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Angélique-Marguerite Le Boursier du Coudray – Une grande sage-femme française du 18ème siècle, la première à enseigner en public l'« art des accouchements » est peut-être née à Clermont-Ferrand en 1712 et morte à Bordeaux vers 1790.
Elle révolutionne les pratiques de l'accouchement sur tout le territoire français en fabriquant le premier mannequin obstétrique pédagogique représentant une femme en train d'accoucher, une innovation qui permet un important recul de la mortalité infantile à l’époque. Environ 250 pour 1 000 naissances sans compter les enfants mort-nés tout aussi nombreux ! et celle des femmes, 12 femmes pour 1 000.
Pendant 25 ans, brevetée par le Roi Louis 15 en 1759, Angélique du Coudray sillonne la France pour former les matrones dans les campagnes à travers tout le royaume.
Si ces chiffres sont catastrophiques, c’est notamment par manque d’éducation et de formation dans les campagnes, où ce travail est assuré par des femmes sans aucune instruction, les « matrones », qui le tiennent d’autres matrones.
C’est
dans ce contexte qu’Angélique Marguerite Le Bourcier du Coudray naît à
Clermont-Ferrand, vraisemblablement en 1712 au sein d’une famille d’éminents
médecins.
Si la vie privée de Madame du Coudray est marquée par de nombreuses zones d’ombre, sa vie publique, est beaucoup mieux connue.
En 1737 elle se rend à Paris où elle fait son apprentissage pendant trois années auprès d’une sage-femme parisienne, Anne Barsin et devient en février 1740 l’une des rares « sages-femmes jurées » diplôme qu’elle paye 180£.
Au sortir de sa formation, elle travaille durant une quinzaine d'année à Paris où elle acquiert rapidement une réputation de sage-femme compétente et réussit à se faire une clientèle fortunée” avant d'être contactée par M. Thiers, un seigneur auvergnat, lequel la sollicite afin de revenir au pays pour y accoucher de pauvres femmes "qui ont tant besoin de secours" et pour y former des élèves.
Elle retourne en Auvergne en 1754 et sur place, loin de sa clientèle aisée, la sage-femme va se découvrir une véritable vocation pédagogique quand elle réalise l’étendue de la méconnaissance de l’art de l’accouchement et l’ignorance souvent fatale des matrones.
Elle décide de changer les choses et commence à donner des cours gratuitement aux femmes pratiquant les accouchements. Mais comment apprendre à ces matrones "incultes et superstitieuses" à reconnaître l'accouchement qui va poser problème et qui peut entrainer la mort de l'enfant ou de la mère?
Elle est intimement convaincue qu’en leur donnant des connaissances techniques solides, la mortalité liée à l’accouchement peut être fortement réduite.
Mais ses premiers essais sont des échecs car elle tente de les former en utilisant le discours scolaire et scientifiques qu'elle a elle-même reçu. Face à des femmes souvent illettrées, elle se rend compte que sa formation doit s’appuyer sur du concret.
Elle dit : les matrones ont l'esprit accoutumé à tout saisir par les sens, plus que par le discours. "C'est à leur yeux, et à leur mains, qu'il faut parler, en y ajoutant de la patience et de la douceur".
Elle change alors sa manière d'aborder l'enseignement, décide de joindre la pratique à la théorie et fonde une nouvelle pédagogie de l'accouchement en commençant à instruire les accoucheuses à l'aide de "machines", qu'elle met elle-même au point accompagnées d'une méthode de formation qu'elle va progressivement perfectionner.
Pour dispenser ses connaissances, la sage-femme va aussi rapidement entreprendre d’écrire un ouvrage, L’Abrégé de l’art de l’accouchement, publié en 1759, qu'elle alimente de nombreuses planches dessinées en couleur qui montrent les différentes positions pouvant se présenter lors de l’accouchement. Il se présente sous forme de questions-réponses que les élèves doivent apprendre par cœur
Plus
encore que son ouvrage, c’est la “Machine de Mme Coudray” inspirée de machines
déjà existantes à Paris depuis les années 1730, qui va lui valoir une grande
reconnaissance. En fait de machine, il s’agit plutôt d’un mannequin obstétrique
de démonstration et de taille réelle en tissu, bâti autour d’un vrai bassin
osseux de femme, il montre, pour mieux les expliquer et les reproduire, les
différentes phases de l’accouchement, les diverses positions du bébé et les
manœuvres nécessaires en cas de difficultés ; même les jumeaux ne sont pas
oubliés. Quant à l’appareil génital de la femme, représenté hors grossesse, il
s’avère d’une remarquable fidélité anatomique avec ses vingt et une petites
étiquettes cousues permettant aux élèves d’identifier chaque élément.
notamment l’utérus, les ovaires, les trompes de Fallope et de les situer par rapport à l’intestin et la vessie. En tenant la pièce comme une marionnette les élèves invitées à s’entraîner avec ce mannequin au cours d’une formation de deux mois pouvaient pratiquer le toucher du col utérin.
Angélique du Coudray est à ce titre mondialement considérée comme la pionnière des techniques de simulation médicale. Elle décrit sa « machine » ainsi :
«elle représentait le bassin d'une femme, la
matrice, son orifice, ses ligaments, le conduit appelé vagin, la vessie, et
l'intestin rectum. J'y joignis un modèle d'enfant de grandeur naturelle, dont
je rendis les jointures assez flexibles pour pouvoir les mettre dans des
positions différentes[,] un arrière-faix, avec les membranes, et la
démonstration des eaux qu'elles renferment, le cordon ombilical, composé de ses
deux artères, et de la veine, laissant une moitié flétrie, et l'autre gonflée,
pour imiter en quelque sorte le cordon d'un enfant mort, et celui d'un enfant
vivant, auquel on sent les battements des vaisseaux qui le composent. J'ajoutai
le modèle de la tête d'un enfant séparée du tronc, dont les os du crâne
passaient les uns sur les autres. »!
Sa «
machine», séduit tout le monde et est approuvée en 1758 par l’Académie de
chirurgie. L'intendant d'Auvergne décide que les principales villes de sa
province doivent disposer d'un mannequin.
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La « machine » de Mme du Coudray |
Le Musée Flaubert de Rouen, la dépeint ainsi :
« Sûre d’elle, fière de sa notoriété, cette célibataire endurcie l’est sans aucun doute ! La fréquentation de tout ce qui compte dans la province, ses relations, ses relations avec le monde politique à Paris, les éloges qu’on lui décerne partout où elle passe, la persuaderaient aisément de son importance si besoin était. Elle pousse en effet tellement loin la vanité et l’ambition que souvent elle incommode… Mais son efficacité plaît».
Elle bénéficie en effet de soutiens importants. Parmi les hommes d’influence qui lui assurent sa carrière, on peut relever entre autres les noms du contrôleur général Bertin, du banquier Necker, ou encore du chirurgien Jean Baseilhac. La Fayette, qui aurait été sauvé à sa naissance grâce à son intervention, ferait également partie de ses appuis.
En 1763, dans une lettre adressée à l’intendant de Bordeaux, Turgot, futur contrôleur des finances de Louis XV et alors intendant du Limousin, écrit ainsi : “Je crois son travail extrêmement utile et sa manière d'enseigner la seule qui soit à la portée des femmes de la campagne. Vous trouverez peut-être sa personne assez ridicule par la haute estime qu'elle a d'elle-même, mais cela vous paraîtra comme à moi fort indifférent. L'essentiel est qu'elle donne des leçons utiles et je crois que les siennes le sont beaucoup. Son séjour dans la province est un peu cher car je lui donne 300 livres d'appointements par mois. [...] Ajoutez à cela l'achat de quelques-unes de ses machines afin de pouvoir établir des cours perpétuels dont je chargerais quelques chirurgiens, je compte que tout cela coûtera à la province environ 8 000 livres, mais je les crois bien employés”.
Elle sait que pour que son action soit efficace, il lui faut l'appui de l'administration. Dans les années 1760, la sauvegarde des populations et le taux de natalité est un sujet pris très au sérieux par les autorités. L'intendant accepte qu'elle donne des cours dans l'ensemble de la province. En octobre 1759, elle se voit attribuer un brevet royal, ce dernier l'autorise et l'aide d’une pension de 8000 livres à enseigner sur l'ensemble du royaume français.
SAGES-FEMMES, un film de Léa Fehner, Bande-annonce
Commence alors pour la sage-femme une nouvelle vie d’enseignante. Le mannequin conçu par ses soins va devenir le support de sa pratique pédagogique. À près de 50 ans, elle commence une longue tournée nationale qui durera 25 ans jusqu’en 1783. Elle va de ville en ville et s’arrête à chaque fois pendant deux mois, pour donner des cours. On estime qu’elle a pu former à l’art de l’accouchement, dans une cinquantaine de villes, plus de 5 000 élèves et peut-être 500 professeurs démonstrateurs qui ont perpétué son enseignement.
Ces voyages incessants finissent par la fatiguer. À partir de 1775, elle est affaiblie par des attaques de goutte et handicapée par une tendance à l’embonpoint. Elle délègue peu à peu sa mission à sa nièce, Marguerite Coutanceau et son mari chirurgien, qui l’accompagnent dans ses voyages depuis 1768. Ils se substituent progressivement à Madame du Coudray et assume peu à peu les démonstrations publiques.
Pédagogue
mais pas naïve, la sage-femme est aussi une femme d’affaires qui n’oublie pas,
dans son dévouement à l’intérêt général, son intérêt personnel et sait tirer
profit de tout ; qu’il s’agisse de ses déplacements et logements, de la
vente de ses manuels et machines, tout cela aux frais des provinces qu’elle
visite. Elle voyage entourée d'une véritable cour, financée par l'État, se
heurtant à ses consœurs superstitieuses et aux médecins jaloux de sa royale
protection.
Un
exemplaire étalon de son mannequin doit être conservé à la « mairie » de chaque
localité visitée à l’intention de l’un de ses disciples chirurgiens car les
modèles de démonstration s’usent et doivent, aux frais de la cité, être réparés
ou reconstruits à l’identique.
L'enseignante obtient, en plus, que ses cours débouchent sur la délivrance d’un certificat, ouvrant la voie à la professionnalisation du métier de sage-femme
Nathalie
Sage-Pranchère écrit :
Prise entre des élites qui admettent la nécessité de former des sages-femmes et un évident mépris de classe, Angélique du Coudray est tout à fait consciente de sa valeur : “Elle part du principe qu'elle doit être traitée à la hauteur de ses qualités : elle exige d'être correctement logée, nourrie, blanchie et éclairée. Elle exige qu'on lui achète un certain nombre d'exemplaires de ses ouvrages avant le début des cours pour imposer qu'ils soient distribués aux élèves et […] elle demande qu'un mannequin de son invention soit acheté pour qu'elle n'ait pas, finalement, à fonctionner uniquement avec son propre matériel de démonstration. C'est quelqu'un qui mène très bien sa barque et cela contrarie parfois certaines intendances qui essaient de réfléchir à la manière de pouvoir prolonger le bénéfice des cours d'Angélique du Coudray sans lui faire appel”.
Voilà ce
qu’on peut lire sur son passage à Nantes,
Mme Du
Coudray est passée en avril 1776. Elle a permis au maître chirurgien Godebert
de s'instruire lors d'un stage de 15 jours à la manipulation d'un « phantôme »
avec certains autres confrères chirurgiens. Néanmoins Sieur Etienvrin n'a lui
pas jugé nécessaire d'assister à cette formation.
Les officiers municipaux s'étaient montrés tellement ravis du passage de Mme Du Coudray qu'ils lui ont acheté deux phantômes pour la somme de 300 livres : le premier pour les futurs cours d'accouchements, le deuxième pour servir de matrice afin de refaire des pièces qui s'useraient lors des manipulations de cours. Enfin ils accordèrent une prime de 3 à 400 livres à Mme Du Coudray.
Ainsi le passage de Mme Du Coudray à Nantes a permis de créer un cours d'accouchement dirigé par Godebert avec l'aide du phantôme de Marguerite-Angélique. Dès 1781, Godebert dresse un tableau encourageant des résultats obtenus par les femmes ayant suivi sa formation...
Elle
continue inlassablement à dispenser ses cours jusqu'en 1783, date à laquelle,
âgée de 74 ans, elle s’installe chez sa nièce et principale disciple,
Marguerite Coutanceau.
La
Révolution française, quelques années plus tard, fait un temps craindre que
l’instruction des sages-femmes ne soit remise en question : si Angélique du
Coudray perd la pension royale que lui avait octroyée Louis XV, une enquête
lancée dans les provinces lui reste largement favorable.
Sa nièce prend la direction de la première maternité de Bordeaux et présente, devant l’Assemblée nationale, un mémoire qui rappelle l’importance de l'enseignement dispensé aux matrones. Les deux femmes obtiendront un certificat de civisme, qui les met à l’abri de la Terreur.
Elle meurt peut-être en avril 1794, à l’âge de 82 ans. Véritable pionnière, ses formations ont permis un accroissement net de l’espérance de vie des nouveaux-nés. Elle a laissé derrière elle d’innombrables sages-femmes, auxquelles elle a donné, plus encore que son enseignement, les outils de leur émancipation.
Conclusion
Au XVIIIe
siècle, le métier de sage-femme est l’une des très rares vocations
majoritairement exercée par des femmes.
Angélique du Coudray, est véritablement la première figure de sage-femme enseignante à l'aura véritablement national dans la France du 18ème siècle. Des sages-femmes qui ont enseigné, à peu d'élèves ou un peu plus, on en a eu avant. On a eu Louise Bourgeois, qui était sage-femme de la reine au 17ème. Marguerite Delamarche à la fin du 17ème siècle qui est à l'Office des accouchés de l'Hôtel-Dieu.
Pendant les 25 années de son voyage, cette femme au caractère bien trempé n'a eu de cesse d'améliorer sa méthode en ajoutant des planches illustrées à son manuel et en améliorant son mannequin par de nouveaux détails toujours plus réalistes.
Dans un
royaume rural, dépeuplé à répétition par les guerres et les épidémies, le cran
d’Angélique du Coudray, réussit à bousculer les blocages de son temps au
service d’un indispensable et sensible recul de la mortalité infantile.
Sa
détermination et son sens de la pédagogie ont aussi, et paradoxalement,
contribué à officialiser la médicalisation de l’accouchement, donc la primauté
des chirurgiens qui s’étaient tant opposés à elle.
Si technicienne elle fut avant tout, elle ne négligea jamais l’aspect psychologique de l’événement.
« En attendant le moment de délivrer la femme, on doit la consoler le plus affectueusement possible, son état douloureux y engage ; mais il faut le faire avec un air de gaité qui ne lui inspire aucune crainte de danger. Il faut éviter tous les chuchotements à l’oreille qui ne pourraient que l’inquiéter et lui faire craindre des suites fâcheuses. […] Si elle recourt à des reliques, il faut lui représenter qu’elles seront tout aussi efficaces sur le lit voisin que si on les posait sur elle-même, ce qui pourrait la gêner… » ——
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