La Tribune Libre : Consentement… ou pas (2ème partie)

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Affiche du Collectif Féministe Contre le Viol. Elle concerne le podcast sur le travail d'écoute qu'il réalise

La notion de consentement.... Délicate question, particulièrement quand il s'agit de violences sexistes et sexuelles. Cette notion est de nouveau abordée depuis l'affaire des viols de Mazan, procès historique qui a jugé fin 2024, 51 personnes accusées de viols sur la personne de Gisèle Pélicot ; Elle était l'épouse sédatée d'un homme lui-même violeur qui l'a livrée à ces inconnus pendant une dizaine d'années. La plupart des hommes jugés considéraient que l'accord du mari valait accord de la femme, même muette, même transformée en pantin pour « se vider les couilles » !!!!!

          Que dit la loi ? Selon l'article 222-22 du Code Pénal, « constitue une agression sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. » Selon l'article 222-23 du code Pénal, « toute pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »

          Il est manifeste que la loi ne répond pas à la réalité qui constate que moins de 1 % des 60 898 plaintes déposées en 2023 aboutissent à une condamnation de l'agresseur.  De plus, nous savons par le biais de l'arrêt Dubas de 1857, que une personne endormie n'est pas en état de donner son consentement et qu'il s'agit d'un viol par surprise. Donc tout est donc clair sur le plan législatif dans ce procès. Et pourtant, l'incapacité de la justice de prendre la mesure de la gravité de cette notion de viol nécessite une réflexion approfondie. Il se dit que la notion de consentement serait insuffisamment considérée dans le processus judiciaire.

          Pour tenter d'y voir plus clair, je vous ai fait part, dans ma tribune précédente des analyses différentes de deux associations féministes, NOUS TOUTES et OSEZ LE FEMINISME qui ont des positions opposées.

          Maintenant, je vous donne l'avis circonstancié de Isabelle THIEULLEUX, avocate. Elle anime aussi un blog dans le club de Médiapart.  Elle est impliquée dans la lutte contre les violences et a une toute autre approche de ce qu'est le viol et la place du consentement dans ce cas de figure.

    Et enfin, j'ai consulté et actualisé l'article de Marie Pierre B0URGEOIS qui nous fait part de la démarche des député.es sur le s

 Qu'est-ce que nous dit Isabelle THIEULLEUX ?

    « Depuis quelques mois, un débat public émerge concernant la nécessité de modifier la définition pénale du viol (et autres agressions sexuelles) pour y inclure la notion de « consentement » ou « accord volontaire » ou encore « volonté libre » de la victime) au prétexte que cette rédaction faciliterait la répression de ces violences, et fixerait une ligne de démarcation entre ce qui relèverait du crime d'une part et de la sexualité de l'autre.

    Cette proposition est avancée à grand renforts d'arguments juridiques (la loi actuelle poserait une présomption de consentement, la  notion de contrainte ne permettrait pas de prendre en compte les « circonstances environnantes » c'est-à-dire l'effet de sidération de la victime, l'abus de vulnérabilité, etc.

    Séduisante à première vue, elle emporte aisément l'adhésion de celles et ceux qui mobilisent «le bon sens ». Après tout, l'idée que le viol est une relation sexuelle non consentie est communément partagée par une majorité de personnes.

    Mais comme souvent en matière de lutte contre les violences masculines, c'est une fausse bonne idée.

    Grâce au mouvement féministe des années 1970 et à la connaissance acquise de cette criminalité par les associations qui oeuvrent depuis 40 ans à l'aide et l'écoute des victimes, nous savons ce qu'est le viol, comment il est commis, par qui, sur qui, grâce à quoi, pourquoi.

            Nous savons que le viol est un acte de prise de pouvoir, de domination et de destruction de l'autre. Le processus de haine est le moteur du passage à l'acte. Et dans un système patriarcal, il s'exerce très majoritairement par des hommes sur les femmes et les enfants. Précisément pour maintenir ce système.

    Il est un acte de torture. Par les conséquences traumatiques qu'il engendre et le silence dans lequel il emprisonne ses victimes.

    Il est l'une des plus graves violations des droits fondamentaux : le droit à l'intégrité physique. Et une violation du droit à la dignité.

    Nous savons qu'il n'a rien à voir avec la sexualité. Il n'est ni une sexualité pulsionnelle, ni une sexualité déviante. Encore moins le résultat d'un quiproquo ou un malentendu.

    L'écoute des victimes est la source primaire et principale qui nous permet de saisir au plus juste la criminalité sexuelle, ses modes opératoires, sa signification. Depuis 40 ans, elle a permis l'émergence d'un schéma unique de fonctionnement des criminels, quel que soit le contexte, modélisé sous le vocable « stratégie de l'agresseur ».

    Ce schéma identifie les différentes étapes créées par les agresseurs sexuels : la mise en confiance, l'isolement,la mise sous terreur, l'inversion de la culpabilité, l'imposition du silence.

C'est le squelette des crimes sexuels.

    Pour parvenir à ses fins, à savoir l'acte de pénétration ou le contact physique sexuel, l'agresseur doit effectuer un certain nombre d'actes, de paroles, de comportements qui lui permettront : d'avoir accès à sa proie en dehors du regard d'autrui, de la priver de soutien ou de secours, d'endormir sa méfiance, de l'empêcher de réagir en la privant de ses systèmes d'alerte ou en la terrorisant, de l'empêcher de comprendre le viol comme une violence, en le faisant passer pour un acte sexuel, de la culpabiliser  voire de la faire participer à sa propre agression et enfin de lui ordonner le silence en l'humiliant et la menaçant.

    Point question d'accord volontaire, de volonté libre de la victime et encore moins de consentement là-dedans. Les crimes sexuels sont le résultat d'un processus de l'agresseur, de choix de la proie, de création de circontances favorables à une attaque, d'attente, de manipulation, de destruction des résistances.

    Ce squelette, maîtrisé par les militantes féministes intervenant auprès des victimes de violences sexuelles, est parfaitement inconnu du grand public. Et très peu connu de l'ensemble des professionnel·les qui auront à faire à ce type de violences, y compris les acteurs et actrices judiciaires.

    Pourtant, tout ce mode opératoire rentre dans le cadre légal des notions de contrainte et surprise, éléments constitutifs centraux de la définition du viol dans le code pénal, qu'il est nécessaire d'établir afin de poursuivre l'agresseur et le condamner.

    Interprétées comme elle se doit, les notions de contrainte et de surprise couvrent ainsi l'ensemble des situations de viols et agressions sexuelles.


Les RITA MITSOUKO : « dis-moi oui ! » 

Publié dans BFMTV le 26 mars, l'article de Marie Pierre BOURGEOIS nous livre le cheminement des parlementaires suite au rapport GUERIN-RIOTTON  qui a abouti à une proposition de loi adoptée en première lecture par l'Assemblée Nationale le 1er avril.. L'objectif est de complèter la définition du viol telle que je vous l'ai présentée au début de la tribune. En janvier dernier, la députée Renaissance Véronique Riotton et sa collègue écologiste Marie-Charlotte Garin qui ont rendu ce rapport ont estimé nécessaire de maintenir les quatre critères déjà existants dans la définition pénale du viol mais souhaitent donc en introduire un nouveau, celui de non-consentement.

          La proposition de loi veut préciser cette notion de non-consentement de la victime afin de caractériser le viol et les autres agressions sexuelles. Le site Vie.Publique donne les informations suivantes : L'article 222-22 alinéa 1 du code pénal propose la formulation suivante : « constitue une agression sexuelle tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur.... » Le texte précise la notion de consentement et la manière de l'apprécier. Le consentement devra être « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable, sans pouvoir « être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime (par exemple victimes endormies, soumises chimiquement ou inconsciente). Cette référence aux circonstances environnantes, qui figurent dans la convention d'Istanbul, permettra de s'interroger davantage qu'aujourd'hui sur le comportement de l'auteur dans le cadre de l'enquête judiciaire (notamment dans les situations de vulnérabilité) et d'éviter que l'investigation ne soit centrée uniquement sur la victime.

          Surtout, il n'y aura pas de consentement si l'acte sexuel « est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelque soit leur nature. » Cet ajout suggéré par le conseil d'Etat vise à souligner leur variété (état de sidération ou emprise...) et devrait entraîner une répression accrue. Enfin, la définition du viol ajoute les actes bucco-anaux.

          Les député.es ont demandé au gouvernement la remise de deux rapports évaluant les effets de la loi, notamment sur le pourcentage des plaintes déposées par rapport au total des agressions sexuelles et sur le traitement judiciaire des violences sexuelles.

          Maintenant, le texte est en cours d'examen par le Sénat.

          Les arguments pour cette redéfinition de la loi sont les suivants :

          « Si le critère d'absence de consentement est bien présent dans les enquêtes pour viol, notamment lors des interrogatoires, cette notion n'est pas édictée en tant que tel parmi les critères caractérisant ce crime (..)

         En France, "la définition juridique des infractions sexuelles n'est pas fondée de manière explicite sur le consentement libre et non équivoque de la victime", regrettait en 2019 le groupe d'expert du Conseil de l'Europe sur l'action contre la violence à l'égard des femmes (Grevo).

Pourquoi l'absence de cette notion est préjudiciable pour certaines victimes?

         Ce phénomène aboutit, d'après certains juristes, à ce que de nombreuses plaintes soient classées sans suite, faute d'infractions suffisamment caractérisées. L'interprétation des éléments matériels qui définissent le viol en l'état actuel du droit - la violence, la contrainte, la menace et la surprise donc -, ne permettrait pas de couvrir un large spectre de cas caractérisés par un état de sidération de la victime, une situation d’emprise ou encore d’abus de vulnérabilité.

            Selon une enquête de victimation menée par l'Insee et relayée par nos confrères du Monde, seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol ont donné lieu à une condamnation en 2023. Ce chiffre est très faible alors que 60.898 plaintes ont été déposées pour des violences sexuelles la même année suivant un rapport de l'Intérieur.

Selon une enquête de l'institut national de la santé et de la recherche médicale, près de 30% des femmes de 18 à 69 ans déclarent en France avoir subi une tentative ou un acte sexuel forcé.

 Que changerait concrètement la loi ?

            Concrètement, introduire le non-consentement dans la loi inverserait le déroulement des enquêtes de police. "En droit français, les auteurs bénéficient d’une présomption de consentement de leur victime", explique Catherine Le Maguerresse, docteure en droit et auteure de Pièges du consentement: pour une redéfinition pénale du consentement sexuel auprès du journal le Monde.

"Il serait intéressant de rajouter une couche de sécurité juridique supplémentaire : c’est interdit de toucher aux corps des autres, à moins d’avoir obtenu un accord libre et éclairé ", juge encore cette spécialiste.    Mais l'ajout de l'absence de consentement dans la loi divise profondément les juristes avec la crainte que ce soit désormais à la victime de prouver qu'elle n'a pas consenti à avoir une relation sexuelle.

         "Croire qu'il suffit de définir le viol par le consentement pour y mettre fin est illusoire", avance ainsi la philosohe Manon Garcia dans une tribune pour Libération. La philosophe espagnole Clara Serra Sanchez s'inquiètait, elle, en décembre 2023 dans les colonnes du Nouvel Obs que la définition du viol prenne la forme d'un "contrat" dans les relations intimes.

            Les chiffres montrent cependant que le changement de définition a une vraie incidence. En Suède, une loi sur le consentement sexuel, qui considère comme viol tout acte sexuel sans accord explicite, même en l'absence de menace ou de violence, est en vigueur depuis 2018. Conséquence: le nombre de condamnations pour viol a augmenté de près de 75% de 2017 à 2019 dans le pays.

Les députés appellent également à ajouter le critère de "circonstances environnantes" qui figurent dans la convention d'Istanbul, un texte issu du Conseil de l'Europe pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ce critère vise à éviter que les investigations ne se concentrent exclusivement sur la victime mais "davantage sur les agissements de la personne mise en cause au regard en particulier de la situation de vulnérabilité dans laquelle la victime a pu être placée, ou dont l'auteur a profité".

Quelle est la suite pour la proposition de loi?

Plusieurs options sont désormais sur la table pour la France. La proposition de la loi étudiée le 1er avril à l'Assemblée doit être à l'étude dans l'hémicycle dès la semaine suivant cette première étape. En cas de forte mobilisation à gauche et à Renaissance, elle pourrait être adoptée dans un format très proche de la volonté des deux rapporteures. Mais LR y est opposé et le RN entretient le flou sur le sujet.

Le gouvernement pourrait également vouloir amender ce texte en se contentant d'introduire dans la définition pénale du viol l'expression "commis sans consentement". Cette notion, jugée floue par les juristes, ne changerait probablement pas la donne. (...)

          Ces quatre analyses ont le mérite de considérer cette question du consentement de la victime sous des angles très différents et la complexité du sujet. Elles nous permettent ainsi d'avoir un regard plus large sur la société dans laquelle nous vivons. La culture du viol est une caractéristique majeure qui imprègne fortement toutes les strates de la société qui ont leur mot à dire sur ce sujet (justice, social, etc). Il me semble que une formation dans un premier temps des ces pouvoirs décisionnaires doit être envisagée de telle façon qu'une approche sociologique permette une meilleure connaissance de tout ce qui concerne la délinquance contre les femmes et la réponse judiciaire qui en découle. Les préliminaires concernant la fabrication d'une loi me paraissent complètement insuffisants. Répondra-t-elle aux carences largement constatées ? Car ce qui me pose question est leur antagonisme. Nous avons affaire à des spécialistes sur le terrain qui expliquent sans détour que il n'y a rien de sexuel dans un viol : c'est une torture et il ne peut y avoir de consentement dans une telle situation. Et nous écoutons des juristes, avocates et avocats, qui manifestement sont baignées dans cette culture du viol qui biaise complètement leurs propos. Enfin des militantes féministes qui elles-mêmes ont des approches différentes et des conclusions différentes.

          J'ai parlé de formation pour des personnels professionnels pour faire évoluer des lois mais c'est carrément un changement de société qui s'impose, redéfinissant les rapports femmes/hommes dans sa globalité et devant aboutir à un changement profond, majeur et urgent par lequel le patriarcat n'aura plus cours. Cette question est symptômatique du dysfonctionnement de notre société. Peut-on espérer qu'elle soit une étape vers une remise en cause plus globale ?

          






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