Tribune Libre : WAX, MESSAGER DES FEMMES

WAX, MESSAGER  DES FEMMES    



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What's wax ? Le wax, un tissu cosmopolite s'il en est !!!! à l'origine, conçu en Indonésie, fabriqué aux Pays Bas, vendu en Afrique...... Là-bas, il est le roi des tissus en coton, promu par les femmes de ce continent ; elles en ont fait un matrimoine à part entière.

          Cet été, le musée de l'Homme lui a dédié une exposition  ; très bien faite, elle me l'a fait découvrir, support d'une richesse incroyable devenu aussi le messager des femmes africaines.    

          Avant de commencer cette tribune, je vous engage à la retrouver sur le blog de l'émission pour que vous puissiez découvrir les wax que j'ai ajoutés pour illustrer mon propos et qui ne sont malheureusement pas visibles à la radio. Je vous donne les coordonnées.

          Reprenons, d'abord le batik, tissu indonésien conçu il y a mille ans. Batik signifie « pointillé » en javanais, allusion au résultat obtenu en déposant des goutelettes de cire sur le tissu. Au XIXème siècle, dans un contexte colonial, les européens industrialisent sa fabrication en vue de l'exporter en Indonésie. Les indonésiens préfèrent leur production. Le hasard amène ce tissu au Ghana où il est immédiatement populaire et les européens réorientent leur production en direction de leurs colonies dans le continent africain et lui donnent le nom de wax, qui signifie « cire » en anglais. A partir du XXème siècle, la production se développe en Afrique puis en Asie. Elle a traversé l'Atlantique où les afro descendants le revendiquent dans leur culture, … ou pas, en réaction à son histoire coloniale.

          Les femmes africaines, que ce soit en Afrique de l'Ouest (Ghana, Afrique subsaharienne,) ou en Angola, République démocratique du Congo, qu'à l'est en Tanzanie ou au Kénya) sont au cœur du succès du wax : elles l'ont adopté et lui ont donné une valeur symbolique, économique, artistique particulière. Ce sont surtout elles qui portent des vêtements en wax. En définitive, le wax est un instrument d'émancipation car il fait vivre les artisanes, les artistes, les entrepreneuses qui du coup font passer les messages qui leur tiennent à cœur.

          De plus, le pagne - mot qui désigne aussi bien le vêtement que le coupon dans lequel l'habit est coupé - est transmis de mère en fille, reçu lors de circonstances telles que le mariage, la naissance d'un enfant ou un décès. Cette transmission symbolise toute une culture de mère en fille. Ils constituent un véritable matrimoine, parfois composé de modèles très anciens, introuvables aujourd'hui.

          Dans les années 1960-1990, pour diffuser ces wax, des femmes se sont organisées pour les distribuer sur les marchés du Togo. Ces pionnières, les Nana Benz, ont fait fortune en développant un commerce lucratif qui a assis leur influence. Elles ont été proches des milieux politiques. Elles ont joué un rôle primordial à plusieurs niveaux : acheteuses, utilisatrices, vendeuses et donc diffuseuses et distributrices de ce tissu. Elles en ont fait un commerce international et le wax est très populaire en France par exemple et on peut trouver des merveilles dans le quartier parisien de Château Rouge, populaire pour ses boutiques de produits importés d'Afrique et pourvoyeur de wax de différentes qualités provenant majoritairement d'Europe ou de Chine.

          Elles ont été les premières à donner des noms porteur de sens et souvent humoristiques aux créations des dessinateurs européens enregistrés par un numéro d'inventaire. Ce geste témoigne de la manière dont les sociétés africaines se sont appropriées ce textile venu d'ailleurs et l'ont rendu « africain » : associer un nom au motif d'une étoffe est en effet une pratique répandue dans nombre de cultures africaines.

Myriam MAKEBA, chanteuse sud-africaine, chante MALAIKA


          Ce tissu a des couleurs vives, contrastées, aux motifs infinis qui puisent aussi bien dans la faune et la flore que dans les actualités politiques et sociales et la vie de tous les jours. Les femmes attribuent aux motifs qu'elles composent un vocabulaire iconographique dont les dessins se traduisent en proverbes, évoquent les statuts sociaux, ou sont portés lors d'évènements tels que le mariage. Elles s'en servent pour raconter leurs histoires personnelles. Le motif « œil de ma rivale » exprime la jalousie et les tensions dans le domaine conjugal, notamment entre co-épouses. Il évoque la colère de la femme trompée et la souffrance au sein du foyer polygame. Le tissu énonce ce que la parole  ne peut dire librement et incite les parties prenantes à dialoguer.

           Il y a des motifs ancestraux tels que l'oeil, la main ou l'alphabet. Il y a des motifs qui évoluent dans le temps. Il y a des motifs plus récents tels que des ventilateurs qui représentent des objets de consommation ou des biens onéreux de la vie quotidienne. Le ventilateur, justement, est un objet emblématique car il permet de rafraîchir l'intérieur de l'habitation et d'éloigner les moustiques. Il a longtemps été

reservé à une classe sociale aisée. Son image signale le confort de la vie de la personne qui porte ce motif. Les animaux portent aussi des symboles tels que la poule qui évoque le rôle central de la femme au sein du foyer.

          Le wax est aussi un support médiatique ; chaque année, un tissu spécial est créé pour la journée internationale pour les droits des femmes. Ce tissu unique est personnalisé. Le « bomber » est actuellement un vêtement tendance. Il offre l'opportunité de placer le motif au dos et d'affirmer ainsi son engagement pour les droits des femmes avec style et fierté. Le coupon de tissu ci-joint affiche par exemple « donner la vie sans périr ». Le wax est utilisé pour soutenir des campagnes de santé publique telles que la lutte contre l'excision ou contre le cancer du sein.


  

          Ce tissu véhicule aussi des idées religieuses, politiques ou symboliques. Par ses motifs et par la coupe du vêtement, il permet à la personne qui le porte de faire passer un message, de montrer son appartenance à une communauté ou son engagement pour une cause qui lui tient à cœur.

          La fabrication même du wax africain est une histoire de femmes : le « bogolan » est teint avec de la boue. Il est né au Mali. Il est constitué de plusieurs bandes de coton tissées et cousues ensemble. Chaque motif, porteur d'un sens précis, est teint avec une argile riche en oxyde de fer préparée et appliquée par les femmes. L'ensemble confère au bogolan des vertus protectrices voire thérapeutiques.


          Aujourd'hui, on trouve le wax décliné en de multiples supports : décoration, objets du quotidien (ceinture, chaussures...) ameublement. Il est conccurencé par des cotons bon marché ou « fancy ». Ceux-ci sont souvent imprimés en Afrique pour commémorer des évènements importants dans la vie des nations ; ils se sont développés au moment des indépendances.


Voilà l'histoire étonnante de ce tissu du monde ; il reste bien vivant et continue à être le messager des femmes africaines qui ont tant à dire. Je crois que je ne regarderai plus ces cotons de la même manière, même si je ne comprends pas le message de tous ces motifs qu'ils m'envoient à moi, européenne. A moins que, ici, nous nous l'approprions aussi..... et que nous puissions échanger nos messages pour un féminisme universel. 

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