Tribune libre : Le genre ? Que d’histoires…

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           Le genre fait beaucoup parler de lui depuis quelques années. Un tabou se fendille. Peut-être est-ce lié au fait, entre autres, que le genre, qui est le construit social, peut s'accompagner maintenant d'une modification dans le corps même de la personne ; elle a un sexe, peut en avoir un autre grâce aux progrès médicaux qui ouvrent des champs de possibles inédits. Parler du genre, c'est parler des femmes et se rendre compte que les constructions sociales qui le définissent peuvent évoluer vers plus d'égalité en respectant les différences ; des universités en font un objet d'études. D'ailleurs, des universités américaines sont sous les projecteurs du pouvoir réactionnaire qui fait pression pour la suppression de ces gender studies. C'est d'autant plus absurde que le genre lui-même fait partie intégrante du corps de la société, et ce, depuis très longtemps et le patriarcat s'en est beaucoup servi quand il le jugeait utile pour la perpétuation de son schéma..... Mais pas que....

          Alors, je vais vous raconter quelques petites et grandes histoires qui racontent.... cette histoire.

    Ces femmes qui ont vécu comme des hommes et qui ont, pour cela, changer leur garde-robe. Quelques noms ;   

          - HATSHEPSUT, pharaonne de l'Egypte ancienne a passé les vingt premières années de son règne habillée en homme pour se faire respecter !!!!

               Madeleine PELLETIER, première femme médecin diplômée en psychiatrie. Militante féministe et anarchiste, elle s'est toujours habillée en homme malgré l'interdiction à l'époque de porter le pantalon !           

               George SAND  s'habillait elle aussi en pantalon et redingote ! Elle s'appelait Aurore Dupin. Romancière, journaliste mais aussi militante pour les droits des femmes, elle a cultivé cette image de femme libre, acquise durement durant cette époque conservatrice.

               Marguerite le  Paistour ? Née en 1720 à Cancale, elle vit une enfance très difficile avec un père absent et une belle-mère violente. Elle fugue à l'âge de 20 ans et se travestit en homme pour survivre sur les routes. Elle est servant de messe puis soldat dans les troupes de France. Elle rencontre l'éxecuteur public à Strasbourg et elle devient la seule bourreau ou plutôt bourrelle en France, métier complètement interdit aux femmes. Elle exerce aussi à Lyon pendant 27 mois. Elle se fait appeler Monsieur HENRI mais est découvemasquée ! Elle est écrouée. A sa sortie de prison, elle se marie et quitte le métier !

               JeanneBARRET, botaniste, sera la première femme à faire le tour du monde. Nous sommes en 1766. Elle fait partie de l'expédition de Bougainville qui durera trois ans. Les femmes étant strictement interdites dans la marine royale, c'est donc sous le nom de  Jean BARRET, valet assistant du botaniste Philippe de Commerson, qu'elle réussit à monter à bord de l'Etoile.  Elle fera un travail remarquable qui lui vaudra une pension attribuée par le roi Louis XVI. Elle rapportera plus 5000 espèces de plantes dont 3000 seront considérées comme nouvelles dont la bougainviller.        

               Marie MARVINGT, femme du XXème siècle, a eu un destin extraordinaire à plus d'un titre. Je ne retiendrai que celui qui l'a vue s'habiller en soldat pendant la première guerre mondiale. Les premières lignes étaient interdites aux femmes. Elle réussit à intégrer un régiment habillée en homme et vécut l'enfer des tranchées. Jusqu'à ce qu'elle soit démasquée.. Elle restera mobilisée en tant qu'infirmière.

           - Norah VINCENT est une journaliste américaine née en 1968. Elle a notamment passé dix-huit mois comme un homme et a écrit un livre « dans la peau d'un homme » paru en 2007.

          Dans l'autre sens, qui connaît Mary RENARD ? Et bien c'est un peintre du XIXème siècle que j'ai découvert dans un musée à Abbeville ! C'est le seul homme portant un nom de femme que j'ai pu trouver et c'est peu !!!!

Là, nous parlons de destins individuels. Certaines sociétés obligeaient des femmes à devenir socialement des hommes dans des circonstances précises.       

          En Albanie, depuis le Moyen âge jusqu'à l'arrivée du communisme, la vie sociale était régulée par le Kanun, code qui résumait les traditions locales car il n'y avait pas de loi ou de tribunal. Ce code patriarcal donnait tout pouvoir aux hommes et confinait les femmes au foyer. Le chef de famille était toujours un homme. Ce code a créée le statut de « burnshat » pour pallier à leur absence. Par exemple, le pays a subi une forte émigration masculines vers des pays plus riches, l'Albanie étant un pays très pauvre, Le code gérait les conflits entre communautés et donnait un cadre aux vendettas qui étaient très fréquentes. Et quand le nombre d'hommes devenait insuffisant, c'est alors la fille désignée par la famille qui gèrait les biens familiaux ou travaillait la terre. Son prénom, ses habits, ses habitudes changeaient du tout au tout et « il » devenait le chef de famille. Il se coupait les cheveux et faisait vœux de chasteté jusqu'à la mort.

           Certaines femmes pouvaient aussi refuser de vivre selon ces traditions patriarcales à savoir être mariées très jeunes dans le cadre d'un mariage arrangée et avoir des enfants, ne pas avoir le droit de sortir de chez elles, être l'esclave du père puis du mari. Les « burrneshat » choisissaient de vivre comme des hommes. Elles pouvaient ainsi sortir seules, boire, s'habiller en homme, avoir un prénom masculin, et prendre les décisions concernant la famille, hériter de leur père.... Cependant, elles devaient aussi faire vœu de célibat jusqu'à leur mort. Dans ce pays, ces « vierges jurées » ou les vierges sous serment » n'existent pratiquement plus.

          À l'autre bout du monde, en Afghanistan et au Pakistan, les « bacha posh » sont les filles « habillées en garçon ». Quand une famille n'a pas de garçon, c'est pour elle une malédiction. Elle peut donc élever une de ses filles comme un garçon qui a ainsi des possibilités interdites aux filles (sortir, étudier, se déplacer librement en public, faire du sport ou travailler). Une autre raison est lorqu'il n'y a plus d'homme dans la famille : mari tué ou parti et pas de fils. Le statut de bacha poch est attribué à la fille non pubère qui assure ainsi les tâches dévolues aux hommes, jusqu'à la puberté.  Elle devient alors jeune femme en âge d'être mariée dans un mariage arrangé et découvre les contraintes liées à la vie des femmes.

          Les bacha posh étaient aussi chargées de surveiller les harems des rois car ceux-ci ne pouvaient l'être ni par les hommes ni par les femmes.  Il y a quelques années, j'avais fait une tribune sur ce sujet à travers le livre de Nadia HASHIMI, écrivaine, qui avait fait un récit, « la perle et la coquille » paru en 2015. Elle raconte l'histoire de deux femmes ayant été bacha posh au XXème siècle, illustrant ces deux situations.

          Allons directement dans le grand Nord à la rencontre du peuple inuit. Leurs enfants sont la réincarnations des ancêtres, notamment les grands-parents. Le sexe du nouveau né n'entre pas en compte dans la réincarnation si bien qu'il arrive que des petits garçons portent des noms de femmes et que des petites filles se voient attribuées des noms d'hommes. Ces enfants ne sont pas éduqués en fonction de leur sexe biologique mais en fonction de leur nom. Le garçon devenu femme est habillé comme une petite fille et la fille ainsi devenue homme est traitée comme un petit garçon. Vers l'âge de quinze ans, les enfants reprennent les comportements et les fonctions correspondant à leur âge biologique, se marier et avoir des enfants.

 

 SUZANE  SLT



 

    Et que dire des drag-queens ? Ces personnes pratiquent le drag, c'est-à-dire la construction d'un personnage d'identité féminine volontairement inspiré par les archétypes de féminité et présenté lors de spectacles. Les drag utilisent les paillettes, le maquillage et les tenues hyper sexy qui donnent une flamboyance folle à leurs shows. Elles ont conquis leur public avec des émissions télévisées telles que RuPaul's Drag Race. Le film « Priscilla, folle du désert » est  une anthologie. Mais d'où vient ce mot de drag queen ? D'après le site LGBT COLORS,  « Au XVI ème siecle, dans le théâtre élisabethain en Angleterre, les hommes étaient les seuls à pouvoir monter sur scène. Ils interprétaient des rôles féminins, ce qui les obligeait à porter des costumes éxagérement féminins pour accentuer la distinction entre les genres. Les personnages féminins qu'ils jouaient étaient souvent des caricatures de féminité, avec des robes imposantes, des coiffures extravagantes et des manières affectées. » Il précise : « le terme de « drag » est issu du jargon théatral de l'époque. Il fait référence au frottement (ou dragage) des longues robes des costumes féminins pendant les performances elles-mêmes. Ce terme, en plus de la référence à l'habillement, est aussi devenu synonyme de la performance elle-même où des hommes interprètent des personnages féminins de manière volontairement outrée. Cette tradition  n'est pas unique en Angleterre. Dans le kabuki japonais, un style de théâtre traditionnel, des acteurs masculins jouaient également des rôles féminins, ce qui a donné naissance à une pratique similaire appelée onnagata. Dans ce contexte, les acteurs masculins interprétaient des femmes avec une précision et une élégance telles qu'ils étaient considérés comme des experts dans l'art de capturer la féminité.

    Avec le temps, la culture drag a évolué particulièrement au Xxèmes siècle, pour devenir non seulement un moyen d'expression théâtrale mais aussi un espace de résistance et de libération notamment dans la communauté LGBTQ+. Les spectacles de drag queens sont devenus des formes d'art à part entière où la performance va bien au-delà du déguisement : c'est une célébration de la diversité, de l'expression personnelle et de la fluidité des genres. »


/////Les drag-kings et les drag-queers sont moins présentes dans l'univers des travesti.es. Le monde des drag queen est généralement associé à l'homosexualité masculine et aux femmes trans mais sans exclusive. Les drag-kings sont donc des personnes qui construisent un personnage masculin avec le même objectif de faire des shows. Ils sont moins répandus. Et il y a aussi les drags queer qui construisent des drags avec une esthétique non-binaire, neutre ou androgyne. Ce terme de drag-queer est un  terme d'argot utilisé dans le théâtre britannique  au XIXème siècle pour décrire les vêtements féminins portés par des hommes. Et un genderfuck est un personnage qui se présente à la fois masculin et féminin, portant la barbe et une robe par exemple. On pense aussitôt à Conchita Wurst, qui gagna l'Eurovision  2014 avec cheveux longs et barbe.

 

          Le genre humain fait partie du monde des vivants. Et bien, chez certains  animaux aussi, il a été constaté des changements de genre et de sexe pour des raisons sociales. Les poissons clowns ocellés ont cette capacité de naître mâles et devenir femelles. Ils vivent en groupe où seuls deux individus sont sexuellement matures : un grand mâle et et une femelle encore plus grande. Les autres sont des mâles plus petits, sexuellement immatures. Si la femelle meurt, le mâle dominant change de sexe et deviendra femelle. Il choisit alors le mâle le plus grand du groupe pour devenir son nouveau partenaire.

          Autre exemple de conditions qui peuvent amener un animal à changer de sexe : le poisson faucon vit en harem. Il naît femelle et devient mâle si nécessaire, c'est-à-dire si le chef mâle du harem s'attaque à trop de femelles, ce qui incite la plus grande femelle à se transformer en mâle et à se séparer avec la moitié du harem. Mais ça marche dans l'autre sens : si le nouveau harem perd trop de femelles ou si un mâle trop grand le défie, il peut redevenir femelle !

          Ces exemples montrent à quel point le sexe chez les animaux est une fonction évolutive et non une identité figée. Que ce soit pour s'adapter aux conditions du groupe, compenser l'absence de partenaire ou optimiser des chances de reproduction, de nombreuses espèces font preuve d'une plasticité étonnante. Et comme nous sommes des animaux comme les autres, nous avons cette possibilité de moduler le genre.

          Alors, où est le problème ? La seule chose qui est importante est le respect mutuel, l'assurance d'une égalité pour toutes et tous, quelque soit le genre dont on se réclame ou qui leur est propre. Il semble que notre monde est bien loin de tout ça. Il me semble que les valeurs anarchistes auraient toute leur place pour que chacune et chacun ait sa place dans la société, toute sa place.

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