LA PRESSE et LES FEMMES pendant la Commune & aujourd'hui - La Tribune Libre

LA PRESSE et LES FEMMES pendant la Commune & aujourd'hui                                    

La presse, ce formidable outil de connaissances, d'informations, de débats d'idées , a eu une place très importante au moment de la Commune. Pendant cette époque, de nombreux journaux se sont créés grâce à la liberté de la presse autorisée en septembre 1870. Et la présence des femmes dans cette révolution n'a pas laissé les journalistes indifférents. Mais les « communeuses » se sont aussi emparées de leur plume et ont utilisé les journaux pour s'exprimer.

          Un siècle et demie plus tard, où en est-on ?

          Pendant la Commune, deux journaux sont très populaires : le Journal Officiel et le Cri du Peuple. Mais dans le camp versaillais, le Figaro n'a pas été le moins virulent.

           L'article suivant fait état de l'ambiance à cette époque :

LES FEMMES PENDANT LA COMMUNE (1) By lucien Chapitre de Hommes et choses de la Commune de Maurice Dommanget (Éditions de la Coopérative des Amis de l’ »École Émancipée », sans date, vers 1937), d’un article publié dans L’École émancipée et L’Ouvrière, 26 mai 1923.

« Pendant la Commune, les femmes de la classe ouvrière et les quelques bourgeoises pénétrées d’idées féministes et socialistes furent, en général, admirables d’ardeur et de dévouement. C’est en parlant de la communarde que le correspondant du Times écrivait : « Si la nation française ne se composait que de femmes, quelle terrible nation ce serait ». Le 18 mars, ce furent des femmes qui décidèrent de la journée en se portant vers les soldats, en les poussant à lever la crosse en l’air et à fraterniser. Durant toute la Commune, elles se jetèrent en nombre impressionnant dans la fournaise. C’est bien pourquoi les calomnies, les mensonges, les libelles diffamateurs, les légendes absurdes ont été accumulés sur leur compte. Beaucoup plus que les communards, elles ont été salies, flétries, marquées au fer rouge et c’est le signe certain, éclatant, de leur participation active à la Révolution du 18 mars. On les traitait de femelles, de louves, de mégères, de soiffardes, de pillardes, de buveuses de sang. On les montrait se distinguant de bonne heure par leurs « mauvais instincts », leur « conduite immorale », leur « détestable réputation ». On racontait qu’elles avaient cherché à faire boire aux soldats une liqueur empoisonnée. On les coiffait de chignons incendiaires imbibées de matières fulminantes, chiffons qui auraient été imaginés par Édouard Vaillant et qui, jetés dans les caves, pouvaient déterminer un incendie à la moindre étincelle. On leur donnait d’ailleurs pour « mission spéciale l’incendie de Paris » à l’aide du pétrole promu au rang de « liquide diabolique des membres de la Commune ». Les plus en vue, les plus cultivées étaient traitées de « femelles littéraires », « institutrices déclassées », « laiderons furibondes ». Ces épithètes qui veulent être méchantes et qui ne sont que ridicules, je les relève dans un article ignoble de Francis Magnard du Figaro, article dans lequel Paule Minck est pourvue d’un « profil en lame de couteau » et accusée, avec ses compagnes, d’avoir « ôté au coeur des femmes la vieille foi et les vieilles vertus sans leur en donner des nouvelles ».

          Dans la presse rouge, les femmes jouèrent un rôle aussi. Les unes en qualité de correspondantes, comme la citoyenne Dauthier, signalaient les oublis, les abus et poussaient à la lutte la « vieille branche » de père Duchêne en un style direct, nettement faubourien. D’autres, qui avaient des lettres, mirent leur talent au service de la Commune. Telles furent la citoyenne Reidenhdreth, d’origine autrichienne, qui collabora au Populaire, et la citoyenne André Léo écrivit des articles dans plusieurs journaux surtout La Commune ou le Rappel et fut une rédactrice de la Sociale. Elle rédigea aussi avec Benoït Malon, une des proclamations trop peu nombreuses qui furent emportées en province par des ballons.

          Anna Jaclard écrivit dans La Sociale des articles remarqués. Elle luttait contre les tentatives de conciliation qui, comme on le sait, paralysèrent la Commune pendant plus d’un mois. Elle s’élevait courageusement contre le « romantisme » de Félix Pyat. Elle poussait à la résistance, aux représailles, à la chasse aux réfractaires. Elle rédigea aussi des appels passionnés aux diverses catégories sociales.

              Paule Mincke écrivit sous un pseudonyme à la Commune.

Nous allons faire une première pause musicale avec une chanson qui parle de RESPECT, chantée par Aretha Franklin.

          Des dessins de Raffet fils, des descriptions pittoresques de divers écrivains permettent de se représenter aisément les combattantes de la Commune. Les unes ont des cheveux dénoués et ébouriffés ; leur visage « sue le vice (sic) et la colère » au dire d’un conservateur et elles sont restées vêtues comme des travailleuses. Mais le combat ne leur a pas permis de veiller à leur toilette.

          A part certaines feuilles éphèmères, il semble qu'il n'y ait pas eu de grand journal féminin, probablement faute d'argent et de temps pour s'en procurer. Les gens qui avaient subventionné les journaux féminins avant le 18 mars étaient tout à fait hostiles à la Commune et à l'activité révolutionnaire des femmes.

          Le 12 avril, André Léo écrivit dans un article : «...Paris est loin d'avoir trop de combattants ; ….le concours des femmes devient nécessaire. A elles de donner le signal d'un de ces élans sublimes. … On les sait anxieuses,  enthousiastes, ardentes... à se donner toute entière (les femmes du peuple surtout) à la grande cause de Paris. Qu'elles entrent donc d'action dans la lutte autant qu'elles y sont de cœur. Louise Michel, Madame de Roquebrune, bien d'autres ont déjà donné l'exemple. » Elle indiqua divers moyens pour les femmes d'aider les combattants et elle demanda : « Que le général Cluseret ouvre immédiatement trois registres sous ces titres : Actions armées, postes de secours aux blessés, fourneaux ambulants. Les femmes s'inscriront en foule... »

          Il y eut de rares cas où la Commune organisa officiellement les femmes en combattantes. Parfois, le contraire se produisit et André Léo se plaignit dans un article de la façon dont les officiers et  chirurgiens des avant-postes renvoyaient parfois les ambulancières : 

« … il y a dans Paris un très grand nombre de républicains, très forts en logique, et que cet amour des femmes pour la République indigne et désole. Les faits de ce genre que l'histoire, à d'autres époques, enregistre comme héroïques, leur semblent admirables dans le passé mais tout à fait inconvenants et ridicules aujourd'hui. »

          André Léo se battit sur les barricades, tout comme Joséphine Dulambert, ancienne rédactrice du Moniteur des Citoyennes.

          Bien que la plupart des historiens et des journaux parus pendant la Commune reconnaissent l'activité des comités et des groupes de femmes dans la plupart des quartiers de Paris, surtout les quartiers ouvriers, il est rare que nous trouvions un témoignage des discussions et des activités entreprises. Les historiens favorables à la Commune eux-mêmes, tout en reconnaissant le rôle important de certaines femmes, ignorent l'essentiel des activités des groupes féminins. Ils ne traitent pas les questions proprement féminines et même en étudiant une femme quelconque, discutent ni de son développement politique ni de ses idées. Les journaux communards ont ces mêmes défauts, et tout en louant l'héroïsme des femmes, l'expliquent par les différences biologiques, etc. Un article sur les « Héroïnes de la Révolution » dans le Journal Officiel de la Commune représente de manière typique de telles tendances. Il attribue l'héroïsme du sexe faible à ce que les femmes sont :

          « ...d'un tempérament inflammable, faciles à égarer, écoutant la voix du cœur plutôt que celle de la raison, elles entraînent, fanatisent la foule et poussent à l'extrême les passions aveugles... » Extrait du Journal Officiel de la Commune du 10 avril 1871 !

          Ce texte de W.Schulkind qui a écrit « le rôle des femmes dans la Commune de 1871 » résume bien l'ambivalence de la presse vis à vis des femmes que ce soit comme rédactrices ou comme sujets de rédaction. Les femmes ont su se servir de la presse qui peut être un outil d'émancipation fort dans cette période en pleine ébullition mais vous avez vu aussi que la presse féminine n'a pu exister.

         


 De ces femmes dans la Commune, Lissagaray, journaliste, nous livre un portrait synthétique : après avoir rappelé le souvenir de juin 1848,  il décrit : « cette femme qui salue et accompagne, c'est la vaillante et vraie parisienne, […], celle qui tient le pavé maintenant, c'est la femme forte, dévouée, tragique, sachant mourir comme elle aime, de ce pur et généreux filon qui, depuis 89, court, vivace dans les profondeurs populaires. La compagne du travail veut aussi s'associer à la mort. Le 24 mars, aux bataillons bourgeois du 1er arrondissement, un fédéré dit ce mot qui fit tomber leurs armes : « Croyez-moi, vous ne pouvez tenir ; vos femmes sont en larmes et les nôtres ne pleurent pas. »

Souvent le communard loue aussi la prestance féminine : « il semble que la barricade du Château d'eau fascine : une jeune fille de 19 ans, Marie M. habillée en fusilier marin, rose et charmante, aux cheveux noirs bouclés, s'y bat tout un jour. Une balle au front tue son rêve » (Lissagaray). LA PRESSE ET LES FEMMES DE LA COMMUNE 

« Le Figaro » participe de la calomnie : « En voyant passer les convois de femmes insurgées, on se sent, malgré soi, pris d'une sorte de pitié. Qu'on se rassure en pensant que toutes les maisons de tolérance de la capitale ont été ouvertes par les gardes nationaux qui les protégeaient et que la plupart de ces dames étaient locataires de ces établissements. »

          Nous allons faire une pause musicale avec une chanson : « Les Pétroleuses »

          Les Pétroleuses ? Folles légendes, sinistres légendes répandues par la presse conservatrice pour justifier le massacre sauvage et la répression contre de nombreuses 

ouvrières. « Les incendies servirent de prétexte. Ils servirent surtout à inventer les pétroleuses, sortes de femmes qui, d'après l'imagination des réactionnaires, auraient consenti, moyennant salaire, à porter l'incendie dans Paris, la torche d'une main et le bidon de pétrole de l'autre. ».

          Et au XXI ème siècle, quels sont les rapports de la presse avec les femmes ?

          Si celles-ci ont réussi à se faire admettre dans ce monde très masculin, il faut bien dire que la situation n'est pas idéale au XXIème siècle.

          Déjà, en matière de journaux, on voit de tout : ces magazines  dit « féminins » qui abêtissent les femmes en les enfermant dans des stéréotypes de genre définitifs, des journaux qui les invisibilisent toujours autant, ceux qui font des progrès comme LIBERATION qui consacre régulièrement des articles sur les femmes et qui a une vraie démarche éditoriale avec une place beaucoup plus large qui leur est consacré, sur des sujets les plus divers, les journaux ringards comme le quotidien « le Courrier Picard » qui n'est pas gêné de rendre compte des violences faites aux femmes quasiment au quotidien et de citer une phrase sur les femmes à chaque numéro avec le sexisme le plus affirmé.

          On peut constater dans le nombre d'articles fait par des journalistes femmes un écart encore très important en leur défaveur, les sujets abordés sont exclusivement masculins sauf dans la presse dite « spécialisée », la une des journaux est illustré la plupart du temps par une ou des photos où les femmes sont minoritaires. On reste très souvent dans les registres qui leur sont attribuées à savoir victimes, égérie ou mère de famille.... 

          Pour ma part, je considère que l'apparition de l'écriture inclusive est une étape importante et même si elle fait une avancée très inégale selon le média (gauche ou droite, féministe ou pas, militante ou pas...) On l'entend aussi de plus en plus dans la presse orale. Cela me paraît essentielle pour que les femmes existent dans leur entièreté dans tous les médias car « Ce qui n'est pas nommé n'existe pas »        

                  Ceci dit, la presse reste donc la voix du patriarcat ; elle a du mal à faire une place équitable aux femmes aussi bien dans le nombre de journalistes femmes dans les rédactions, les sujets abordés et la manière de les traiter, que la composition des rédactions ou encore les relations femme/homme qui sont à l'image de celles qu'ont révélé les #me too ou « balance ton porc » dans les équipes.

            « STRATÉGIE », consacrée aux médias, confirme, à l'occasion du 8 mars à quel point la situation est grave. Elle affirme :

« Dans la presse, le sexisme offense les femmes partout » Elle publie les conclusions du dernier rapport de Reporters Sans Frontières : « ...partout dans le monde, le sexisme dans le journalisme est présent: sur internet, sur le terrain mais aussi au cœur des rédactions. »

          RSF a publié lundi 8 mars un rapport  illustrant l'ampleur du sexisme dans le journalisme, et ses conséquences multiples pour les journalistes femmes et la liberté de la presse. Cet état des lieux inquiétant, publié à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, s'appuie sur une enquête menée par RSF dans 112 pays. L'organisation a interrogé ses correspondants et des journalistes spécialisés dans les questions de genre, pour recenser les actes sexistes auxquels font face leurs consœurs, quelle que soit leur nature: discriminations, insultes, harcèlement sexuel, attouchements, agressions verbales et physiques à caractère sexuel, menaces de viol, voire viol. Et le constat est accablant: «être femme journaliste signifie souvent cumuler un double risque. Celui, en plus des dangers inhérents à la profession, d'être exposée à des violences sexistes ou sexuelles», résume RSF.

Des violences qui s'exercent un peu partout, à commencer par internet et les réseaux sociaux, qui sont cités par 73% des répondants. On ne compte plus les cas de journalistes femmes victimes de cyberharcèlement, comme l'éditorialiste et enquêtrice indienne Rana Ayyub, quotidiennement menacée de viol et de mort... Mais aussi sur le terrain (36%), comme au Brésil où des reporters ont lancé une campagne contre les supporters de foot qui cherchent à les embrasser sans leur consentement. Et même sur le lieu de travail (58%), RSF rappelant les multiples révélations qui ont secoué les rédactions dans plusieurs pays depuis l'éclosion du mouvement #MeToo. »

          Un siècle et demie ? Vraiment ?

          Espérons que la vague « ME TOO » soit un accélérateur d'intégration des femmes en déliant la parole, en permettant la prise de conscience pour que la presse puisse devenir le miroir d'une société qui veut fêter aujourd'hui la Commune. Celle-ci nous a transmis des valeurs que nous reconnaissons comme fondamentales. Elles sont appliquables intégralement dans le monde de la presse : égalité salariale, égalité femme/homme....


 















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