LES PAYSANNES DU XXIème SIECLE - La Tribune Libre

 LES PAYSANNES DU XXIème SIECLE              


          Ma famille est issue en partie du monde agricole dans le Brionnais. Les images qui me reviennent en mémoire sont celles de femmes dures à la tâche qui travaillent  de grand matin jusque tard le soir, sept jours sur sept. Celles qui mélangent sans y penser travail à la ferme et femme au foyer. A l'époque, dans les années soixante, les familles étaient nombreuses et le mot "vacances " ne faisait pas partie du vocabulaire. Les enfants d'ailleurs travaillaient tout autant. C'était normal. C'était comme ça. Les seuls jours de la semaine où elles quittaient la ferme était pour faire le marché et aller à l'église.
            Ce que j'ai appris plus tard, c'est que ces femmes travaillaient "au noir" tout à fait légalement. Elles étaient les "femmes de", complètement dépendantes de leur mari pour TOUT : les revenus, la sécu, le logement, la nourriture...TOUT et c'était considéré comme normal, même pour les femmes. La forte emprise de la religion, de la société patriarcale était un carcan qui ne tolérait pas la remise en cause et gérait tout ça " en bon père de famille "....Dans les villages, tout se savait et gare à celles et ceux qui n'étaient pas dans les clous.... Les filles mères étaient mariées illico au père de l'enfant, les femmes qualifiées de  « sorcières » étaient rejetées du village même si elles faisaient "passer" les enfants, et soignaient les maux des femmes.... Les femmes ainsi conditionnées ont largement soutenu ce modèle avec tous ces aléas : grossesses non  désirées, violences conjugales, cohabitation avec les parents du mari sous le même toit, tâches très genrées, pas de voix au chapitre... Car le fils aîné reprenait la ferme... et ses parents avec. A la belle-fille de supporter....



            En 2022, beaucoup de choses ont changé mais les femmes agricultrices n'ont toujours pas complètement les mêmes droits que les femmes salariées lambda. Le poids de la Tradition reste fort et les mythes de la Terre et du Travail qui permet de gagner son pain, sont masculins. La terre nourricière nourrit son homme, pas sa femme....D'après la FNSEA, principal syndicat agricole, Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles, avec vision libérale de l'agriculture, en 2017, on comptait encore entre 2000 5000 agricultrices "sans statut" c'est-à-dire même pas "conjoint collaborateur". Donc toujours travailleuses au noir ! Ce dispositif, avec un nom masculin alors qu'il concerne pour 90 % des femmes, permet de moins cotiser.  Car l'esprit solidaire de la Sécurité Sociale en 1945 de Ambroise Croizat a complètement révulsé les paysans, formatés à ce fameux mythe de la terre et du travail qui veut qu'on sacrifie tout pour elle et être propriétaire de la terre une ambition qui pousse à l'individualisme forcené. Le paysan exploitant est de droite, quitte à en crever...et c'est sa femme qui paie le plus cher !!! Petite avancée, ce statut est désormais limité à 5 ans depuis le 1er janvier 2022. Mais il existe toujours au XXIème siècle.

            En 2022, il y a encore des agriculteurs qui ne trouvent pas utile de payer des cotisations pour la sécu ou la retraite de leur femme. Ce ne sont que des femmes ! Leur travail à la ferme a moins de valeur ! Le privé et le professionnel sont si intimement liés qu'ils servent de prétexte pour ce statut quo. Exemple : jusqu'en 2019, le congé maternité minimum obligatoire était de deux semaines contre huit pour les salariées. Maintenant, il y a alignement des régimes et les femmes ont aussi une allocation pour se faire remplacer sur la ferme. Mais selon la Mutualité Sociale Agricole, sécurité sociale des agriculteurs qui ont refusé la sécurité sociale générale en 1945, celle de Ambroise Croizat donc, 59 % des chefs d'exploitations agricoles et collaboratrices ayant accouché en 2020 en ont fait la demande.


            Mais ce monde agricole change au féminin parce que le modèle évolue très vite : il y a de moins en moins de paysans ; il faut beaucoup d'hectares dans une exploitation pour pouvoir avoir un revenu décent et encore....  En 2020, les exploitations agricoles en France étaient quatre fois moins nombreuses et quatre fois plus grandes qu’en 1970, Ces parcelles, à la taille et aux prix croissants, sont de plus en plus souvent vendues à quelques géants des industries agroalimentaire et cosmétiquee. Si l’industrialisation de l’agriculture française n’a pas attendu l’accaparement des terres par des multinationales pour se développer (la part d’agriculteur·ices en France a été divisée par plus de 4 entre 1982 et 2019), ces deux phénomènes se renforcent et s’accélèrent d’une manière inédite depuis une dizaine d’années.

          Dans  beaucoup de cas, la mécanisation des travaux, l'évolution de la productivité tournée vers la spécialisation des cultures fait que la femme doit travailler à l'extérieur de l'exploitation" - tout un symbole ! - et son salaire est bienvenu...Du coup, le milieu fermé est obligé de s'ouvrir et cette nouvelle génération de femmes n'accepte plus cette vie d'un autre temps.. Et puis il y a les NIMA, NON ISSUES DU MILIEU AGRICOLE qui viennent d'autres horizons avec d'autres cultures, aussi bien professionnelles, sociales que des projets dans lesquels elles mettent du sens. Elles sont très loin de cette agriculture industrielle et regardent ce qu'elles mettent dans leur assiette et celle des autres. Et les valeurs d'égalité femmes/hommes de plus en plus. Maintenant, les GAEC « Groupement agricole d'exploitation en commun » sont possibles dans un couple, conférant l'égalité à chacunE.

          Avant de poursuivre, nous allons faire une pause dans le monde complètement différent de SAMUELE, artiste québécoise que j'ai déjà eu l'occasion de vous faire écouter. : Samuele - LA SORTIE

          Et les violences ? Elles sont implicites quand la femme n'a pas de revenu propre, qu'elle est complètement dépendante de son mari et qu'elle a un statut qui ne confère pas l'égalité ! Elles s'ajoutent à ce tableau car  la femme reste inférieure à l'homme dans ce monde brutal, qui  vit constamment avec les aléas du temps, des parasites...et l'insécurité qui va avec.... et des préjugés tenaces. Je pense que ce monde rural est, à cet égard, plus caricatural que le monde ouvrier par exemple car davantage fermé sur des valeurs considérées comme intangibles, éternelles, immuables, sanctuarisées par la religion :  la référence agricole de nombreux messages religieux : Jésus est un Bon Pasteur qui conduit ses brebis, le partage du pain,etc .....pour les chrétiens et les chrétiennes.
            A ce propos, j'ai vu un film remarquable LA TERRE DES HOMMES de 2021 avec une actrice tout aussi remarquable : Diane ROUXEL..Je vous lis le synopsys : « Constance est fille d'agriculteur. Avec son fiancé Bruno, elle veut reprendre l'exploitation de son père et la sauver de la faillite. Pour cela, il faut s'agrandir, investir et s'imposer face aux grands exploitants qui se partagent la terre et le pouvoir. Constance obtient le soutien de l'un d'eux. Influent et charismatique, il tient leur avenir entre ses mains. Mais quand il impose son désir au milieu des négociations, Constance doit faire face à cette nouvelle violence. »  C'est elle qui fait les démarches et se bat comme une lionne. C'est pratiquement la seule femme que nous voyons pendant le film. Elle doit se battre deux fois plus parce que femme et non légitime à vouloir être cheffe d'exploitation. Le film a été tourné dans le Brionnais, région qui incarne parfaitement ce milieu patriarcal. Il y a d'ailleurs de magnifiques églises romanes, symbole de la puissance de la religion dans ce petit coin de Saône et Loire.
            Outre le sujet du viol, la notion du consentement, de l'emprise, tres bien traités à mon avis, Constance nous fait plonger dans un milieu qui tire sa légitimité de la Tradition. Et on voit bien dans certaines scènes, à quel point, celle-ci reste forte en 2020. Je pense au mariage de Constance et Bruno :  il ne manquait que la jarretière, coutume que j'ai vu dans les années 70 ; la mariée monte sur la table du banquet et à sa cheville, il y a un rubans garni de fleurs. Le public doit glisser des billets dans le ruban que la jeune femme fait monter le long de sa jambe en relevant la robe, attirant de plus en plus de billets jusqu'à....Alors, on va dire que les choses changent petit à petit....

          Le metteur en scène,  Naël Marendin.., explique dans un interview donné à Marianne le le 24 août 2021, avoir enquêté de longs mois dans le milieu des éleveurs en Bourgogne. « Pour beaucoup d’entre eux explique-t-il, la situation est de plus en plus dure. Les fermes familiales ne sont plus rentables, surtout depuis la baisse des subventions européennes. » Il reprend : « Pendant l’année que j’ai passée à filmer, six éleveurs de la région se sont donné la mort à cause du surendettement. Face à eux se sont constitués de grands domaines modernes qui ne cessent de s’agrandir en rachetant les petites exploitations qui font faillite autour d’eux. » Ça pour situer le décor je suppose et non comme une justification que je trouverai extrêmement malsaine. Il reprend : « Constance ne se heurte pas uniquement à la violence d’un homme, mais à un système où la domination masculine est la prolongation de la domination économique et socialeSi elle parle, elle ne sera pas entendue et prend le risque de perdre sa ferme. Et le milieu se retourne contre elle quand elle porte plainte.... Mais la politique agricole offre un microcosme à l’image de la société et le marché aux bestiaux devient un lieu métaphorique de ces questions-là. » Il évoque une scène où des éleveurs ont coincé Constance dans une stabulation vide du marché aux bestiaux et la traite comme une vache qu'on évalue avant la vente !!!!! Face à cette société qui ne la protège pas (et là, la police et le système judiciaire en prennent pour leur grade), elle utilisera les mêmes moyens que ces agresseurs pour se venger !!!!! A voir absolument.

          En résumé, La domination masculine n’est pas spécifique à l’élevage en Bourgogne, loin de là, l’actualité est là pour nous le rappeler. rappelle le metteur en scène. Mais je trouve essentiel de regarder les conditions de vie des femmes dans tous les milieux, horizons, comment ça se passe pour dénoncer encore et toujours.

         Féministe tant qu'il le faudra.


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