lesquelles le quotidien n'est jamais bien loin, illustré par des objets simples et symboliques de la vie de tous les jours. J'ai appris par exemple que la présence d'un chien dans une scène signifie la fidélité.  

À cette époque déjà la ressemblance des sujets était indispensable car le tableau faisait office de photo de famille. Mais le regard de la fille vers son petit frère dans un tableau familial ou celui du bébé vers sa grand-mère dans le tableau d'une vierge à l'enfant et sa mère, Anne, sont bluffants.... Même dans un portrait de Philippe 2 d'Espagne, habitué aux positions hiératiques, une certaine légèreté se lit dans le regard du roi, inhabituelle à l'époque. Celui-ci aimera beaucoup ce tableau. Sofonisba sera d'ailleurs essentiellement portraitiste, faisant peu d’œuvres religieuses. 

Pour ma part, j'ai constaté combien les expressions « viriles » ont cours dans cette enceinte prestigieuse, comme ailleurs, d'ailleurs ! J'ai parcouru les nombreuses salles du Prado pour saluer les maîtres comme Velasquez, Goya ou Jérôme Bosch. De nombreux tableaux évoquent les sentiments héroïques des grands événements religieux ou antiques inspirés des mythologies. Ou encore, ce sont les portraits de tous les grandEs de ce monde qui posent pour la postérité, fièrEs, dignes ! Goya ou Jérôme Bosch donnent à voir des sentiments plus extrêmes encore qui vous laissent perplexes parfois ! Alors, quand vous abordez certains tableaux de Sofonisba, l'ambiance est différente et ce regard de tendresse dans le tableau que j'évoquais ressemble à une oasis dans cet océan de sentiments chevaleresques et paroxystiques. Il m'a presque rassurée ; non, à la Renaissance, tout ne se passe pas dans le bruit et la fureur... C'est aussi une époque où il y a de la tendresse et de la complicité ! Ceci dit, les tableaux sont d'une facture très classiques, répondant tout à fait aux codes de l'époque.        

Cependant, ces artistes n'auraient jamais pu réussir sans l'appui inconditionnel de leur père respectif, eux-mêmes peintres, qui ont soutenu leur fille dans leur formation de haut niveau comme dans leur reconnaissance professionnelle, les réseaux paternels fonctionnant à plein. La société était masculine et sans cela, c'était mission impossible. Le père de Sofonisba lui a aussi donné une éducation humaniste qui a contribué à son succès.         

Enfin, je vais vous parler du tableau qui représente un peintre en train de faire le portrait de Sofonisba. Le peintre,  c'est Bernardino Campi, qui lui même a été le maître de Sofonisba pendant plusieurs années. C'était un peintre reconnu. Dans le tableau, la vedette, c'est Sofonisba, le peintre étant représenté dans un coin, en bas à gauche, un peu à l'ombre. Elle, est dans la lumière, vêtue d'un magnifique vêtement rouge. Certains critiques d'ailleurs, avancent que l'oeuvre ne serait pas de Sofonisba mais de  Campi. Outre la facture du tableau, certains indices laissent à penser 
que Campi a voulu rendre hommage à son ancienne élève et montrer sa fierté de l'avoir formée. 

Je trouve que c'est une belle histoire. 

Pas vous ? 

J'espère que l'aventure de ces deux femmes redécouvertes au XXIème siècle est la première d'une longue liste. De plus en plus de médias parlent d'artistes féminines disparues des radars de la postérité. Récemment ARTE a diffusé l'histoire d'une peintresse allemande complètement oubliée :  Paula Modersohn-Becker. Elle vécut à l'époque de Cézanne, Van Gogh et Gauguin. Elle fut l'une des représentantes les plus précoces du mouvement expressionniste allemand. 

Dans le domaine de l'écriture, les éditions TALENTS HAUTS ont sorti des livres écrits par des femmes qui ont eu beaucoup de succès à leur époque et qui sont elles aussi complètement tombées dans l'oubli. C'est ainsi que j'ai appris que Théophile Gautier avait une fille, Judith, elle même écrivaine, très connue de son vivant et dont on ne parle plus du tout. C'est dans la collection « les Plumées » que vous trouverez des noms comme Georges de Peyrebrune, Julia Daudet, femme de et écrivaine oubliée.... J'adore d'ailleurs le clin d’œil de cette collection : les Plumées, à utiliser dans tous les sens !!! 

Alors, qu'on se le dise, quand les Plumées et les Peintresses se réveillent !!!!!

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