LES SORCIÈRES DU VINGT et UNE ème SIÈCLE - La Tribune Libre

 LES SORCIÈRES DU VINGT et UNE ème SIÈCLE

          


Octobre, voici la saison des sorcières. C'est pour moi l'occasion de vous reparler d'elles. L'année dernière, j'avais évoqué l'histoire des sorcières au Moyen-âge. Cette année, ce sont celles d'aujourd'hui qui m'intéressent ; elles sont toujours là au vingtième et une ème siècle, toujours là pour le pire mais aussi le meilleur !

            L'hebdomadaire COURRIER INTERNATIONAL leur a consacré un dossier dans son numéro d'été suite à l'ouverture en juin dernier à Ribes au Danemark d'un musée dédié aux chasses dont elles ont été victimes dans l'Europe des XVI et XVII ème siècles : le HEX!, Museum of Witch Hunt.

            Depuis cette époque, elles excitent encore et toujours l'imagination et les passions. Les accusations de sorcellerie existent toujours dans certains pays et  des états tels que le Ghana les enferment dans des camps qui leur sont réservés. Depuis plusieurs années, ce pays a entrepris de les fermer et actuellement, il en reste quatre. Ce sont des prisons à ciel ouvert, installées loin de tout, sans eau ni électricité et  sans protection, où elles sont toujours en danger d'être lynchées ou tuées.
            Ce pays qui a compté le plus de camps a entrepris de les fermer mais fin 2019,  il restait encore 350 femmes emprisonnées. D'aucuns disent aussi que ces prisons sont aussi leur refuge qui les protègent malgré tout de la vindicte de la population.

            D'autre pays africains comme la Gambie, la Centrafrique ou encore le Kenya punissent toujours la sorcellerie. On constate d'ailleurs que les accusations de sorcellerie augmentent avec la pauvreté : "la désintégration du lien social est responsable de ce phénomène grandissant" explique à la chaîne qatarie Al-Jazira Laurent Gomina-Pampali, professeur à l'université de Bangui et ancien ministre. La Centrafrique par exemple est depuis 8 ans le théâtre d'une guerre civile.

          Ce sont toujours les femmes qui sont accusées...  Dans tous les pays africains la magie noire est partout présente et nombre de présidents font appel à des marabouts. Mais les mauvais sorciers sont toujours des sorcières. "Une croyance est répandue ; les hommes utilisent la magie pour protéger ; les femmes ne le font que pour nuire, constate Gatopardo, une revue sud-américaine de grands reportages. La question du genre est un paramètre constant. Bien que les hommes et les femmes puissent utiliser la magie noire, ces dernières sont accusées parce que leur pouvoir est redouté."  La chercheuse Susan Drucker-Brown explique aussi : "la peur des sorcières a augmenté de la même manière que les dépendances des hommes à l'égard des femmes". La sorcellerie devient alors le moyen ultime d'une société patriarcale pour faire en sorte que les femmes ne prennent pas trop de place...

          Et il suffit de pas grand'chose pour traiter une femme de sorcière ; je vais vous raconter l'histoire de Sana. Pour elle, écrit Gatopardo, la malédiction est arrivée un jour de 1996, lorsqu'elle a reçu la visite de son fils et un de ses frères, malades. « Je pense que ton petit ne se sent pas très bien. » lui a dit Sana. « Pourquoi pensez-vous que votre propre frère vous a accusée ? » lui demande le journaliste. « Je ne sais pas, mais quelques temps avant, je lui avais prêté de l'argent. Cela s'est produit alors qu'il devait me rembourser. » répond Sana. Elle passe alors plus de vingt ans dans le camp de Gnani, l'un des quatre camps pour sorcières qui existent encore au Ghana.

          C'était déjà le cas à la Renaissance ; aucune preuve était nécessaire pour accuser une femme de sorcière : une mauvaise réputation, la connaissance de l'art de la guérison par les herbes médicinales ou la mort subite d'un enfant ou d'une vache suffisaient à la dénoncer et à la faire condamner. La professeure émérite Armelle Le Bras-Chopard,  qui travaille à l'université de Versailles St Quentin en Yvelines, explique au journal le Monde le premier novembre 2018 : « Les magistrats et les inquisiteurs tiraient d'ailleurs parfois bénéfice des condamnations puisqu'ils prenaient les biens de celles qu'ils désignaient comme sorcières. »  Car une sorcière n'était pas nécessairement pauvre et laide ; elle pouvait être jeune, riche ; elles étaient aussi artisanes ou commerçantes, bien insérée dans la société.

          Autant dire que la situation intrinsèque des sorcières n'a pas changé depuis tout ce temps. Que représentent-elles donc à ce jour pour que  nous faisions encore les mêmes constats ?

           RITA MITSOUKO la sorcière et l'inquisiteur


           Cette grande violence subie par les sorcières est donc encore et toujours emblématique du système patriarcal d'hier et aujourd'hui et tout à fait en phase pour représenter une image féministe dans notre monde actuel. 

          Une autre facette du   personnage de la sorcière qui renforce cette analyse est celui d'avoir fait un pacte avec le diable en couchant avec lui. Madame Le Bras Chopard explique : « La sorcière, c'est la femme qui s'échappe des mains de son mari, par la cheminée avec son balai pour – littéralement – s'envoyer en l'air. » Elle veut être libre, maîtriser sa sexualité mais aussi aider les autres femmes à faire de même. Et au XXIème siècle, les femmes qui font ce choix sont taxées de sorcières. Hillary Clinton a régulièrement été traitée de sorcière pendant la dernière campagne électorale américaine par ses adversaires politiques mâles !!!! Alors on comprend mieux pourquoi cette insulte est devenue maintenant un symbole pour les féministes.
                       
            Pour moi, c'est donc le meilleur qui peut arriver à une sorcière d'être reconnue par les féministes qui ont repris cette figure légendaire. Dans l'image de la sorcière, elles ont vu le pouvoir patriarcal qui écrase les femmes qu'il trouve dangereuses, elles ont vu les femmes mises au banc pour leur savoir qui entraient en concurrence avec celui des médecins hommes du Moyen-âge. Elles ont vu le pouvoir des femmes que que les hommes rejettent absolument. Elles ont reconnu la femme rebelle.

            Alors dans les manifestations il n'est pas rare de rencontrer des sorcières, plus sorcières les unes que les autres, qui revendiquent l'égalité.

          Le COURRIER INTERNATIONAL raconte que dans une manifestation organisée à Bloomington aux Etats Unis le 6 juillet 2020, les sorcières étaient là avec des pancartes dénonçant l'agression dont aurait été victime deux jours avant Vauhxx Booker, militant des droits civiques. Et sur des pancartes brandies par ces sorcières, on pouvait lire : LES SORCIERES CONTRE LE RACISME.

           Les sorcières de notre siècle utilisent beaucoup les réseaux sociaux et on les trouve sur TIK TOK ou INSTAGRAM. Le site REFINERY29 explique : « Les sorcières prospèrent sur le réseau social favori du moment, Tik Tok. »  Elles partagent des contenus tels que la cartomancie virtuelle, des modes d'emploi de cristaux, des articles sur le cosmos, des rituels de soins new age et des guides sur la façon de jeter des sorts. Mais elles sont aussi mobilisées pour le mouvement Black Lives Matter (BLM) suite à la mort de Georges Floyd et lancent des sorts de protection en direction des manifestantEs. A la mi-juillet, on dénombrait plus de 30 millions de vidéos taguées « WitchesForBLM ».

          Cela fait bien maintenant presque deux siècles que des auteures féministes traitent de la question des sorcières. Le débat concernait essentiellement le fait de savoir qui elles étaient vraiment : prêtresses d'une religion païenne ?  Réelles victimes de la société patriarcale de l'époque ? Défenderesses des droits ou victimes de violences conjugales, représentatifs des crimes patriarcaux ?

          Mona Chollet dans son livre : « Sorcières, la puissance invaincue des femmes » explique que le mythe de la sorcière est né de la peur des hommes envers les femmes libres, indépendantes et féministes ! La sorcière du XVIème siècle est l'archétype de la femme indépendante. Car si ce sont souvent des guérisseuses qui ont été brûlées comme sorcières, c'était aussi des femmes qui ne se laissaient pas faire : « répondre à un voisin, parler haut, avoir un fort caractère ou une sexualité un peu trop libre, être une gêneuse d'une quelconque manière suffisait à vous mettre en danger. » Nombreuses sont les femmes célibataires ou veuves, ou encore celles qui ne voulaient pas d'enfants qui ont été taxées de sorcières ! Bref être indépendante de l'homme, ne pas vouloir être mère, se marier ou se taire.... On comprend aussi que cette image des sorcières d'antan remplisse l'imaginaire des féministes de notre époque. On comprend aussi pourquoi le mouvement féministe se reconnaît en elles et a tant de difficultés à se faire entendre, le pouvoir patriarcal d'hier et d'aujourd'hui étant vent debout contre toute tentative d'autonomie des femmes.


          Mona Chollet ajoute que l'image de la sorcière équivaut à revendiquer la liberté, la tolérance, un monde où femmes et hommes peuvent vivre en bonne intelligence, « un monde où la libre exultation de nos corps  ne serait plus assimilée à un sabbat infernal. »

          Cette image de la sorcière est réapparue vers les années 60 : le mouvement Women's International Terrorist Conspiracy from Hell (WITCH en anglais qui veut dire SORCIERE) a défilé à Wall Street en proclamant la chute de la Bourse. Cinquante ans plus tard, les « sorcières » se sont réunies à Washington pour jeter des sorts à Donald Trump.

          Le  28 septembre 2017, le Witch Bloc qui se définit comme un groupe de sorcières féministes, radicales et en colère,  manifestait pour le droit à l'avortement et on peut lire sur la pancarte « gardez vos rosaires loin de nos ovaires » ! qui accuse ainsi la religion de faire partie de cette domination patriarcale.

          Je trouve pour ma part très jouissif cette invitation des sorcières dans la planète féministe ; elle leur rend justice, elle les réhabillite, elle leur redonne cette image positive qui n'aurait jamais dû quitter notre imaginaire.

          Alors avec elles, je conclus GARDEZ VOS ROSAIRES LOIN DE NOS OVAIRES !!!!!

 



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