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Françoise d'Eaubonne (1920
- 2005) - France
« Le drame écologique découle
directement de l’origine du système patriarcal »
Écrivaine française, militante libertaire, féministe radicale et
figure controversée parfois qualifiée de « terroriste », Françoise d’Eaubonne a
marqué le XXᵉ siècle par ses combats anticonformistes et sa pensée visionnaire.
Auteure d’une œuvre prolifique de plus de 50 livres, elle appliquait avec
rigueur sa devise : « Pas un jour sans une ligne », témoignant d’un engagement intellectuel et militant sans
faille. Communiste, puis anarchiste, elle
est l’une des premières voix sur Radio Libertaire. Elle est de tous les combats
: Résistance, guerre d’Algérie, lutte pour la contraception et l’avortement,
contre la peine de mort, le nucléaire, les intégrismes. Féministe de la
première heure, elle est à l’origine du mot et du concept d’écoféminisme.
Une vie de combats
Née le 12 mars 1920 à Paris dans une famille bourgeoise ruinée,
elle grandit entre une mère espagnole issue d’une lignée de révolutionnaires
(Rosita Martinez y Franco), qu’elle admire profondément, et un père
anarcho-syndicaliste breton (Étienne d’Eaubonne). Cette double influence forge
très tôt son esprit rebelle. Adolescente, elle est profondément marquée par la
guerre d’Espagne (1936) et l’exode des républicains fuyant Franco en 1939.
Entre 20 et 25 ans, elle subit les privations de l’Occupation et
s’engage dans la Résistance après des études aux Beaux-Arts de Toulouse. Sa
rencontre avec des rescapés des camps de concentration dans une gare parisienne
la hante durablement. Elle décrira cette période avec une rare violence
dans Chienne de jeunesse (1965), autobiographie où elle
dépeint une adolescence révoltée : « J’avais 20 ans et la guerre m’avait
volé ma lumière. »
Hypersensible et critique, elle devient une militante radicale,
passant par le Parti communiste avant d’embrasser l’anarchisme.
Parcours littéraire et prise de conscience féministe
Dès 1942, elle publie Colonnes de l’âme, un recueil
de poèmes, puis enchaîne avec des biographies (Watteau, Mme de Staël, Isabelle
Eberhardt). Tour à tour journaliste, enseignante et romancière, elle remporte
le Prix des lecteurs en 1947 pour son premier roman Comme un vol de
gerfauts.
En 1949, la lecture du Deuxième Sexe de Simone
de Beauvoir est une révélation. Elle écrit à l’autrice : « Vous êtes un génie. Nous
sommes toutes vengées.» Deux ans plus tard,
elle publie Le Complexe de Diane, son premier essai féministe, en
défense des thèses de Beauvoir. Leur amitié durera des décennies.
Dans les années 1950-1960, tout en travaillant comme lectrice
pour des éditeurs, elle s’engage contre la guerre d’Algérie et signe le Manifeste
des 121 (1960), texte anticolonialiste qui défend le droit à l’insoumission.
Mai 1968 et l’émergence du féminisme radical
L’effervescence de Mai 68 catalyse son militantisme. Elle
cofonde le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) avec Beauvoir, Halimi et
Seyrig. En 1971, elle signe le manifeste des 343 (« Je me suis
fait avorter ») et elle
participe au “commando saucisson” : lors d’une conférence anti-IVG du Pr
Lejeune où les militantes du MLF attaquent le service d’ordre, pris de court,
armées de saucissons très durs :
« Le saucisson ne peut être considéré que
comme une arme de 7ème catégorie – je vous jure que c’est vrai – mais un long
saucisson très dur, ça vaut une matraque. Surtout si vous frappez à la
tempe. »
La même année, elle cofonde le Front
Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) avec Guy
Hocquenghem, un groupe radical luttant contre la norme hétérosexuelle. En 1972,
elle sabote le Congrès international de sexologie à San Remo, dénonçant les
pratiques de lobotomie sur les personnes homosexuelles.
L’invention de l’écoféminisme
C’est
l’une des premières à conceptualiser la pensée de l’écoféminisme dans son livre
Le féminisme ou la Mort. En introduisant ce néologisme, elle montre que le
mécanisme patriarcal de domination des femmes est le même que celui qui
provoque le saccage de la planète. Elle y encourage l'activisme environnemental
des femmes.
Au
cœur de sa théorie écoféministe se trouve la dénonciation de « l’illimitisme de la société patriarcale
», qui pousse entre autres influences
destructrices sur l'environnement à l’épuisement des ressources. Je la cite :
« Aucun régime politique, fût-ce celui de l’Age d’or, aucun
invention géniale ne changera ce petit fait désolant : notre planète ne compte
que 40 000 km de tour, et rien ne lui en ajoutera un seul. »
Elle
dénonce aussi une une « surfécondation de
l’espèce humaine » conséquence du « lapinisme
phallocratique ». C’est l'une des causes principales de la dégradation
environnementale qu’elle dénonce en appelant carrément à la grève des ventres,
dans une révolution écoféministe et en même temps tiers-mondiste.
« Deux fléaux menacent l’humanité tout entière : la surpopulation,
et la destruction des ressources. On est bien obligé de constater qu’en
s’appropriant jusqu’à présent la fécondité (des femmes) et la fertilité (du
sol), ce sont les hommes et la société patriarcale qui nous ont menés à cette
double catastrophe. »
Françoise
d’Eaubonne pose comme premier fondement de l’écoféminisme la reprise en main de
la démographie par les femmes, qui est un problème féministe à partir du moment
où les femmes n'ont pas le contrôle de leur fertilité. La réduction des
naissances est à la fois un enjeu clé pour les femmes et pour l'environnement.
La radicalisation : violence et engagements ultimes
De
plus en plus radicale, elle défend la « contre-violence
», qu’elle définit comme le retournement des armes de l’oppresseur contre
lui-même.
« La contre-violence, nom véritable de ce qu’on appelle aujourd’hui
terrorisme, semble très indiquée comme retournement de l’arme de l’ennemi
contre lui-même. »
C’est
au nom de cette contre-violence qu’elle participe en 1975, à un attentat contre
la centrale nucléaire de Fessenheim, retardant son lancement. L’action est
anonyme, mais le texte de revendication porte sa patte :
« Les femmes sont à l’avant-garde du refus du nucléaire
qui n’est autre que le dernier mot de cette société bâtie sans elles et contre
elles. »
Mère de deux enfants, jamais engagée
avec un homme, elle annonce dans Libération en 1976 son “mariage” avec Pierre
Sanna, un détenu condamné à tort. L’année suivante, on la retrouve à la
Mutualité aux côtés de Guy Bedos, pour réclamer l’abolition de la peine de
mort.
En 1978, elle anime au sein du MLF
un groupe “écologie et féminisme”. Ses idées rencontrent plus d’écho à
l’étranger, notamment en Australie et aux États-Unis, qu’en France, où
l’écoféminisme est caricaturé comme essentialiste, ce qu’elle réfute clairement
:
« Quand en 1978 j’ai fondé le
mouvement de réflexion Écologie-féminisme (…), j’ai bien pris soin de
distinguer cette analyse et cet appel de tout idéalisme philosophique,
essentialisme ou naturalisme. »
Postérité et reconnaissance tardive
En
2002, elle est faite Chevalière des Arts et Lettres. Elle meurt le 3 août 2005
dans l’indifférence générale, après avoir publié son dernier livre, L’Évangile de Véronique (2003).
Françoise
d’Eaubonne n’a jamais séparé son œuvre littéraire de son combat militant. Elle
popularise le mot « phallocratie » et dénonce sans relâche ses multiples
avatars. Longtemps moqué ou marginalisé, son écoféminisme ressurgit
aujourd’hui, face à l’urgence climatique.
En
conclusion, pour Françoise d’Eaubonne, les femmes sont le salut de l’humanité.
Elle l’écrivait sans détour : « Les valeurs du féminin,
si longtemps bafouées (…), demeurent les dernières chances de survivance de
l’homme lui-même. »
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